Dans le cadre de la promotion du 2e volume ‘‘À l’ombre des sabres’’ de son enquête historique ‘‘Les califes maudits’’, l’écrivaine, chercheuse et universitaire tunisienne Hela Ouardi était présente à l’Institut français de Tunisie (IFT) pour une rencontre passionnante avec le public autour d’un chapitre sombre et caché de l’histoire de l’islam.
Par Fawz Ben Ali
Hela Ouardi, professeure à l’Université de Tunis, spécialiste de littérature française, est devenue un personnage public controversé dont la notoriété a dépassé la Tunisie et le monde arabe et francophone, depuis la sortie de son enquête sur la mort mystérieuse du prophète de l’islam ‘‘Les derniers jours de Muhammad’’ édité en 2016 chez Albin Michel (France) puis chez Cérès (Tunisie). Un livre qui a été un énorme succès de vente notamment en Tunisie et en France avec 30.000 exemplaires écoulés seulement un an après sa parution.
Des critiques et un succès en librairies
Trois ans après, Hela Ouardi revient avec une deuxième œuvre, comme une suite évidente de sa première enquête. ‘‘Les Califes maudits’’ est une série de récits historiques sur la passation du pouvoir après la mort du prophète et le règne de ses quatre premiers successeurs. Un premier volume est sorti en mars 2019 intitulé ‘‘La déchirure’’ et a été l’un des best-sellers de la dernière Foire du livre de Tunis, quelques mois plus tard, Hela Ouardi publie le deuxième volume ‘‘À l’ombre des sabres’’, toujours chez Albin Michel, dont une édition tunisienne est prévue de sortir en mars 2020, avec un prix bien étudié afin que le livre soit accessible aux lecteurs tunisiens.
Dans une rencontre modérée par le journaliste culturel et animateur radio Hatem Bourial, Hela Ouardi a d’abord tenu à rappeler qu’elle n’avait jamais eu la prétention de se considérer comme historienne ou islamologue. Sa démarche est partie d’une curiosité personnelle et d’un besoin de comprendre cette époque que l’on nous toujours présentée comme «l’âge d’or de l’islam» et qui s’est finalement révélée au fil de son enquête un chapitre très sombre ponctué de violence et de complots. Interrogée sur les critiques de Hichem Djaït (qu’elle considère comme «une insulte à son égard», précise-t-elle), Hela Ouardi s’est interrogée sur cette question de légitimité d’écrire sur l’islam et cette sorte de verrouillage de l’accès à l’information par certains historiens. «C’est un sujet qui appartient à tout le monde, (…) On a tous le droit d’en parler du moment où on donne des informations fondées». L’universitaire et chercheuse s’est en effet tenue à une grande rigueur et précision dans son travail de recherche et s’est d’ailleurs contenté des sources de la tradition musulmane pour donner cette version fiable de l’histoire, comme elle tient à le préciser.
Il faut dire que le monde arabo-musulman a une mémoire sélective notamment face à quelques chapitres particulièrement sombres de l’histoire de l’islam qu’il refuse d’admettre, c’est d’ailleurs ce qui explique la fatwa dont son premier livre ‘‘Les derniers jours de Muhammad’’ a fait l’objet au Sénégal où il est toujours censuré. «Je refuse de capituler ou d’avoir peur, cela signifierait qu’ils auraient gagné (…) la peur est une petite mort pour moi», affirme Hela Ouardi.
Déconstruire le mythe de l’âge d’or
Dans sa série d’ouvrages, Hela Ouardi explique comment les compagnons du prophète l’ont empêché d’écrire son testament afin qu’il ne puisse pas nommer son successeur. Cette vacance de pouvoir a donné lieu à des compromis, des complots et des trahisons entre les différents prétendants, alors que le corps du prophète n’était même pas encore enterré. ‘‘La déchirure’’ puis ‘‘À l’ombre des sabres’’ comme les trois volumes qui suivront déconstruisent le mythe de l’âge d’or des premiers temps de l’islam et mettent à nu cette construction dogmatique autour des califes.
‘‘À l’ombre des sabres’’ s’ouvre sur un hadith qui a clairement donné le titre du livre et qui explique les dessous de cette violence originelle de l’islam qui alimentent aujourd’hui les esprits des djihadistes : «Sachez que le paradis se trouve à l’ombre des sabres». Un hadith dont Abou Bakr As-Siddiq se servait pour motiver ses disciples à aller dans le champ de bataille. Le règne du premier calife qui avait duré deux ans était inauguré dans un véritable bain de sang. ‘‘Les guerres d’apostasie’’ illustrent parfaitement l’instrumentalisation de la religion dans la quête du pouvoir. «La religion était au service des ambitions humaines (…) Les califes avaient une mission exclusivement politique et pas du tout spirituelle (…) Abou Bakr se considérait d’ailleurs comme un fonctionnaire et exigeait un salaire», précise Hela Ouardi.
Ce hadith sur lequel s’ouvre le livre, et toutes ces horreurs commises avec l’arrivée du premier calife au pouvoir constituent le manuel du parfait terroriste car l’Etat islamique de Daech connaît très bien la tradition et ne fait que la perpétuer. «La sacralisation de la fonction califale a été par la suite récupérée pour donner une couverture religieuse sacrée à une monarchie de droit divin», explique Hela Ouardi qui a fait savoir par la même occasion qu’elle avait pris une année sabbatique pour se consacrer à l’écriture du troisième volume qui aura pour titre ‘‘Meurtre à la Mosquée’’ et où elle enquêtera sur l’assassinat d’Omar Ibn al-Khattâb. Des traductions en arabe, en anglais et en italien sortiront prochainement pour ‘‘Les derniers jours de Muhammad’’ ainsi que des premiers volumes des ‘‘Califes maudits’’.
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