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Médias et populisme : des affinités dangereuses pour la démocratie

Le populisme est une maladie dangereuse de la démocratie. Son objectif est de détruire la démocratie, sa pensée et ses instances en dénonçant ses mécanismes et ses institutions telles que les élections, le parlement les partis politiques et les élites. Les médias doivent se garder d’être les instruments de cette destruction.

Par Abdelmajid Mselmi *

«Les mots ont tué mon mari», a crié l’épouse de Paweł Bogdan Adamowicz, maire humaniste et homme d’ouverture qui vient d’être assassiné en Pologne, rongée par la montée du populisme et de l’extrême droite. La télévision publique polonaise a été mise en cause.

Des «mots» et des «phrases» lus et entendus dans les médias tunisiens peuvent parfois aussi tuer. Un responsable de la Société nationale de cellulose et de papier alfa (SNCPA) à Kasserine a crié, face à l’animateur d’une émission d’investigation sur la mauvaise gestion dans cette société: «Monsieur vous avez, à travers votre émission, instauré un tribunal populaire pour juger les dirigeants de la société!»

La responsabilité des médias mainstream (grand public) dans la montée vertigineuse du populisme notamment de droite, ces dernières années, en Europe et en Amérique, suscite actuellement un vif débat. Pris en tenaille entre un pouvoir qui les méprise et un public qui les contourne via les réseaux sociaux, les médias ont tendance à succomber au populisme pour attirer plus d’audience.

Qu’est ce que le populisme ?

Pour définir le populisme, Jan-Werner Miller propose qu’on se remette à la fameuse définition de la pornographie par le juge américain Potter Stewart: «I know it when i see it.»)

«La majorité des observateurs s’accorde aujourd’hui pour dire que le populisme est une attitude politique qui consiste à diviser la société en deux», explique Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès. «Il y aurait d’un côté les élites, dévoyées et corrompues, qui seraient en opposition au ‘‘peuple’’, considéré comme une seule entité. Les responsables politiques populistes se revendiqueraient comme des porte-voix de ce peuple qui aurait par nature raison contre les élites corrompus, qu’elles soient politiques, économiques ou médiatiques (parlementaires, ministres, magistrats, experts, médias…).»

Partant de cette définition, l’observateur attentif des médias tunisiens se rend compte rapidement et facilement de «l’overdose» de populisme qui caractérise notre paysage médiatique.

Dénoncer, stigmatiser et diaboliser les élites

Un journaliste célèbre qui anime une émission politique très bien suivi sur la radio tunisienne la plus populaire évaluant le travail du parlement sortant affirme que les députés ont passé 5 ans à «raccorder l’oud», expression tunisienne signifiant qu’ils n’ont rien fait pendants les 5 ans de leur mandat parlementaire.

Alors que tout le monde sait que l’ancien parlement a voté environs 300 lois sans oublier les 5 lois de finances et budgets de l’Etat, le vote de 4 gouvernements et la centaine d’auditions de ministres. Ce travail est certainement insuffisant, grevé de plusieurs anomalies et dépassements, mais dénigrer le parlement de cette façon c’est du populisme qui influence certainement l’opinion publique. Quelques minutes après, le même journaliste a qualifié le parlement actuel fraîchement élu de cirque. Les représentants du peuple sont ainsi comparés à des animaux ou à des clowns !

Des propos similaires, on en lit et on en entend le long de la journée dans des médias tunisiens : les élites et particulièrement les politiciens sont dans le viseur des médias et sont souvent traités de corrompus et de dévoyés. Leur dénonciation est devenue un sport national et le jeu préféré des médias. Plus on stigmatise plus on a la cote.

Instrumentaliser la colère et les malheurs des gens

Tout est bon pour dénoncer les responsables corrompus et se montrer du côté du peuple exploité et malheureux. Une journaliste, qui anime une émission politique en «prime time» sur une chaîne de télévision nationale, interpelle le Pdg de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) sur la «faillite» présumée de la société nationale, une information qui circule sur la toile depuis quelques jours. Et, bien sûr, la corruption et la mauvaise gestion sont les causes supposées de cette faillite.

Le Pdg a nié catégoriquement cette information tr-s grave car elle concerne une des sociétés des plus importantes du pays. Il a rappelé au journaliste que la «faillite» est un terme comptable qui obéit à des critères bien définis, et ne peut être balancé à tort et à travers. Soulignant que la société connaît effectivement des difficultés mais cela ne veut pas dire qu’elle est en faillite.

Plus récemment, des chaînes «mainstream» ont surfé sur la colère des citoyens suite à l’accident tragique de Amdoun qui a entraîné la mort de 28 passagers pour dénoncer les responsables corrompus et irresponsables.

Lutter contre la corruption est certes une priorité nationale. Mais ça ne doit pas se transformer en «chasse aux sorcières». Il est dit quelque part qu’à force de brandir la lutte contre la corruption à tort et à travers, la banaliser et la noyer dans le populisme, ce combat peut perdre toute crédibilité et se transformer en mascarade.

«Théâtraliser» le jeu politique

André Gattolin, sénateur français, écologiste et journaliste, témoigne que «les rares fois où des journalistes le sollicitent, c’est en général pour le questionner en tant que parlementaire écologiste sur la énième micro-polémique entre Cohn-Bendit et Duflot, Joly et Placé, Placé et Duflot (des dirigeants écologistes français). Tout ce qui, aux yeux des journalistes, est susceptible d’alimenter la théâtralité du jeu politicien, les petites phrases acerbes et les coups bas croisés entre protagonistes qui viennent conforter le citoyen dans sa détestation désormais viscérale du politique et de la politique.»

Ce témoignage nous rappelle les débats politiques dans certains médias tunisiens ou les conflits au sein des partis et entre les partis, la guerre des chefs et des clans, les luttes intestines et personnelles prenant souvent le dessus sur les débats politiques.

Le populisme : un danger pour la démocratie et les médias!

Le populisme est une maladie dangereuse de la démocratie. Son objectif est de détruire la démocratie, sa pensée et ses instances en dénonçant ses mécanismes et ses institutions telles que les élections, le parlement les partis politiques et les élites.

L’extrême droite est à l’affût pour prendre le pouvoir et instaurer une dictature. Aussi les médias, qui ont-ils un rôle très important, ne doivent-ils pas tomber dans le jeu du populisme.

André Gattolin avertit qu’«à force de se présenter en porte-voix de peuple (vox populi) et de dérouler des dispositifs de mise en scène du débat public qui s’apparentent à des artefacts voire à des simulacres de représentation sociale et politique, le néo-journalisme est en train aujourd’hui d’attiser un climat délétère qui, demain, finira par détruire la politique pour porter au pouvoir ceux qui le feront taire.» Il ajoute que «ce processus est non seulement suicidaire, mais aussi profondément démocidaire.»

* Membre de Tahia Tounes.

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