Après une avalanche de sélections et de prix dans de nombreux festivals internationaux, le film tunisien ‘‘Un fils’’ du jeune cinéaste Mehdi Barsaoui est sorti hier, mercredi 15 janvier 2020, dans les salles de cinéma tunisiennes. Un très beau film qui part d’un drame familial pour nous parler d’émancipation dans sa dimension la plus générale, dans une Tunisie aux prises avec l’islam politique.
Par Fawz Ben Ali
Le premier long-métrage de fiction de Mehdi Barsaoui ‘‘Un fils’’ a fait le tour du monde et a accumulé les prix et les éloges du public et des critiques de cinéma. C’est incontestablement l’une des plus belles productions cinématographiques tunisiennes de ces dernières années, laissant à voir une nouvelle génération de cinéastes qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus et qui nous offre un nouveau cinéma libre, beau et engagé, capable de conquérir le monde.
Le film avait été primé – entre autres – à la Mostra de Venise, au Festival du film francophone de Namur, au Festival du film méditerranéen de Bruxelles, au Hainan Island International film en Chine, au Festival international du Caire… Cette unanimité des jurys n’est pas le fruit du hasard, c’est le signe que le film interpelle le public partout où il passe, par sa tonalité universelle.
Un cauchemar qui n’en finit pas
‘‘Un fils’’, qui avait fait l’objet d’une étrange et injuste censure de la part du gouverneur de Kébili lors du tournage en 2018, est enfin arrivé sur les grands écrans en Tunisie, après avoir été en compétition officielle aux dernières Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2019) où il avait remporté la mention spéciale du jury.
Le film met à l’affiche Sami Bouajila, Najla Ben Abdallah, Youssef Khemiri, Noomen Hamda, Sleh Msaddak, Mohamed Ali Ben Jemaa… il met en scène un couple moderne, issu d’un milieu social privilégié. Après une dizaine d’années de mariage, Mariem (Najla Ben Abdallah) et Fares (Sami Bouajila) sont toujours très amoureux et heureux. Dans la première scène du film, on voit le couple avec leur fils de 10 ans Aziz (joué par Youssef Khemiri), entourés de leurs amis pour célébrer la promotion de Mariem dans une ambiance marquée par un souffle de liberté et d’insouciance, mais on ne manque tout de même pas d’appréhender la montée des islamistes au pouvoir, car on est en septembre 2011, à un mois des premières élections législatives libres et démocratiques en Tunisie.
Le film commence réellement quand Mariem et Fares décident de partir avec leur fils au sud du pays pour un weekend détente. Sur la route, leur voiture est ciblée par un groupe de terroristes, le petit Aziz est touché par une balle et se trouve grièvement blessé. Commence alors un long cauchemar au cours duquel la vie du couple sera complètement bouleversée…
Aziz est emmené d’urgence à l’hôpital régional de Tataouine; il a besoin d’une transplantation hépatique. Suite à une série d’analyses et d’examens pour déterminer qui des deux parents est le plus compatible pour le don, on découvre que Fares n’est pas le père biologique. Le film prend à partir de ce point une toute autre tournure et s’emplit d’une charge émotionnelle incroyablement incarnée par un duo d’acteurs de choc.
On a d’une part Najla Ben Abdallah dans un personnage à fleur de peau, qui confirme son talent d’actrice avec ce rôle qui marque sa deuxième expérience au cinéma après ‘‘Thala mon amour’’, et d’autre part, Sami Bouajila qu’on avait connu dans le premier film de Abdellatif Kechiche ‘‘La faute à Voltaire’’ et qui mène aujourd’hui une carrière exceptionnelle en France. Après une absence d’une vingtaine d’années du cinéma tunisien, Sami Bouajila revient avec un rôle complexe qu’il a su incarner avec une justesse invraisemblable. L’acteur franco-tunisien a indiqué qu’il avait été fortement séduit par le scénario du film qu’il avait tout de suite accepté.
Mehdi Barsaoui (à l’extrême droite) avec l’équipe du film. Sami Bouajila, Youssef Khemiri et Najla Ben Abdallah.
Une ode à l’émancipation
Dans un point de presse tenu quelques jours avant la sortie tunisienne de film, Mehdi Barsaoui a fait savoir que le film est en partie inspirée de sa vie personnelle. Issu d’une famille recomposée, il a eu l’idée d’expliquer cette notion de parent biologique et non-biologique et de souligner que l’amour familial dépasse les liens du sang.
Malgré l’annonce bouleversante, le père décide de tout faire pour sauver ce fils dont la vie dépend désormais d’un don d’organe, chose qui s’avérera de l’ordre de l’impossible : «La liste d’attente est extrêmement longue, et la culture du don d’organes n’est pas très développée en Tunisie», fait remarquer le médecin traitant.
À partir de ce point, et en filigrane, le film met à nu le commerce d’organe dans lequel se retrouve le père malgré lui, obligé à avoir recours à des moyens immoraux et illégaux pour sauver son fils. Mehdi Barsaoui ne manque pas également de faire allusion à l’absurdité de certaines lois tunisiennes désuètes comme la restriction du don au cercle familial (sauf sur autorisation parentale), mais aussi à la loi qui condamne l’adultère à 5 ans de prison ferme, ou encore sur la tutelle parentale qui place le père comme premier responsable de la famille.
Le film est donc construit autour d’un drame familial mais propose de manière intelligente et subtile une critique poignante de certains aspects de la réalité sociale et politique, qui sert ici de toile de fond, dans une Tunisie en pleine transition démocratique, mais qui – on le distingue assez clairement dans le film- est en voie d’islamisation.
Mehdi Barsaoui aime présenter son film comme une ode à l’émancipation avec des personnages qui arrivent malgré tout à s’affranchir du poids social de la religion et du patriarcat, mais aussi, à un niveau plus intime, à se défaire de leur égo et de leur rancune pour apprendre à pardonner et à avancer à deux.
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