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La grande crise de la Covid-19 et ses impacts sur l’économie mondiale (1-3)

Pour sauver le monde de la pandémie de la Covid-19, il a fallu sacrifier l’économie. Voilà la situation redoutable que les décideurs de tous les pays y compris la Tunisie ont à affronter. La crise engendrée par cette pandémie ne ressemble à aucune autre. Elle a commencé par un choc de l’offre – la production a chuté alors que les travailleurs restaient chez eux – et a été suivi d’un choc de la demande alors que les revenus diminuaient.

Par Ezzeddine Larbi *

Bien que le bilan final soit encore incertain, la pandémie entraîne des contractions dans la plupart des pays avancés, des marchés émergents et des économies en développement. Plus de 12.000 milliards de dollars de perte cumulée prévue pour l’économie mondiale à cause du coronavirus. Elle aura également des effets durables sur la productivité du travail et la production potentielle. Les priorités immédiates des pouvoirs publics sont d’atténuer les coûts humains ainsi que les pertes économiques à court terme.

Pour l’heure, aucun pays n’échappe au pessimisme ambiant à commencer par la Chine, d’où est parti, fin 2019, le virus mortel. La croissance du géant asiatique ne sera que de 1%. L’activité économique dans les économies avancées devrait décliner de 8 % en 2020. Le PIB de la première puissance du monde va s’effondrer de 8%. La crise sanitaire va être encore plus dévastatrice pour les Etats-Unis, dépourvus de filet de sécurité sociale et malgré les gigantesques plans d’aide du gouvernement (quelque 3000 milliards de dollars).

Pour certains pays notamment en Europe, la contraction du produit intérieur brut est vertigineuse: -12,5% pour la France, -12,8% pour l’Espagne et l’Italie. Partout ailleurs dans le monde, des chiffres catastrophiques : -10,2% pour les pays de la zone euro et pour le Royaume-Uni, -9,4% dans la région d’Amérique latine et des Caraïbes, -8% en Afrique du Sud, -5,8% au Japon, -4,7% en Asie centrale ou encore -4,5% en Inde.

Les économies de la région Moyen Orient – Afriue du nord (MENA) vont se contracter en moyenne de 5,7%, en 2020. Le PIB de la Tunisie va baisser, selon les estimations officielles, d’au moins 7% et le chômage atteindra les 22% selon le ministère de l’Emploi.

Le groupe des pays émergents et en développement devrait connaître une contraction de son PIB de 3% en 2020. Il en résultera une diminution de 3,6% des revenus par habitant, ce qui fera basculer des millions de personnes dans l’extrême pauvreté cette année, et compromettra les progrès considérables qui ont été accomplis en matière de réduction de l’extrême pauvreté dans le monde depuis les années 90.

Un degré élevé d’incertitude entoure ces prévisions, alors que l’épidémie n’est pas terminée et que des foyers resurgissent de nouveau là où elle semblait endiguée. Les perspectives sont très incertaines, et dominées par des risques de détérioration, dont notamment une pandémie plus longue qu’anticipé, un désordre financier durable et un affaiblissement du commerce mondial et des chaînes d’approvisionnement. Les pays les plus vulnérables sont ceux dont les systèmes de santé sont défaillants, qui sont tributaires des exportations de produits de base et qui sont grevées par des niveaux élevés de dette souveraine et d’endettement des entreprises.

La crise de la Covid-19 est une crise de préparation ou de manque de préparation en matière de capacités sanitaires, administratives et stratégiques. Elle a mis en évidence d’autres failles sociales et économiques dans les économies avancées et en développement. Il existe notamment deux lignes de faille qui sont particulièrement importantes pour les pays en développement notamment du Moyen-Orient et d’Afrique:

1- Le dédoublement des marchés du travail à la polarisation : la plupart des travailleurs des pays en développement, y compris ceux du Moyen-Orient et d’Afrique, travaillent dans le secteur informel. Dans les économies avancées, la polarisation se situe entre les travailleurs hautement et peu qualifiés du secteur formel. À la suite des mesures de confinement, des tensions sont apparues dans les économies avancées, car les personnes peu qualifiées ne pouvaient pas travailler à distance et risquaient donc plus d’être mises à pied, licenciées ou exposées au virus sur le lieu de travail que les travailleurs hautement qualifiés qui pouvaient travailler plus facilement à domicile. Les mesures de confinement destinées à empêcher la propagation du virus ont ainsi accru la pauvreté et exacerbé les inégalités dans les économies en développement et avancées, même si les pays plus riches peuvent fournir plus de protection.

