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Liban : l’heure de vérité

Les banques, saccagées par les manifestants, incarnent tous les maux du système en place.

En défaut de paiement depuis mars, le Liban est confronté depuis des mois à la pire crise économique de son histoire. Rongé par la pauvreté, qui atteint la moitié de la population, il est au bord de l’explosion sociale et politique.

Par Hassen Zenati

Six semaines de répit. C’est la trêve que la pandémie du Covid-19 a consentie au gouvernement de Hassane Diab, qui se débat depuis son investiture, fin janvier, contre une crise économique et financière inextricable, venue se greffer sur une crise sociale et politique récurrente.

Arrivé au pouvoir après la chute du gouvernement de Saad Hariri, emporté en octobre dernier, par une violente vague de contestation contre la corruption, Hassane Diab, de confession sunnite, comme l’exige la constitution, est soutenu par une coalition atypique et fragile formée de deux formations chiites: Hezbollah et le Mouvement Amal, ainsi que le Courant patriotique libre du chef de l’Etat (chrétien) Michel Aoun. Le Courant du futur (sunnite de Saad Hariri), pivot jusque-là des majorités parlementaires libanaises, s’est abstenu.

La crise économique aggravée par la crise sanitaire

Après six semaines de confinement, les manifestants ont repris de nouveau la rue à la fin de la semaine dernière pour demander un gouvernement «propre», des réformes institutionnelles, mais surtout du travail et des moyens pour assurer leur survie, alors que l’activité économique est grippée par la crise sanitaire. Pour eux, l’heure de vérité a sonné. Près de la moitié des Libanais vivent désormais sous le seuil de pauvreté, selon la Banque Mondiale.

L’épicentre de la contestation se situe à Tripoli (nord du pays), ou des heurts ont opposé les forces de sécurité aux manifestants : gaz lacrymogènes contre cocktails Molotov. On ne déplore qu’un seul mort, un jeune garagiste, mais on compte par ailleurs plusieurs dizaines de blessés et plusieurs arrestations dans des conditions de brutalité dénoncées par Amnesty International.

La tension est brusquement montée de plusieurs crans dans les grandes villes, lorsque les manifestants ont pris pour cibles les agences bancaires, accusées de tous les maux du pays. Il leur est reproché les restrictions draconiennes imposées sur les retraits de leurs avoirs en dépôt, qui ne passent pas. Le retrait maximum par personne et par semaine, a été d’abord fixé entre 200 et 400 dollars, avant d’être interrompu, et, dans la foulée, les transferts de devises à l’étranger ont été interdits.

Outre qu’elles sont jugées «illégales», les mesures décriées équivalent, aux yeux des usagers, à une déclaration de faillite des banques. Elles ne sont pas faites pour rassurer les épargnants, saisis de panique. La livre libanaise, indexée depuis 1997 sur le billet vert américain, s’est littéralement effondrée. Ces dernières semaines, elle a crevé le seuil de 4.000 livres pour un dollar, perdant 150% se sa valeur dans les bureaux de change au noir, alors que le taux officiel est resté inchangé à 1.507 livres.

Les banques accusées de tous les maux du système

Malgré les démentis répétés des autorités bancaires, certains redoutent même que les banques imposent un «haircut» à leurs clients, en ponctionnant une partie de leurs dépôts à la manière de Chypre, à l’apogée de la crise financière traversée par l’île en 2012. Les banques sont accusées par la rue de complicité avec le pouvoir et d’avoir contribué à l’endettement public effréné et à la faillite de l’État.

Pilier du système, la Banque centrale du Liban est elle aussi en pleine tourmente. Elle est accusée d’avoir été incapable d’enrayer la chute de la livre, alimentant ainsi une inflation galopante, estimée à 55% par le ministre de l’Économie, Raoul Nehmé. Mais son discret gouverneur Riad Salamé a rompu le silence pour rejeter la responsabilité du marasme économique sur la classe politique qui, selon lui, s’est engagée à faire des réformes – celles préconisées depuis longtemps par le Fonds monétaire international (FMI) – qu’elle n’a pas faites. Il a rappelé aussi que la Banque centrale n’a pas cessé ces dernières années de financer l’Etat, en se demandant in petto où sont passées ces avances. «La Banque centrale a toujours réclamé des réformes, mais je ne sais pas s’il y avait une volonté politique de les faire», a-t-il asséné.

Un plan de relance économique qui tarde à venir

Le Premier ministre Hassane Diab, qui a reconnu «une aggravation à une vitesse record de la crise sociale», affirme travailler sur un plan de relance économique, qu’il doit présenter incessamment.

Depuis mars dernier le pays, qui croule sous le poids d’une dette de 92 milliards de dollars, représentant 170% de son PIB, s’est déclaré officiellement en défaut de paiement (faillite), pour la première fois dans son histoire. Il a demandé l’aide du FMI. Mais, une partie de la classe politique méfiante craint «la mise sous tutelle» du pays et la perte de toute autonomie économique au profit de ce dernier.

Derrière ces crises économique et sociale se profile aussi une crise politique et institutionnelle. Les Libanais ne manifestent pas seulement pour améliorer leur ordinaire, mais aussi pour dénoncer la corruption et l’incompétence de leurs gouvernants. Ils réclament un «nouveau Liban» démocratique, débarrassé de son confessionnalisme.

Le système politique établi sous la tutelle française à l’indépendance du pays, devenu archaïque, a atteint ses limites depuis longtemps, selon la majorité des jeunes manifestants. Ils exigent son abandon.

Ce système prévoit un partage du pouvoir entre les trois principales confessions du pays, avec notamment un président de la république chrétien maronite, un chef du gouvernement musulman sunnite et un président de l’assemblée musulman chiite.

Le système politique gravite par ailleurs autour des ce qu’on appelle au Liban les «grandes familles», qui sont accrochées au pouvoir et à ses avantages. Les manifestants qui brandissaient en octobre dernier à Beyrouth et Tripoli le slogan : «Ni chrétiens, ni musulmans, unité nationale», savent qu’il sera sans doute difficile de les en déloger et que le chemin de la réforme sera long. Il reste en effet jalonné de peurs et de méfiance réciproques, dans une région qui est une véritable poudrière prête à exploser à tout moment.

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