Dans un entretien au quotidien français ‘‘L’Opinion’’, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a détaillé sa feuille de route présidentielle en soulignant qu’il ne comptait pas s’éterniser au pouvoir.
Par Hassen Zenati
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a décliné son programme présidentiel dans un entretien publié lundi 13 juillet 2020 par le quotidien français ‘‘L’Opinion’’, en précisant ses attentes vis-à-vis de la France et du Maroc et en indiquant à l’intention des Algériens, qu’il ne comptait «pas s’éterniser au pouvoir», qu’il a conquis le 12 décembre dernier pour cinq ans en épilogue d’une profonde crise politique qui a secoué le pays.
«L’Algérie est incontournable pour la France, comme la France l’est pour l’Algérie», a-t-il dit, en mettant en exergue les questions mémorielles, qu’il place au cœur de la refondation des relations entre les deux pays. L’Algérie réclame une reconnaissance officielle des méfaits du colonialisme pendant les 132 ans d’occupation française du pays. Le parlement algérien a voté en juin une loi instituant la date symbolique du 8 mai 1945 comme «journée de la mémoire». Cette date commémore les massacres de Sétif, Guelma, Kherrata, qui ont fait en quelques jours 45.000 morts parmi les manifestants algériens en faveur de l’indépendance, brandissant pour la première fois ce qui allait devenir le drapeau national du pays : la bannière verte et blanche frappée du croissant et de l’étoile rouge.
Régler les problèmes mémoriels avec la France
«Nous avons évoqué cette question avec le président Emmanuel Macron. Il connaît bien les événements qui ont marqué notre histoire commune. L’historien Benjamin Stora a été nommé pour accomplir ce travail mémoriel du côté français. Il est sincère et connaît l’Algérie et son histoire, de la période d’occupation jusqu’à aujourd’hui. Nous allons nommer son homologue algérien dans les 72 heures», a-t-il indiqué.
«Ces deux personnalités travailleront directement sous notre tutelle respective. Nous souhaitons qu’ils accomplissent leur travail dans la vérité, la sérénité et l’apaisement pour régler ces problèmes qui enveniment nos relations politiques, le climat des affaires et la bonne entente» entre les deux pays.
«Il faut affronter ces événements douloureux pour repartir sur des relations profitables aux deux pays, notamment au niveau économique», a insisté le président algérien. Il a qualifié de «grand pas» en avant la restitution récente des crânes de résistants algériens contre l’invasion française (1830-1845), en estimant toutefois que «d’autres crimes méritent d’être racontés, comme la prise de l’oasis de Zaatcha où les troupes françaises du général Emile Herbillon ont massacré les combattants du cheikh Bouziane». Il cite aussi le maréchal de Saint-Arnaud, auquel sont attribuées les «enfumades» de résistants au début de l’invasion, notamment dans les grottes cavernes d’Ed-Dahra. Il a «aussi perpétré de nombreux massacres, qui ont fait plus de victimes qu’à Oradour-sur-Glane», un village français qui a été rasé et sa population massacrée par l’occupant nazi à la fin de la seconde guerre mondiale. «Beaucoup d’historiens français traitent ces événements historiques en toute honnêteté. Une fois ces problèmes de mémoires dépassées, nous pourrons avancer avec beaucoup de sérénité», a indiqué le président Tebboune, en rappelant que «la France vient de perdre sa première place de pays fournisseur de l’Algérie». «Mais ce n’est pas irréversible», assure-t-il.
L’Algérie «ne se laissera plus caporaliser par quiconque»
Le président Tebboune a assuré que «les Algériens tiennent beaucoup plus à la reconnaissance de l’État français de ses actes qu’à une compensation matérielle». «La seule compensation envisageable est celle des essais nucléaires. Les séquelles sont encore vives pour certaines populations, notamment celles atteintes de malformations», a-t-il tranché.
La France a procédé à un premier tir expérimental de son arme atomique au sud de l’Algérie, alors sous occupation française, à Reggane, en plein désert du Tanezrouft, à 700 km au sud de Colomb-Béchar, le 13 février 1960 à l’aube, sous la présidence du général de Gaulle, sous le nom de code «La Gerboise bleue».
