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Le poète du dimanche : Trois poèmes de Pier Paolo Pasolini

Vaste panorama autobiographique, l’œuvre poétique de Pier Paolo Pasolini, un artiste aux multiples formes d’expression, permet de le suivre à chaque instant de sa création : poète pamphlétaire, ironique et tendre, violent et cinglant, lyrique et prophétique, Pasolini, qui disait avoir écrit son premier poème à l’âge de sept ans, n’a jamais renoncé à la poésie, en dépit de son engagement dans le monde du cinéma, de la critique, de l’action politique.

Né en 1922 à Bologne, Pier Paolo Pasolini passe une grande partie de sa jeunesse dans le Frioul (Casarsa) qu’il doit quitter en janvier 1950 à la suite d’un scandale sexuel. Il s’installe alors à Rome avec sa mère et, de 1955 à 1961, se consacre surtout à l’écriture et publie deux romans qui lui valent une série de procès. En 1960, il signe son premier film, ‘‘Accatone’’.

Dès lors, il mène en parallèle une double activité de poète et de cinéaste iconoclaste, puisant sa «vitalité désespérée» dans le déchaînement même de la société italienne à son égard.

Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, il est assassiné sur la plage d’Ostie par un jeune prostitué de dix-sept ans (version officielle aujourd’hui remise en question).

Il suffit d’un instant de paix

Il suffit d’un instant de paix pour révéler,
au fond du cœur, l’angoisse,
limpide comme le fond de la mer
par un jour de soleil. Tu en reconnais,
sans la ressentir, la souffrance,
là, dans ton lit, poitrine, cuisses
et pieds relâchés, tel
un crucifié – ou tel Noé
qui rêve en son ivresse, et, naïf, ignore
la joie de ses fils, tandis que ceux-ci,
si puissants, si purs, se moquent de lui…
le jour est désormais sur toi,
dans la pièce, comme un lion dormant.

Par quels chemins le cœur
peut-il goûter une parfaite plénitude, en ce
mélange de béatitude et de douleur ?

Il suffit d’un instant de paix pour que s’éveillent
en toi la guerre, en toi Dieu. A peine les passions
se sont-elles apaisées, à peine s’est fermée
une fraîche blessure, et déjà, tu prodigues
une âme qui semblait entièrement prodiguée
en des actions de rêve, qui ne mènent
à rien…

Extrait de ‘‘Les Cendres de Gramsci’’, traduit de l’italien par José Guidi.

Je suis une force du passé

Je suis une force du Passé
Tout mon amour va à la tradition
Je viens des ruines, des églises,
des retables d’autel, des villages
oubliés des Apennins et des Préalpes
où mes frères ont vécu.
J’erre sur la Tuscolana comme un fou,
sur l’Appia comme un chien sans maître.
Ou je regarde les crépuscules, les matins
sur Rome, sur la Ciociaria, sur le monde,
comme les premiers actes de la Posthistoire,
auxquels j’assiste par privilège d’état civil,
du bord extrême de quelque époque
ensevelie. Il est monstrueux celui
qui est né des entrailles d’une femme morte.
Et moi je rôde, fœtus adulte,
plus moderne que n’importe quel moderne
pour chercher des frères qui ne sont plus.

Extrait de ‘‘Poesia in forma di rosa’’, traduit de l’italien par Olivier Favier.

Pour une petite fille

Lointaine avec ta peau
Blanchie par les roses,
Tu es une rose qui vit et ne parle point.

Lorsqu’au fond de ta poitrine
Te naîtra une voix,
Muette, toi aussi,
Tu porteras ma croix.

Muette sur le dallage du grenier, sur les marches,
Sur la terre du potager,
Dans la poussière des étables…

Muette au foyer,
Avec des mots serrés
Dans ton cœur, désormais
Perdu dans un sentier de silence.

Extrait de ‘‘Poèmes frioulans (1941-1974)’’, traduit du frioulan par Philippe Di Meo.

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