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Covid-19, ce virus qui a accéléré le temps

Bien que les divers médias et les citoyens des différents pays ont vécu (et continuent de vivre) à parler d’arrêt ou de ralentissement du cours normal de la vie, une autre perspective pourrait être envisagée. Une perspective selon laquelle la Covid-19 a, en fait, accéléré le temps. Aussi macabre que ce soit, ce virus a accéléré l’espérance de vie des personnes âgées ou autres personnes ayant des problèmes de sante inhérents (paix à leurs âmes). Dans cette tribune nous allons discuter de certaines transformations, qui étaient encours avant la crise, se voient aujourd’hui accélérées voire forcées «grâce» a la Covid-19.

Par Hédi Regaya *

Avant la crise de la Covid-19, plusieurs entreprises commençaient à introduire des concepts tels que le travail flexible ou le «work from home» et encourageaient leurs employés de tenir leurs réunions virtuellement (en exploitant les outils de vidéoconférence et les connexions internet de plus en plus rapides) et non de se déplacer (comme ce fut le cas en fin d’année 2019 où je prenais de 2 à 4 vols par semaine pendant 4 mois).

Accélération du passage vers l’économie numérique

Ces initiatives avaient le double intérêt de réduire certaines charges fixes (telles que les loyers et les coûts de transport) mais aussi d’améliorer l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle des employés et donc d’attirer ou de conserver les milléniaux (cette nouvelle génération qui a embrassé très tôt les technologies de l’information, qui accorde une importance plus importante a la vie sociale et qui préfère travailler par objectif et non selon des horaires fixes)..

Figure 1 – Consciente de l’enjeu du travail flexible, PwC figure parmi les pionniers dans cette initiative.

La crise de la Covid-19 a contraint les entreprises (ne figurant pas parmi les services essentiels) à fonctionner selon cette approche. Celles qui étaient prêtes ou qui avaient mis en place de tels mesures mais qui travaillaient encore sur leurs modalités d’application ont vu la transformation de leur business s’accélérer, certaines autres envisagent à terme de maintenir le travail à distance (tel est le cas par exemple pour Facebook, mais également d’autres entreprises qui au moment où vous lisez cet article sondent leurs employés sur leurs préférences de travail à distance et renégocient leurs loyers), d’autres ont dû accepter ce changement de force (tels que certains cabinets de conseil en Tunisie qui en sont encore à appliquer le micro-management base sur le présentiel «il faut le voir travailler pour savoir qu’il travaille», «tant que le patron est au bureau, personne ne rentre chez soi» et ce, malgré que leurs homologues à l’étranger ont adopté leurs modes opérationnels aux nouveaux enjeux et aux nouvelles générations) et certaines autres ont tout simplement été emportées par la crise en un temps record (pour un ensemble de raisons dont celle de leur impossibilité à se transformer dans les temps).

Il en va de même pour les différents gouvernements dont les administrations et les services aux citoyens restaient basés sur la visite des mairies et autres institutions gouvernementales, présentation de documents en papier, des originaux, des copies conformes, des heures d’attente et l’utilisation d’outils archaïques (registres tenus a la main), etc.

Tout comme discuté plus haut pour ce qui est des entreprises, certains gouvernements avaient déjà entamé leur transformation digitale, c’est le cas notamment par exemple de l’Arabie Saoudite avec son impressionnante plateforme Absher qui permet aux citoyens ou aux résidents d’avoir accès depuis leurs téléphones mobiles à leur fichier central auprès du gouvernement leur permettant de payer leurs amendes, de consulter le statu de leur visa, de les renouveler, de télécharger des formulaires etc., et ce, sans avoir besoin d’un seul papier (le tout étant gère grâce à cette plateforme qui relie un numéro unique à un numéro de téléphone portable et une empreinte digitale).

Le développeur de cette plateforme (l’entreprise saoudienne Elm) a également développé la plateforme Amer qui permet de demander un visa pour les Emirats arbes unis, d’en consulter le statu en tout moment et ce, sans présenter un seul document (le tout, via un portail internet).

D’autres pays se sont vu a marche forcée de se digitaliser, c’est le cas par exemple pour le Canada qui a très rapidement mis en place un service électronique pour l’obtention des Social Insurance Number («SIN») qui traditionnellement se fait en personne dans un bureau dédié (Service Canada).

D’autres pays n’ont pris aucune initiative ni avant, ni pendant la crise et continuent à occuper d’importants bâtiments, à fonctionner de manière archaïque et surtout ont immobilisé leurs citoyens pendant plusieurs mois.

Enfin, autant les entreprises que les gouvernements ont pu identifier du fait du recours au télétravail les personnes inefficientes ou inutiles (dont l’absence n’a pas eu d’impact particulier sur les affaires).

D’autres métiers du futur deviennent de plus en plus d’actualité (exemples, métiers relevant de l’intelligence artificielle, de la robotisation des processus, de la digitalisation, de l’automatisation etc.) ce qui également redéfinira les modes de fonctionnement et stratégies de recrutement avenir de ces derniers.

