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Football : Le Prince Al Walid Ben Talal et le Greenwich tunisien

Le sponsoring du football professionnel est une lutte d’influences et de capitaux. Le championnat tunisien affiche une ergonomie décousue financièrement. Attirer quelqu’un comme Al Walid Ben Talal nécessite des efforts de part et d’autre. Pouvoir compter sur une personnalité de ce gabarit permettrait de bonifier les approches gestionnaires tunisiennes en matière de placements, de matelas de sécurité donc de vigilance sur le capital.

Par Jean-Guillaume Lozato *

Le déferlement d’images se présente comme proportionnel aux sommes d’argent déployées pour investir et développer le sport de haut niveau. Des sommes colossales drainées à travers le monde. De la Formule 1 à la NBA. En passant par le tennis et bien évidemment le football. Ce dernier étant la pratique sportive dont la popularité est la plus conséquente, répartie de la manière la plus homogène sur la planète.

Le sponsoring contribue au renforcement des équipes de foot sur le plan sportif en veillant à la mise en place de politiques structurelles. De la communication aussi car le sport peut devenir la vitrine d’une ville, d’une région, d’une nation. On peut logiquement employer l’expression «foot business» pour parler du ballon rond du vingt et unième siècle. Ce mot valise, pour employer un terme technique cher aux linguistes et autres philologues, résume tout un état d’esprit allié à une façon de faire commerciale.

Le foot tunisien des vingt premières décennies de notre siècle est tenu d’évoluer selon les paramètres désormais en vigueur. En adaptant les politiques de formation avec les politiques de financement. La recherche est primordiale pour progresser sur le plan des résultats purement sportifs et sur le plan de la gestion administrative et financière.

Synthèse entre vivacité africaine, improvisation maghrébine et gestion du résultat italienne

L’hypothèse d’un homme providentiel en la personne du richissime Al Walid Ben Talal est plaisante à envisager. Une hypothèse inattendue, fantaisiste mais peut-être pas si utopique.

Le panorama offert par le foot tunisien depuis l’épopée de la Coupe du Monde en Argentine de 1978 avec la bande de Tarak Dhiab joue sur deux tableaux : l’attachement à des traits caractéristiques et une recherche de l’innovation qui n’est que progressive. Une variable d’ajustement est donc nécessaire pour harmoniser les deux.

Les traits caractéristiques du pays des Aigles de Carthage concernent les ressources humaines dédiées aux joueurs. Le football tunisien est un football essentiellement technique, parfois vif, parfois basé sur la conservation de balle défensive un peu lente. Une intéressante synthèse entre vivacité africaine, improvisation maghrébine et gestion du résultat italienne ou méditerranéenne en général.

Un jeu différent du jeu arabe à l’égyptienne où le jeu de tête a son importance, ou de celui de l’école irakienne dans la préparation physique. Différent aussi du jeu grec moins technique, ou du jeu turc marqué par le sursaut mental. Puis l’équipe nationale peut se targuer d’avoir pu bénéficier d’une vraie école de gardiens de but (depuis Attouga les talents se sont succédé jusqu’à nos jours) par rapport aux autres formations arabes. Le Maroc (on peut citer Allal, Zaki) et L’Algérie (pensons à Cerbah, Osmani, M’bohli) ont par exemple eu des contingents de goals irréguliers d’une génération à l’autre, se basant heureusement sur un jeu produisant des balles en longueur plus fréquentes en comparaison avec les rouges et blancs.

En outre, le Tunisien demeure attaché à son pays, à son championnat, voire à l’équipe de ses débuts. Dans l’Histoire, il s’est moins expatrié que ses homologues algérien et marocain.

Le plafond de verre a été atteint mais pas dépassé

Le caractère innovateur s’est d’abord manifesté par l’obtention de résultats, d’exploits, de titres. La qualification et la physionomie des rencontres en phase finale au Mundial Argentina 78 reste LA référence. Par la suite le retour à la Coupe du Monde vingt ans plus tard exactement a été porteuse d’espoirs. Avec des confirmations soit au ralenti (des participations régulières à la grande compétition internationale mais jamais le cap du premier tour n’a été franchi) soit épisodiques avec des victoires intéressantes en matchs amicaux ou sous la forme de l’expatriation plus fréquente de joueurs (de Khaled Badra en Autriche à Wahbi Khazri en France, en passant par Taoufik Hicheri au Portugal, Hatem Trabelsi aux Pays-Bas ou alors Oussama Darragi en championnat algérien), d’entraîneurs (Faouzi Benzarti au Maroc) ou encore au niveau continental avec le titre final remporté à la CAN 2004.

