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Le Covid-19, une opportunité pour réformer le système de santé tunisien

La crise Covid-19 qui secoue le monde entier a ouvert les yeux sur les failles des systèmes de santé dans le monde entier. La marchandisation de ce bien commun qu’est la santé a entraîné des dérives que reconnaissent aujourd’hui tous les responsables politiques, y compris en Tunisie où une réflexion sur une réforme en profondeur est déjà engagée.

Par Dr Mohamed Salah Ben Ammar, Dr Abdelmajid Ben Hamida, Dr Abdelwahed El Abbassi et Dr Skander Mrad

Nous ne pouvons plus continuer sur la même lancée en passant d’une urgence à une crise sans se donner le temps d’une vision partagée pour réformer le secteur de la santé. Notre réponse au défi du Covid-19 doit s’inscrire dans une dynamique au long cours. Il n’est pas rare en ce moment d’entendre et de lire des déclarations d’intention qui nous annoncent que plus rien ne sera comme avant sans que l’on précise exactement en quoi et comment va s’opérer le changement.

Les failles majeures du système de santé tunisien

En Tunisie, la crise a révélé au moins deux failles majeures. Elles se situent à deux bouts de la chaîne du système de santé. La médecine aiguë et les soins de santé de base.

1- En ce qui concerne la médecine aiguë, le manque criant de lits de réanimation. Nous sommes à 3 lits pour 100.000 hab., là où d’autres systèmes de santé sont à 35 lits pour 100.000 hab.

2- La marginalisation de ce qui fut la force de notre système de santé, la première ligne et, plus précisément, la prévention. Sa non-prise en considération dans la stratégie de lutte contre le Covid-19 dénote un hospitalo-centrisme qui est une faille à corriger au plus vite.

Alors que le secteur public hospitalier traverse depuis de nombreuses années une grave crise affectant la qualité et la disponibilité de prestations, plus de 1 milliard de dinars seront programmés pour la construction de 13 nouveaux hôpitaux sur tout le territoire de la république, avec des lignes de crédits étrangers, sans que l’on sache avec quelles ressources ils vont tourner ni comment allons-nous améliorer le fonctionnement de des structures existantes.

Pourtant les dépenses publiques consacrées à la santé (Caisse nationale d’assurance maladie, CNAM + budget de l’Etat) ne décollent pas depuis de nombreuses années et sont toujours autour 4,4% du PIB. Les paiements directs des ménages représentent près de 40% des dépenses courantes pour la santé. Nous sommes ainsi très loin d’être en mesure d’assurer l’accès à des soins de qualité pour l’ensemble de notre population conformément à l’article 38 de notre constitution.

Sur un autre plan, la part du budget consacré à la prévention qui ne dépasse pas les 3% du budget de la santé ne permet pas d’agir en amont de la maladie et sur les facteurs de risque. Cette situation a des répercussions négatives majeures sur la santé de la population. Pourtant il y a un consensus international pour dire que les investissements faits dans la prévention, et pour une première ligne offrant des soins de qualité, sont non seulement les plus rentables mais optimisent et renforcent le bon usage des niveaux spécialisés.

Le secteur privé en pleine expansion depuis les années 90 s’est focalisé essentiellement sur les secteurs de médecine curative, s’est implanté dans les zones de solvabilité et a développé son offre pour l’exportation.

Nécessité de recentrer le système de santé autour de la personne

Une profonde révision de nos pratiques actuellement basées sur une médecine hospitalière et les paiements à l’acte est indispensable. La santé familiale et de proximité doit reprendre pleinement la place naguère occupée par la première ligne et contribuer ainsi à l’efficacité et l’efficience de l’ensemble du système de santé. Une régulation nationale effective et transparente doit veiller au déploiement et au développement équitable du système de santé.

Le dialogue sociétal nous a produit un projet de politique nationale qui vise à recentrer le système de santé autour de la personne et à donner à la protection de la santé toute l’importance requise. Il doit demeurer le cadre de travail des réformes à entreprendre.

Recommandations et pistes de réformes

Nous rappelons :

• que seul un secteur public performant au niveau de ses trois lignes sera à même de garantir une offre de soins de qualité, sûre, accessible et équitable sur tout le territoire et centrée sur le citoyen et le bien-être de la communauté;

• qu’il ne saurait y avoir plusieurs systèmes de santé à plusieurs vitesses dans un pays démocratique mais un seul système de santé avec plusieurs composantes qui concourent à l’accès équitable à des soins de qualité pour tous les citoyens : secteur privé, parapublic (militaire…) et que le secteur public reste le pilier et la référence pour les soins, l’enseignement et la recherche;

• que le financement de la santé exige un effort national de solidarité ;

• que le principe du pré-payement généralisé des soins est une condition sine qua non pour protéger les citoyens en cas de maladie et assurer une couverture médicale universelle réelle et équitable.

Nous appelons à :

• une réflexion nationale multisectorielle, urgente qui doit se construire à partir des produits du dialogue sociétal sur la santé et entreprendre une réforme globale de notre système de santé qui tienne compte aussi bien des besoins exprimés que de données factuelles et des projections futures : épidémiologiques, ressources humaines, budgétaires…

• à la mise en place d’une réelle complémentarité et pour un équilibre optimum des moyens disponibles entre les trois lignes de santé;

• à la mise en place d’un réseau national de santé qui devra être fondé aussi bien sur le préventif que sur le curatif;

• à la mise en place d’un système de valorisation de toutes les professions de santé financièrement mais aussi garantir le droit au développement professionnel continu;

• à la mise en place d’un régime de base unifié et à une réforme globale qui intègre la gestion des assurances médicales gratuites dans le dispositif de la CNAM;

• à la mise en place d’une régulation effective et factuelle par l’Etat de l’offre de services, publique et privée, qui veillera à assurer une répartition territoriale équitable et la qualité, la sécurité et l’efficience des prestations;

• à l’implication rapide et effective de la première ligne dans la lutte contre le Covid-19 et sa pleine participation dans la conduite et les ajustements de la stratégie mettant à profit sa connaissance du terrain et sa proximité de la population.

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