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Le poème du dimanche: « Nostalgie » de Nâzim Hikmet

Nâzim Hikmet, né le 21 novembre 1901 à Salonique et mort le 3 juin 1963 à Moscou, est l’une des plus importantes figures de la littérature turque du XXe siècle et ce poème est tiré de son recueil ‘‘Il neige dans la nuit’’.

Enfant, Nâzim Hikmet est bercé par la poésie de son grand-père Pacha, gouverneur de la Salonique, et par sa mère, Djélilé -fille d’Hasan Enver Pacha- linguiste francophone et francophile mais aussi artiste passionnée par le piano et la peinture.

Révolté par l’occupation d’Istanbul par les puissances alliées après la première guerre mondiale, exalté par la lutte des paysans turcs pour l’indépendance et enthousiasmé par la révolution d’Octobre, il a tout juste vingt ans quand il part à Moscou, en 1922. Il retourne en Turquie en 1924, après la guerre d’indépendance, mais, victime de persécutions, car c’est désormais un «rouge», il repart à Moscou en 1926 et multiplie les allers-retours.

De retour en Turquie, il est condamné en 1938 à vingt-huit ans d’emprisonnement, car il a publié, en 1936, un éloge de la révolte, ‘‘L’Épopée de Sheik Bedrettin’’, ou le combat d’un paysan contre les forces de l’Empire ottoman. Il est libéré en 1949 grâce à l’action d’un comité international de soutien, formé à Paris par ses camarades Jean-Paul Sartre, Pablo Picasso, Louis Aragon et Paul Robeson.

Hikmet est constamment surveillé. Il échappe miraculeusement à deux tentatives de meurtre, mais ne parvient pas à être exempté du service militaire, qu’on lui demande d’effectuer à cinquante ans. C’est la guerre froide, et il milite contre la prolifération de l’armement nucléaire. Il finira par fuir et s’exiler à Moscou où il mourut le 13 juin 1963 et fut enterré au prestigieux cimetière de Novodevitchi, bien que dans un poème testament il écrivît : «Enterrez-moi en Anatolie, dans un cimetière de village/ Et si possible, un platane au-dessus de moi suffit.»

Cela fait cent ans
que je n’ai pas vu ton visage
que je n’ai pas passé mon bras
autour de ta taille
que je ne vois plus mon visage dans tes yeux
cela fait cent ans que je ne pose plus de question
à la lumière de ton esprit
que je n’ai pas touché à la chaleur de ton ventre.

Cela fait cent ans
qu’une femme m’attend
dans une ville.
Nous étions penchés sur la même branche,
sur la même branche
nous en sommes tombés, nous nous sommes quittés
entre nous tout un siècle
dans le temps et dans l’espace.
Cela fait cent ans que dans la pénombre
je cours derrière toi.

Tu es mon ivresse
De toi je n’ai point dessoûlé
Je ne puis dessoûler
Je ne veux point dessoûler

Ma tête lourde
Mes genoux écorchés
Mes vêtements crottés
Je vais vers ta lumière qui brille et qui s’éteint
en titubant, tombant, me relevant.

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