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Quand le retour au pays cesse d’être un droit, que reste-t-il de la citoyenneté ?

Des Tunisiens ont forcé, hier, lundi 20 avril 2020, le point frontalier de Ras Jedir, entre La Libye et la Tunisie.

Après la fermeture des frontières pour prévenir la propagation de la pandémie du coronavirus (Covid-19), le gouvernement a déjà rapatrié plusieurs milliers de Tunisien(ne)s bloqué(e)s dans des pays d’Europe, d’Afrique, d’Amérique et d’Asie. Des dizaines de vols de la compagnie Tunisair ont pu ainsi ramener ces citoyen(ne)s au pays, mais beaucoup attendent toujours, aux quatre coins du monde, de bénéficier de ce… «privilège».

Par Mohamed-Chérif Ferjani *

Des centaines, peut-être même des milliers, de tunisien(ne)s attendent que les autorités leur permettent de rentrer en Tunisie et ouvrent l’espace aérien aux compagnies prêtes à organiser des vols pour les ramener dans leur pays. Les un(e)s sont parti(e)s en voyage pour quelques jours et se sont retrouvé(e)s bloqué(e)s. Les autres ont perdu leur travail et n’ont plus de quoi vivre. D’autres encore veulent rentrer voir les leurs ou passer leurs vacances, comme d’habitude, dans leur pays en acceptant de se plier aux règles de sécurité sanitaire.

Les moyens de transport de l’armée peuvent être utilisés

Par-delà les différences entre les situations des un(e)s et des autres, ce sont tou(te)s des citoyen(ne)s qui ont le droit de rentrer au pays, et il n’y a aucune raison valable pour ne pas leur permettre de jouir de ce droit, ou d’opposer les situations qu’ils vivent pour établir des priorités qui n’ont pas lieu d’être, surtout que les moyens de les rapatrier tou(te)s ne manquent pas : la flotte de Tunisair à elle seule peut ramener en une semaine, sinon en une journée, tou(te)s celles et ceux qui veulent rentrer; d’autres compagnies n’attendent que l’ouverture de l’espace aérien tunisien pour organiser des vols; pour celles et ceux qui sont bloqué(e)s dans des endroits inaccessibles à l’aviation civile, les moyens de transport de l’armée peuvent les ramener.

Les hôtels, les auberges de jeunesse, les internats scolaires qui sont vides peuvent servir de lieux de confinement pour des dizaines et des centaines de milliers de personnes.

Beaucoup sont prêts à payer leur billet, voire leur séjour de confinement à l’hôtel, pourvu qu’on les laisse rentrer. Invoquer le manque des moyens n’a aucun sens surtout quand on compare la situation de la Tunisie par rapport à d’autres pays où le nombre de morts se compte par milliers et celui des personnes atteintes par le virus et des hospitalisés se compte par dizaines et centaines de milliers et qui n’ont pas pour autant fermé la porte au retour de leurs ressortissants à l’étranger.

Il n’y a donc aucune raison pour ne pas répondre à demande des Tunisien(ne)s qui veulent rentrer, sans discrimination entre les un(e)s et les autres. L’attitude des autorités qui continuent à organiser des rapatriements sélectifs et au compte-gouttes est incompréhensible et représente un déni de droit de citoyenneté inadmissible.

Beaucoup n’ont plus de travail et ont épuisé leurs économies

Le dimanche 19 avril 2020, des dizaines de personnes se sont entassées devant l’ambassade de Tunisie à Doha parce qu’elles avaient appris qu’un vol de rapatriement a été, enfin, décidé pour le 21 avril ! Elles étaient serrées les unes contre les autres, dans des conditions d’insécurité scandaleuses, sous une chaleur suffocante, dans la cour de l’ambassade. Un représentant de l’ambassade est sorti pour leur annoncer que la liste, encore inconnue, des passagers prévus pour ce vol a été établie par le ministère des Affaires étrangères et qu’elle ne concerne que les seules personnes venues au Qatar pour un voyage. Les personnes qui étaient là pour le travail, quelle que soit leur situation professionnelle aujourd’hui, ne sont pas prévues au programme.

À celles et ceux qui protestent en disant qu’elles n’ont plus de travail, que leurs petites économies se sont évaporées en raison du coût de la vie et qu’elles/ils n’ont plus de quoi vivre, la réponse fut : «On ne peut rien vous dire ! On ne veut pas vous donner de faux espoirs. Envoyez des mails et vos coordonnées. On vous répondra quand on sera informé de nouvelles mesures vous concernant.» **

C’est comme si l’Etat et ses représentations n’ont pas l’obligation d’assister les ressortissants du pays, où qu’ils se trouvent, en vertu des droits que leur garantissent la constitution et les conventions internationales ratifiées par le pays !

Le chef de l’Etat, en tant que garant de la constitution, le chef du gouvernement en tant que premier responsable de la politique prenant en charge la gestion des affaires de tou(te)s les citoyen(ne)s, le ministère des Affaires étrangères, les ambassades et les représentations consulaires qui ont l’obligation de venir en aide aux Tunisien(ne)s à l’étranger et de veiller au respect de leurs droits, le ministère des Transports, dont relèvent la compagnie Tunisair et l’administration des aéroports doivent assumer leurs responsabilités et mettre fin à cette attitude scandaleuse de déni de droit.

* Universitaire et écrivain.

** Un avion de Qatar Airways a finalement débarqué aujourd’hui, mardi 21 avril 2020, à l’aéroport de Tunis-Carthage, avec à son bord 249 Tunisiens dont 110 dont le visa de séjour a expiré.

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