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L’Europe en position de redevable : Entre récession, sécession et scission

La problématique des migrants frappant aux portes de l’Europe et celle de la pandémie du coronavirus (Covid-19) venu de Wuhan font vaciller une Union européenne (UE) qui va en ressentir de manière imminente de préjudiciables contrecoups économiques et politiques. Cet ensemble en voie de dislocation doit réagir rapidement et se déployer autrement…

Par Jean-Guillaume Lozato *

Imprévisible. Une crise se superpose à une autre. De celles des subprimes en 2008 à celle du coronavirus, cette année 2020. De monstre en monstre mutant. De Terminator à Terminator II, en quelque sorte, tant l’affaire du Covid-19 semble posséder des compétences de nuisance sur plusieurs tableaux et avec une intensité des plus vives.

Sur la scène européenne, deux ténors se répondent pour un échange qui n’a rien d’une opérette légère : l’Italie avec Salvini et la Turquie avec Erdogan. Un cri en deux exemplaires séparés – sans se présenter de façon totalement disharmonieuse – qui ne se résume pas au simple exercice de vocalise.
Italie. Turquie. Mélangez bien les ingrédients. Vous obtiendrez un cocktail intéressant, dis-homogène de prime abord. Au point de peu susciter l’intérêt, général ou gouvernemental.

L’interface méditerranéenne se présente à nouveau comme un terrain polémique avec deux phénomènes de grande ampleur. Le premier a trait à l’émigration, à l’exil. Le second à l’arrivée du coronavirus.

Dans ce contexte extrêmement tendu, quel serait exactement la position des hautes instances européennes vis-à-vis des deux nations ?

Catastrophe épidémique et problème du flux migratoire

La gestion des migrants constitue déjà un tout premier aspect du dossier relationnel. Cet aspect sera renforcé par l’analyse des évolutions diplomatiques autour du contexte brûlant du coronavirus propagé à partir de la Chine.

De récentes saillies verbales nous sont parvenues en provenance du quartier général de l’ancien Empire Romain et depuis l’Ancien Empire Ottoman. La première salve, envoyée par Matteo Salvini, se manifeste ainsi : «Que toute l’Europe devienne une zone rouge». La seconde est l’œuvre de Recep Tayyip Erdogan : «Hé la Grèce ! […] Laisse-les aller dans d’autres pays européens». La première phrase à propos de la catastrophe épidémique. La seconde étant liée au problème du flux migratoire.

Ces souhaits, ces injonctions sont prononcées non pas directement par rapport à la politique intérieure de leurs auteurs, mais vers l’étranger. Cette tribune élargie se fait l’écho des frustrations qui animent les deux personnalités politiques clivantes. Et par là ceci met évidemment en difficulté une UE aux prises avec des ennuis majeurs économiquement, politiquement, sanitairement.

Bien sûr, le tout premier sujet sur lequel il est dangereux de s’entretenir est la question migratoire. En effet, chronologiquement, les négociations autour des afflux de migrants ont été parsemées de dénégations, tergiversations pathétiques indignes d’un siècle que l’on imaginait avancé.

Dans ce cas, c’est l’Espagne et l’Italie qui se sont retrouvées concernées les premières, particulièrement depuis le Printemps Arabe. Phénomène amplifié par la situation géographique plaçant les deux nations comme un pont idéal de la Méditerranée à des contrées comme la France, l’Allemagne, l’Angleterre.

Avec une position d’interlocutrice de l’émigration renforcée encore plus pour l’Italie, l’île de Lampedusa ayant été l’objet de la majorité des convoitises transitionnelles, de par sa proximité avec la Tunisie et la Libye. Puis, le deuxième axe de cheminement migratoire a été matérialisé par la Turquie, frontalière de la Syrie, de l’Irak.

C’est presque un état de guerre bactériologique

Dans l’ensemble, en observant ces deux cas de figures, une unité de traitement de la part de l’UE nous apparaît : le pourrissement de la situation au détriment des deux Etats susnommés gérant eux-mêmes une situation aussi pesante que complexe. Effectivement, gestion des arrivants, déploiement de moyens humanitaires, installation d’une logistique, tout cela concoure à une pression constante. Sans compter le fait de patrouiller pour les Italiens et l’activité militaire intense pour les Turcs.

Par conséquent, les Turcs et les Italiens sont devenus malgré eux les gardes frontières d’une UE paraissant distante, voire ingrate (l’épisode de Bardonecchia par exemple; le manque de démonstration envers les efforts turcs pour contenir les Syriens en transit).