Selon des chercheurs algériens, 17 essais nucléaires au total ont été menés par la France au Sahara, dont 4 à Reggane, entre 1960 et le retrait définitif de l’armée française du Sahara en 1967. Ils estiment à au moins 30.000 le nombre de victimes algériennes de ces expériences, dont beaucoup ont été atteints de cancers et de leucémies. Paris n’exclut pas une contribution matérielle pour le traitement des effets de ces essais nucléaires (en particulier la décontamination des sites), et l’indemnisation des victimes. Mais le dossier traîne en longueur depuis 1996.
Pour M. Tebboune, le chemin entre l’Algérie et la France est plus que «tortueux». Il a pointé des «lobbies minoritaires mais très dangereux qui essaient de saper le travail» du président Emmanuel Macron, en mettant en cause des «personnes revanchardes connues pour leur anti-algérianité», qui «pensent toujours que l’Algérie a été bradée et n’a pas été libérée, et que le général de Gaulle est un traître. Il existe aussi un conglomérat hétéroclite qui pense que l’Algérie ne doit pas émerger, mais tenue sous haute surveillance, et maintenue dans une certaine faiblesse pour l’empêcher d’influer sur son environnement. C’est contre-nature». Il fait ainsi allusion aux adeptes de la «nostalgérie» pour lesquels la France était dans ses droits dans le pays colonisé en 1830.
L’Algérie «a souffert», elle ne «ne se laissera plus caporaliser par quiconque. Les Romains y sont restés des siècles. Les Espagnols sont ensuite venus, puis les Turcs au nom du califat, et enfin les Français. Nous sommes aujourd’hui libres et entendons le rester».
«Seul un État fort et juste peut asseoir la démocratie»
Le président Tebboune a par ailleurs évoqué la tension récurrente dans les rapports avec le Maroc, en soulignant que «la construction de bases militaires à nos frontières doit s’arrêter». Le Maroc affirme qu’il n’a pas l’intention de construire une base militaire prés de la frontière algérienne, mais une «petite caserne». La presse algérienne affirme en revanche que le projet marocain consiste en une base assurant la surveillance de l’Algérie dans le cadre d’une cyber-guerre.
M. Tebboune a réaffirmé que l’Algérie n’avait «aucun problème» avec le Maroc. «En ce qui nous concerne, nous n’avons aucun problème avec le Maroc et sommes concentrés sur le développement de notre pays», a-t-il affirmé. «Nos frères marocains ne semblent pas être dans le même état d’esprit», a-t-il ajouté. «Pour eux, la République arabe sahraouie est de trop sur l’échiquier international. C’est à eux d’engager le dialogue avec le Polisario. Si les Sahraouis acceptent leurs propositions, nous applaudirons», a-t-il déclaré en insistant sur le fait que le soutien aux mouvements d’indépendances est une constante pour l’Algérie. «C’est presque un dogme», a-t-il dit.
Se démarquant de son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika, dont la décision de prolonger sa présidence par un cinquième mandat en 2019, a fait basculer le pays dans une profonde crise politique, le président Tebboune, a indiqué à l’intention des Algériens : «Je ne compte pas m’éterniser au pouvoir». «Je me suis porté candidat à la présidentielle au nom de la société civile et des jeunes. Je suis en train de construire des institutions où ces deux composantes seront majoritaires. Je n’aurai pas besoin de parti et je ne compte pas, non plus, m’éterniser au pouvoir», a-t-il dit, en réponse à la question s’«il allait créer une grande formation politique de la majorité».
M. Tebboune, qui atteindra 75 ans en novembre, ne s’est toutefois pas exprimé sur son intention de briguer éventuellement un second mandat présidentiel, en laissant entendre que cela dépendra des résultats de son premier mandat.
«En principe, dit-il, j’ai été élu pour un seul mandat. D’ici la fin de ce mandat, j’espère obtenir une situation apaisée où les problèmes sociaux et économiques seront en partie réglés. C’est une transition qui ne dit pas son nom. Il faudrait d’autres conditions pour que je réfléchisse à une nouvelle candidature.»
Le président Tebboune a enfin annonce la poursuite de la libération des détenus du «hirak». «Ces gestes vont se poursuivre. Ils visent à l’apaisement. L’Algérie n’est pas entrée dans une phase de répression. C’est faux». Et d’ajouter : «L’opposition et la société civile sont indispensables. L’opposition ne doit pas se faire dans l’insulte, l’invective et l’appel au soulèvement. Seul un État fort et juste peut asseoir la démocratie, le contraire amène l’anarchie et le chaos»
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