Parallèlement, les approches médiatiques ont été dès les années 90 et l’émission ‘‘El Ahad Riyadi’’ sur la chaîne TV7. En ce temps-là, à la jonction des 20e et 21e siècles, l’audiovisuel tunisien était le seul en Afrique du Nord à pouvoir prétendre rivaliser avec Al Jazira Sport quant aux capacités d’analyses centrées sur le foot étranger. Tout ça a été rendu possible par des juxtapositions de compétences. Hélas ces juxtapositions ont souvent été des assemblages non coordonnés, ce qui a donné un sentiment de stagnation.

La requalification en Coupe du Monde en France en 98 porteuse d’ambitions n’a été suivie que peu d’effets sur le long terme, malgré le choix judicieux de sélectionneurs nationaux ou étrangers (l’italien Francesco Scoglio et surtout le français Roger Lemerre ont été excellents), en dépit de quelques coups d’éclat collectifs ou individuels.

Certains joueurs tunisiens ont été mal conseillés dans leurs choix de carrière (Akaichi, ou même Chikhaoui qui avait les capacités de jouer ailleurs qu’en Suisse). Le plafond de verre a été atteint mais pas dépassé. Pour le percer il faut crever l’abcès. Car en dehors des aspects liés directement aux personnalités des choses sont à reconsidérer.

Le sponsoring, un maillon nécessaire

En dehors du facteur humain, l’aspect administratif et financier compte tout autant dans les méandres managériaux composant le foot moderne.

Les aménagements et les politiques de formation des jeunes représentent des segments-clés. Des belles intentions qui peuvent récolter plus facilement de belles paroles que du factuel. Le sponsoring détient des solutions pour démêler de semblables cas de figures. Malheureusement, il balbutie à Tunis comme dans d’autres endroits de la patrie car il s’opère de manière décousue et est davantage vers le partenariat local. Gardons à l’esprit que le sport de haut niveau draine une cohorte de flux financiers, des droits télévisuels aux activités liées au merchandising. L’action de sponsoriser participe activement à ce concert de financements, particulièrement dans le domaine du football. La Juventus (Famille Agnelli et Fiat, Jeep), le PSG (le Qatari Nasser Al Khelaifi, le groupe hôtelier Accor, Nike, Qatar Airways, beIN Sports, Mac Donald’s, le tourisme avec MSC, le groupe bancaire Boursorama), le Barça (Rakuten, Nike, Beko, Nestlé, Coca-Cola, China Taiping…), le Real Madrid (Emirates, Adidas, Coca-Cola, Hankook, Hugo Boss, groupe hôtelier Palladium…) sont là pour nous le rappeler. Sans oublier des clubs allemands comme le Bayern Munich (qui a ouvert d’âpres négociations avec le constructeur automobile BMW tout en étant en relation avec Tik Tok) ou le Bayer Leverkusen lié au groupe pharmaceutique Bayer, Schalke 04 et Gazprom. Et que dire de l’influence de l’oligarque Abramovitch en Angleterre avec Chelsea ?

Pendant ce temps, les sponsors les plus importants dans le plus petit pays du Maghreb sont les opérateurs nationaux Tunisie Telecom (équipe nationale et plusieurs clubs), Ooredoo (Club africain; prise en charge de l’équipe nationale à hauteur de 2,5 millions de dinars annuels à partir de 2017). Viennent ensuite Orange Tunisie (plusieurs clubs), Délice Holding et autres JMC, la filiale locale de Honda. Essentiellement locaux donc. Ensuite, on s’aperçoit que les seuls «gros» sponsors de renommée internationale avec une capitalisation boursière conséquente sont Coca-Cola et Vatika, filiale importante du groupe Daibu installé «moralement» en Inde mais dont le siège social se situe à Dubaï.