La porosité frontalière de l’UE a été tout dernièrement mise à l’épreuve sur le plan immatériel cette fois-ci. Avec l’apparition du coronavirus, c’est presque un état de guerre bactériologique qui s’est instauré pour le plus grand inconfort de toutes et de tous.

Une nouvelle délimitation séparant l’Italie du reste de l’Europe

Le pays du «Bel Canto» est en train de jouer la mélodie bien dramatique du désespoir face à un amoncellement de victimes du Covid-19. Par voie de conséquence, le nombre de dépistés mais aussi de décès est allé crescendo. À tel point que le nord, complètement condamné à l’isolement, a vu son traitement par les autorités italiennes étendu dorénavant à l’ensemble de la péninsule. Une quarantaine aux allures de couvre-feu qui n’a rien à voir avec un paisible entracte.

Ensuite, une autre chose se présente comme vraiment préjudiciable. Il s’agit de l’attitude de l’UE, qui n’a pas réagi avec la plus grande immédiateté. Malgré les mises en garde transalpines. En ce sens, officialiser un partage des fautes de manière équitable est loin d’être aisé; tout comme il est compliqué de porter un jugement impartial selon que l’on se place d’un côté ou de l’autre des frontières.

En outre, il est apparu à nos esprits comme l’établissement d’une nouvelle délimitation séparant la nation italienne du reste de l’Europe. Ce qui tombe à merveille puisqu’en italien frontière se traduit par «confine», lequel mot se caractérisant par un air de famille saisissant avec «confinement».

L’Union européenne en position de redevable envers l’Italie et la Turquie

On a beaucoup parlé de la faculté d’impact d’une récession ou d’une mise à l’arrêt de l’économie chinoise, en s’exprimant autour d’expressions telles que «usine du monde» ou «atelier du monde», de l’effet domino qu’elle est en mesure de produire en raison de chiffres impressionnants. Par là, on a facilement passé sous silence l’influence de la santé économique et financière de l’Italie sur le Vieux Continent. En parallèle, on peut en juger par l’attitude des autorités européennes s’égarant lors de réunions hors-sujet. De l’inconscience pure.

L’Europe est en position de redevable à bien des égards, à des degrés divers, envers l’Italie et la Turquie.

Crise humanitaire et crise sanitaire sont en train de se superposer. La problématique des migrants et la problématique du virus venu de Wuhan font vaciller une UE qui va en ressentir de manière imminente de préjudiciables contrecoups économiques. Le nord de l’Italie pèse énormément sur le PIB national mais également sur la balance des échanges en Europe, de par l’intensité de son tissu industriel. L’Italie détient une dette extérieure de 134 milliards et l’effet de contagion pourrait se produire y compris dans ce domaine. Négliger la Turquie constitue aussi une erreur pas seulement sur le seul plan diplomatique.

Dans le même temps, les partenariats avec la Chine sont susceptibles d’évoluer de la contraction vers l’arrêt puis par la déviation, sans forcément déboucher sur une reprise.

Vers une réorientation du marché vers les pays émergents d’Afrique

Une réorientation du marché est envisageable. Une voie nouvelle pourrait dès lors se créer en privilégiant l’écologie et une politique linguistique précise.

La Chine est un horizon éloigné, ce qui ajoute à l’opacité ambiante. Réduire les distances permet de mieux reconsidérer l’environnement. Par exemple avec des contacts renforcés entre Europe et Afrique. De plus la langue française est pratiquée régulièrement en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie) ainsi qu’en Afrique subsaharienne. L’anglais aussi (Égypte, Nigeria, Zimbabwe, Ghana, une partie du Cameroun…). Linguistiquement, l’espagnol servirait à renforcer le tremplin avec l’Amérique Latine. Le tout en considérant que la main d’œuvre des pays émergents est de plus en plus qualifiée tout en demeurant peu coûteuse pour le moment.

L’Europe de Schengen, Maastricht, de Bruxelles, Strasbourg et Francfort se doit de réagir au plus vite. Après avoir malmené l’Italie et la Turquie, alors que les Italiens ont participé activement à la construction européenne et que les Turcs siègent à l’Otan. Il en va de la survie d’une Europe en voie de dislocation. Cette Europe à vingt-sept fragilisée par le Brexit et dont la symphonie s’est muée en cacophonie.

* Enseignant en langue et civilisation italiennes auprès de l’ENSG et de l’UPEMLV, auteur de recherches universitaires sur le football italien comme phénomène de société.

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