La Covid-19 a également accéléré la transformation des modes d’achalandage, une révolution avait déjà été entamée depuis bien longtemps par les GAFA notamment Amazon (qui a également envahi le Moyen-Orient en faisant l’acquisition de Souq.com) faisant de Jeff Besos (son P-D.G.) l’homme le plus riche de la planète pour la troisième annee consécutive selon le Forbes (une fortune estimée a 113 milliard US$), Alibaba.com, UberEats et bien d’autres acteurs tels que l’américain Wayfair (qui offre 10.000.000 d’articles produits par 10,000 artisans/industriels pour la maison sur son site internet ce qui est virtuellement impossible en boutique) qui a vu le cours boursier de ses titres exploser en période de Covid-19 (la capitalisation est passée de 6,6 milliard US$ en avril à 15.8 milliard US$ début mai) et ce, dans la mesure où cette entreprise a permis de satisfaire aux besoins des consommateurs (habitues à acheter ces biens en boutique) pendant la crise.

Figure 2 – Évolution du cours de Wayfair de fin 2019 à mai 2020.

Accélération du divorce des énergies fossiles

L’année 2019 a été marquée, le 11 décembre, par la plus grande introduction en Bourse de l’histoire de l’humanité de la Saudi Arabian Oil Company (Saudi Aramco) à laquelle j’ai d’ailleurs eu le plaisir de travailler avec près de 25 banques afin de réaliser en un temps record cette transaction tant controversée.

Cette introduction en bourse marquait (entre autres raisons) une volonté du Royaume d’Arabie Saoudite de réduire sa dépendance au pétrole et de financer divers autres investissements grâce aux 1,7 trillions US$ de fonds levés de la vente de 1,5% des titres du géant.

Le début de l’année, a quant a lui, été marque par la fuite de Carlos Ghosn qui, plus tard, lors de sa conférence de presse réitérait les difficultés auxquelles faisait face l’industrie automobile mondiale. Ces difficultés seront aggravées par le comportement des consommateurs qui, suite à la crise de la Covid-19, se méfient de l’avenir et auront tendance à éviter les biens durables (automobiles et immobilier).

Puis, en avril 2020, le monde a été ébranlé par l’annonce du prix du baril de pétrole West Texas Intermediate (WTI) pour livraison en mai à (moins) 37 US$ et donc pour la première fois de l’histoire, l’or noir s’échangeait à des prix au-dessous du zéro.

Les mesures de confinement ayant induit à une baisse des échanges aériens et recours aux moyens de transports, le monde observait des images surréalistes du rétablissement de l’écosystème et de réduction de la pollution (y compris en Chine, pays le plus pollué au monde).

Tous ces facteurs, et le retour prochain à la vie normale (ou presque) catalysés par les annonces des différents gouvernements (notamment Emmanuel Macron qui défend le recours aux voitures électriques depuis une année) vont probablement accélérer la cadence à laquelle ces voitures vont s’imposer face aux véhicules à moteur à combustion. De nombreuses discussions sont également en cours quant au recours aux drones (notamment pour les livraisons) et aux voitures électriques autonomes.

Accélération de la disparition de certains opérateurs économiques

La crise de la Covid-19 a conduit plusieurs opérateurs économiques à déposer leur bilan et déclarer faillite/banqueroute. Une majeure partie de ces opérateurs n’ayant pas pu tenir sous la pression de la crise sous le poids des dettes ou d’un déséquilibre dans leurs besoins en fonds de roulement dû aux méventes (notamment les petits commerces n’ayant pas ou ayant peu exploité les outils de livraison à domicile tels que UberEats et autres). Mais cette crise a également accéléré la chute de nombreux secteurs déjà en difficulté (le transport aérien ou l’automobile) et d’autres entreprises qui survivaient péniblement à grand renforts de dettes, de rééchelonnement de dettes, etc.

Ainsi, bien que de petits commerces ont subi les conséquences de cette crise, cette dernière a également accéléré l’inévitable pour ces opérateurs qui ne faisaient que repousser l’échéance (faillites en raison de mauvaise gestion).

Il est à noter à cet égard que les pays touchés par la crise ont réagi au travers de quatre outils essentiels, à savoir la nationalisation de certaines entreprises considérées comme étant stratégiques pour les Etats en question, la relocalisation d’une partie des activités délocalisées vers la Chine, le maintien en vie de certaines entreprises cotées en bourse via des prises de participation par le biais des banques centrales et enfin divers programmes d’aides et fonds d’urgence ou autres subventions ou crédits/garanties de crédit.

Par ailleurs, certains Etats et entreprises ont exploité cette opportunité pour racheter à prix bas des concurrents, ou bien des acteurs opérant dans le même secteur (intégration verticale) ceci est particulièrement le cas dans le secteur pétrolier ou plusieurs acquisitions ont été observées pendant la crise.

Ainsi, la crise de la Covid-19 a cristallisé de nombreux problèmes structurels existant de longue date et a accéléré des tendances ou des transformations déjà initiées timidement par les entreprises et les gouvernements. Est-ce que cette crise va nous projeter directement en 2040 où les individus pourront depuis leurs téléphones effectuer leurs formalités administratives, commander des biens de consommation et les recevoir depuis la fenêtre des mains d’un drone? Une société ou les gens préféreront la location à l’achat (louer l’accès aux médias avec des produits tels que Netflix, à la littérature grâce à Amazon, au transport avec Uber, etc.). Une société où les gens accorderont une importance accrue a l’environnement et favoriseront la consommation «verte» (voitures électriques, recours moindre aux voyages, valorisation des régions et du tourisme locale) à la consommation actuelle. Je n’en serai pas étonné.

* Financial accounting advisory services, EY Americas. 

** Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne sauraient refléter la position de Ernst & Young («EY»). 

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