Là aussi le caractère homogène est loin d’être évident puisque, aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est dans l’excentrée et méconnue localité de Jendouba que nous rencontrons un autre leader international. Le sponsor de Jendouba Sports est l’équipementier auto allemand Mann Filter (Mann Hummel) fournisseur du groupe PSA, cohabitant avec une marque de soda. Ceci reflète la désarticulation ambiante. Même ressenti avec Coca-Cola du côté de L’US Métlaoui. Le reste des sponsors se compose éclectiquement de sociétés locales peu connues en dehors de l’aire de chalandise correspondant à la terre du mézoued et de l’harissa. Comme les sodas Boga, les eaux minérales Sabrine et Hayet, Somocer (pour la JS Kairouan), Pro Pizza, Tunisie Sucre et Natilait (pour le CAB), Jadida, Goldina, Délice. Les tous derniers groupes industriels évoqués nous amènent vers le secteur des produits laitiers.

À l’instabilité de la situation peut succéder une vulnérabilité de la trésorerie de la Fédération tunisienne de football (FTF) et des deux divisions supérieures, si l’on considère qu’il y a eu l’apparition d’une crise du lait tunisien, récemment devenu moins compétitif.

La machine Espérance de Tunis, véritable conglomérat omnisport et monstre budgétaire (capital chiffré entre 12 et 13 millions d’euro en 2020), est comparée par certains spécialistes au Wydad de Casablanca, autre poids lourd continental. Il se trouve que le président des «sang et or» n’est autre que Hamdi Meddeb, président du groupe Délice. Une double casquette emblématique qui résume la nécessité de varier les sources de financement parallèlement aux canaux de recrutement relatifs aux réalités du rectangle vert.

Un exemple à suivre par la Tunisie : le Portugal

Le sursaut dimensionnel pourrait passer par un audit interne et en prise avec les réalités.

Dans un premier temps, les sponsors tunisiens composeraient un consortium afin de préserver le foot de l’élite pour l’intérêt de tous. Cette uniformisation bénéficierait également à la deuxième division. Pas seulement à la plus haute marche de classification. En ce sens, un parallèle peut s’établir avec le championnat portugais. Les deux nations s’étalent sur une petite superficie. Le nombre d’habitants est restreint, les densités de peuplement inégales, principalement côtières, ce qui transparaît dans l’esprit des deux peuples (l’hymne national portugais évoque les héros de la mer dans son titre; la chanson traditionnel tunisienne comporte «rais el-bahar» ou prince de la mer dans son répertoire folklorique).Les similitudes lusitaniennes avec le championnat tunisien se retrouvent dans l’historique de la première division. Avec un découpage qui longtemps n’a inclus que quatorze ou seize équipes. Mais les points communs sont allés en s’estompant ces dernières années. Avec plus d’équipes. Avec l’implantation de sponsors étrangers plus nombreux et plus importants. Avec un fossé moins grand entre première et deuxième division. C’est l’exemple à suivre pour la Tunisie.

Dans un second temps, après avoir tenu compte des paramètres locaux, il faudra adopter un angle de vue installé entre le national et l’international afin que l’angle de vue ne se transforme pas en angle mort.

Il y a peu de temps, la presse spécialisée a spéculé sur une reprise de l’Olympique de Marseille par Al Walid Ben Talal. Cet homme d’affaires saoudien n’y a peut-être pas pensé, mais la patrie de Bourguiba a les atouts pour instaurer une relation gagnant-gagnant par l’intermédiaire du football, et sait-on jamais avec le handball par la suite.

Depuis l’apparition du Covid-19, le marché s’est sclérosé. Le Pays du Jasmin doit saisir l’occasion de se faire remarquer par les puissances industrielles et financières étrangères. Le milliardaire saoudien représente un homme d’influence dans le milieu des affaires et sur le plan politique. Le propriétaire de l’hôtel George V à Paris peut faire preuve de démesure autant que de sagesse. Alors que le président américain Donald Trump possède sa propre tour la Trump Tower, le business man arabe a fait édifier sa Jeddah Tower. Comme son nom l’indique, la référence à la localité de l’est saoudien est directe. Une ville justement qui pourrait se poser en point de départ d’une réflexion sur une collaboration entre Arabie-Saoudite et Tunisie.

L’Ittihad Jeddah a été le club de l’ancien attaquant international tunisien Temime Lahzami. Contrairement à son coéquipier et compatriote Mohamed Ali Akid, décédé dans des circonstances floues au club d’Al Nasr de Riyad. Une décentralisation de Riyad à Jeddah qui pourrait faire repartir des relations diplomatiques sur des bases plus saines. Autre élément majeur du profil du riche saoudien: sa personnalité réputée plus ouverte – là aussi quelques bémols car le monde occidental avait eu énormément de mal à cerner le Prince Mohammed Ben Salmane –, supposée plus laïque, sa communication affable alliée à sa nuque longue décontractée tranchant avec le rigorisme du Royaume Saoudien et contrastant avec l’austérité de son statut de prince. Ce qui tombe bien puisque la Tunisie et la laïcité ont entamé un long dialogue, par rapport à ce qui se fait en général dans le monde arabe.

