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La seule démocratie qui vaille

La Cité des Sciences de Tunis.

La seule démocratie qui vaille demeure celle du savoir et des connaissances, celle qui est à même de nous permettre de comprendre le monde tel qu’il est et non pas comme on désire qu’il soit, celle qui nous permettra, somme toute, d’être des citoyens à part entière et non entièrement à part.

Par Adel Zouaoui *

La démocratie, nous l’avons toujours vécue à distance. Nous l’avons vue évoluer sous d’autres cieux. Nous avons suivi ses péripéties. Aussi, sur les bancs d’école, nous avons appris sur ses origines, ses ressorts et son fonctionnement. Et de sa fameuse formule athénienne, celle du Démos Kratos, le pouvoir du peuple et par le peuple nous nous rappelons encore aujourd’hui.

Depuis le 14-Janvier2011, il nous a été donné pour la première fois de la mettre en pratique, de l’exercer et de la vivre, de vivre ses succès, ses déboires, ses soubresauts. Bien que croyant bien la connaître, on a très vite été désenchanté, parce que pris de court par sa complexité. Car passer de la théorie à la pratique, elle devient nébuleuse aux contours très vagues.

Et pour cause, il n’y pas un seul moule duquel sort une seule démocratie. Il en existe plusieurs à travers la planète. Elle est représentative ou participative, portée par un régime parlementaire, semi-parlementaire, présidentiel, semi-présidentiel, etc. Elle peut émerger d’en bas comme elle peut se projeter d’en haut. Il lui arrive aussi d’être furtive comme une arlésienne, trompeuse ou de pacotille. C’est alors que les assoiffés du pouvoir se servent d’elle pour atteindre les plus hautes marches de l’Etat et les dictateurs pour dissimuler derrière ses apparats leur funeste stratagème, celui de garder le pouvoir à vie.

La démocratie n’éclot pas sur des terres arides

Qu’ils soient républicains, libéraux, conservateurs, monarchistes, militaires, anarchistes, impérialistes, tyrans ou même islamistes, tous la réclament et la revendiquent. Tous prétendent l’avoir purifiée de ses scories et fioritures.
Hitler ne s’est-il pas servi de ses attributs inaliénables pour qu’après l’anéantir une fois au pouvoir. Bush ne l’a-t-il pas, au motif mensonger, imposée en Irak à coup de chasseurs bombardiers, alors que la seule raison de son offensive était l’accès au brut de ce pays arabe.

Plus proche de nous, Kadhafi ne s’est-il pas piqué d’avoir instauré la vraie démocratie, celle qui émane d’en bas, de ses fameux comités populaires, alors que ses geôles grouillaient de prisonniers politiques.

Chez nous aussi, en Tunisie, avant le 14-Janvier, l’expression démocratie responsable ne revenait-elle pas à tout bout de champ dans les discours officiels du gouvernement pendant que la répression battait son plein.

La démocratie ne se donne pas, ne s’offre pas, ne s’impose pas; elle s’arrache parfois au prix de multiples sacrifices et de longues luttes. Alors pour s’enraciner, éclore et fleurir, elle requière un terreau composé d’une ferme volonté de changer la donne politique vers plus de liberté, d’un niveau d’instruction respectable, d’une certaine culture citoyenne, d’un civisme de bon aloi et d’une ouverture sur le monde et sur ses altérités. Sans tout cela, elle s’enkyste, se sclérose et finit par se dessécher et par mourir.

L’Assemblée : lieu de sarabandes populistes

En Tunisie, notre jeune démocratie est malade. Elle souffre de rachitisme. Et pour cause, les antagonistes qui l’animent, qu’ils soient parlementaires, opposants ou membres du gouvernement, l’ont outrageusement défigurée et caricaturée. Le symptôme le plus saillant de sa pathologie est celui de l’hémicycle. Ce dernier s’est transformé en une arène de pugilat. On se chamaille, on s’étripe, on s’insurge les uns contre les autres, on s’accuse de trahison et même de mécréance, on s’insulte à tout va. Et même les débats se transforment souvent en pantalonnades aux relents négationnistes.

Du coup, on doute de notre indépendance et de notre souveraineté. On accuse Habib Bourguiba, premier Président de la République, d’avoir collaboré avec la France coloniale. On fait répandre les rumeurs les plus délirantes autour de prétendues richesses importantes en or noir et leur pillage par des politiques et des notables. Pire encore, on déterre l’affaire Salah Ben Youssef, et on fait dire à l’histoire ce qu’elle ne dit pas.