Néanmoins c’est vers Marseille que les rumeurs expédient le Prince Ben Talal apparenté à la famille régnante Al Saoud. Oui, le membre du clan fondateur du royaume est un amoureux de la France. Oui, il avait soutenu le parti LREM lors des élections présidentielles hexagonales. Cependant, Emmanuel Macron est en perte de vitesse dans une France où le taux de chômage risque de monter à 15%, dans une Europe replacée face à des échéances pandémiques. Un continent où l’immobilier est au ralenti et où la consommation est tronquée à la fois par des problèmes d’approvisionnement et des réalités économiques quotidiennes changeantes: ralentissement de la consommation de 33,7% en France, recul de l’activité du secteur automobile européen estimée à 76,3%. L’Allemagne, gros pays exportateur d’automobiles et déjà fragilisée par l’affaire du Diesel Gate, créera-t-elle la surprise d’un taux de chômage à 10%? Et que dire du PIB italien en roue libre ?

À mi-chemin entre la Péninsule Arabique et la cité phocéenne siège l’étape tunisienne insoupçonnée jusque-là, comme un avant-poste ou un propulseur, et non comme un goulet d’étranglement pour les ambitions du riche «khaliji». Ben Talal a obtenu deux titres équivalents : Commandeur de la Légion d’Honneur en France et Grand Officier de l’Ordre de la République en Tunisie. Ce double passeport honorifique agit comme en faveur de deux jokers dépourvus d’hydrocarbures à l’influent représentant de la pétromonarchie. Lequel dispose d’un choix. La France a déjà obtenu ses faveurs. Pourquoi pas la Tunisie cette fois ? De plus cela ferait adopter à Ben Talal une forme de dissidence de par son image de libéral progressiste, lui qui est déjà auteur d’actions philanthropiques ou en faveur du rapprochement œcuménique à travers le financement de l’Université de Georgetown.

Aussi, le pays de la Révolution du Jasmin constitue une opportunité. Ben Talal avec son sens des affaires peut le deviner, en économie il est prudent de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Et prendre une équipe professionnelle de foot sous son aile, même partiellement, représenterait une ouverture pour la pénétration d’un marché.

Le sponsoring du football professionnel est une lutte d’influences et de capitaux. Le championnat tunisien affiche une ergonomie décousue financièrement. Attirer quelqu’un comme Al Walid Ben Talal nécessite des efforts de part et d’autre. Pouvoir compter sur une personnalité de ce type permettrait de bonifier les approches gestionnaires tunisiennes en matière de placements, de matelas de sécurité donc de vigilance sur le capital.

Une occasion comme celle-ci, favorisée par la pandémie, ne se représentera pas avant longtemps et servirait à définir un vecteur de développement dans une Tunisie post-Printemps Arabe encore en friche.

Le Maroc a multiplié les partenariats avec les Émirats arabes unis. L’Algérie s’était tournée vers la France et la Chine plus régulièrement il y a quelques années. La France vers le Qatar. La Tunisie rassemble des conditions idéales pour un investissement en douceur dans le management sportif et événementiel. L’autre aspect à ne pas omettre est que le partenariat avec le mécène saoudien possède des atouts pour instaurer une relation gagnant-gagnant.

Il y a quelques décennies, la Turquie était sortie de son inertie et son championnat est devenu le plus valorisé parmi les pays musulmans grâce à de nouvelles politiques d’investissement. Maintenant passons de l’étendard turc au pavillon tunisien.

La Tunisie pourrait devenir le méridien de Greenwich du football arabe et euro méditerranéen en contribuant à la diversification du portefeuille d’actions saoudien. Dont elle recueillerait les dividendes en matière d’expérience et de renforcement relationnel. À condition que les divers agents économiques comprennent au plus vite que le relationnel doit s’envisager comme un réseau ou à la limite en terme d’affectif objectif, non en clientélisme contre-productif, encore moins sous forme de corruption.

* Enseignant en langue et civilisation italiennes auprès de l’ENSG et l’UPEMLV, auteur de recherches universitaires sur le football italien comme phénomène de société.

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