Privilégiant l’accessoire à l’essentiel, on présente une motion pour demander à la France de s’excuser de tous les crimes commis de 1881 à 1956; et on va jusqu’à proposer d’expulser l’ambassadeur de France qu’on accuse d’ingérence dans nos affaires intérieures.

Toutes ces folles allégations trouvent malheureusement une résonance auprès d’un auditoire crédule, composé d’une jeunesse en mal être, prompte à croire à toutes sortes de babioles politico-politiciennes.
Pendant ce temps, la Tunisie continue à s’engouffrer dans le précipice de la dette extérieure. Ses problèmes s’empilent et s’accumulent chaque année un peu plus. Ses entreprises publiques souffrent d’incurie, le pouvoir d’achat de sa population pique du nez, sa cour constitutionnelle peine à voir le jour, et la corruption continue à contaminer tout son corps.

Les garants d’une démocratie saine et durable

La démocratie ne s’épanouit pas sur une terre aride, tapissée d’ignorance, d’irrationnel, de déraison, de paranormal, de dogme, de bigoterie et d’illusion. Pour qu’elle fleurisse, elle a besoin d’un bon terreau propice à la fertilité, lequel est composé d’un enseignement solide, en phase avec les évolutions de son temps, d’une culture vivace à même d’éveiller les esprits à la modernité du monde actuel, de médias responsables (télé, radio, journaux papiers ou électroniques) qui ne seraient pas des outils d’abêtissement mais plutôt d’information, d’éveil, d’éducation de masse, prompts à nous renseigner sur notre histoire, notre culture, notre richesse tangible ou intangible.

Force est de constater que la culture et l’éducation sont les deux sources où la démocratie s’abreuve pour se renforcer et perdurer. Et c’est pour cette raison qu’elles doivent impérativement être au cœur de nos préoccupations. Car il ne peut y avoir de société franchement démocratique sans une éducation de qualité en phase avec son époque, et une culture riche, diversifiée; et de surcroît porteuse de valeurs universelles.

Pour ce qui est de l’éducation, il est impératif qu’elle soit revue et revisitée. Outre l’enseignement de la lecture, de l’écriture, des mathématiques, des sciences et de la littérature, il faut aussi inclure l’apprentissage de la citoyenneté et de ses valeurs, ses vertus et ses limites.

Quant à la culture, elle doit être présente dans chaque parcelle du territoire national. Elle doit être un droit inaliénable et absolu pour tous. Et c’est pour cela qu’elle doit être mobile et pas seulement figée dans les grandes agglomérations urbaines. Les bibliothèques, les expositions, le théâtre, le cinéma, la musique, les livres doivent pouvoir parcourir les hameaux, les villages, les bourgs en même temps que les villes. Et ce, dans l’espoir d’abattre, chaque jour un peu plus, les murs de l’ennui, de l’oisiveté, mais aussi de l’ignorance, de l’obscurantisme et de la bêtise. A cet égard, l’initiative du festival Les nuits des enfants de la montagne, à Jebel Samama, une montagne située dans l’ouest de la Tunisie, est à saluer à plus d’un titre.

Une autre initiative est aussi à saluer très fortement, celle entreprise par la Cité des Sciences à Tunis, centre de diffusion de culture scientifique, qui consiste à faire voyager des expositions, des ateliers, des manips à travers tout le pays. Le but étant de donner sa chance à chacun, là où il se trouve et sans exclusion aucune, d’apprendre, de s’informer, de se renseigner sur la science et ses enjeux, ainsi que sur le monde de demain.

Une telle initiative a été renforcée encore plus, depuis 2014, par des antennes-relais, baptisées Villages des Sciences, à Tataouine et à Kasserine. D’autres encore suivront dans les années à venir.

Enfin, paraphrasant quelque peu le titre de la dernière publication de Tahar Gallali, directeur général-fondateur de la Cité des Sciences de Tunis, la seule démocratie qui vaille demeure celle du savoir et des connaissances, celle qui est à même de nous permettre de comprendre le monde tel qu’il est et non pas comme on désire qu’il soit, celle qui nous permettra, somme toute, d’être des citoyens à part entière et non entièrement à part. Tout simplement des citoyens du monde et du monde d’aujourd’hui.

* Sous-directeur chargé de l’organisation des manifestations scientifiques à la Cité des Sciences de Tunis.

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