2- La concurrence déloyale : de nombreux pays en développement, y compris ceux du Moyen-Orient et d’Afrique, souffrent à la fois du capitalisme de copinage et des grandes entreprises publiques (SOE) qui sont de grands employeurs. Les deux ont un accès démesuré aux marchés et au crédit, et évincent les petites et moyennes entreprises (PME), ce qui oblige une grande partie de la main-d’œuvre à entrer dans le secteur informel. De nombreuses entreprises publiques des pays en développement couvrent à peine le coût de leur dette et ont des capacités limitées.

Ces soi-disant «entreprises zombies» font qu’il est pratiquement impossible pour les économies d’innover pour sortir de la crise. Si les économies avancées partent d’un niveau de concurrence beaucoup plus élevé, elles affichent une baisse de la concurrence liée à la montée en puissance des géants du numérique et d’autres industries de réseau (Google, Apple, Facebook et Amazon).

La pandémie a touché les pays en développement par plusieurs canaux de transmission:

– Perturbation du commerce et des chaînes d’approvisionnement mondiales : les inquiétudes concernant la sécurité d’accès aux principaux produits pharmaceutiques, équipements médicaux et aliments ont conduit à la thésaurisation, ce qui a créé des pénuries et une hausse des prix. Cela a conduit à des appels au rapatriement de la production d’équipements clés.

– Baisse du tourisme et des envois de fonds : la fermeture des frontières et les mesures de confinement ont limité la circulation des personnes. Une chute de 60 à 80% du nombre des touristes internationaux pour l’année 2020, avec des pertes pouvant atteindre au total 910 à 1 200 milliards de dollars avec la mise en danger de 100 à 120 millions d’emplois directs dans le tourisme. Les envois de fonds devraient chuter de 20% en 2020. Pour certains pays, dont certains au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le tourisme peut être important. C’était l’équivalent de 25% des exportations en Égypte, 41% en Jordanie en 2018, et 30% en Tunisie.

– Sorties de capitaux et instabilité financière : le capital a fui de nombreux pays en développement pour ce que les investisseurs considèrent comme des actifs plus sûrs dans les économies avancées. Les investissements directs étrangers (IDE) ont également chuté, reflétant la méfiance des investisseurs quant à l’avenir. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les IDE de janvier à mai 2020 représentaient la moitié de ce qu’ils étaient pendant la même période en 2019.

La «guerre» au virus se déroule aussi sur le terrain de l’économie. Gouvernements et banques centrales sont montés au créneau pour soutenir les marchés ainsi que les entreprises. Les économies en développement et avancées ont eu recours à des mesures de politique budgétaire et monétaire non seulement pour financer la réponse sanitaire au virus, mais aussi pour prévenir un effondrement de la consommation et pour protéger le tissu économique – y compris les PME. Les politiques visent également à éviter le chômage de masse en subventionnant les employeurs qui maintiennent les travailleurs sur la liste des salariés.

La plupart des économies avancées ont utilisé des politiques fiscales et monétaires pour financer la réponse sanitaire, apporter un soulagement aux entreprises et aux particuliers et injecter des liquidités dans leurs systèmes financiers. Là où l’inflation n’est pas un problème, la monnaie d’hélicoptère, essentiellement imprimée par une banque centrale, a été utilisée, tout comme l’assouplissement quantitatif et l’achat direct de dette souveraine par les banques centrales. Aux Etats-Unis, l’adoption en urgence d’un plan d’ampleur inédit —3000 milliards de dollars et 6000 milliards si l’on inclut les aides de la FED -Banque centrale.

Les pays en développement, sont confrontés à des contraintes massives sur leur capacité à faire tout ce qui est nécessaire pour arrêter la propagation du virus et apporter des secours à leur population – dont beaucoup travaillent dans le secteur informel. De plus, les pauvres des pays en développement sont touchés de manière disproportionnée par les maladies infectieuses, de sorte que la nécessité d’une intervention gouvernementale n’est pas seulement pour l’efficacité, mais aussi pour l’équité.

Pour financer les efforts visant à contenir le virus, les moyens tels que l’augmentation des impôts, l’impression d’argent ou l’emprunt sont limités dans les économies en développement. En raison des coûts d’emprunt prohibitifs auxquels la plupart des pays en développement sont confrontés sur les marchés internationaux et du niveau déjà élevé de la dette libellée en devises étrangères, la communauté internationale joue un rôle essentiel.

Le FMI se dit d’ailleurs prêt à utiliser sa capacité de prêt de 1 000 milliards de dollars pour aider ses pays membres, en particulier les pays en développement à faible revenu. Plus de 90 pays en développement et à faible revenu ont sollicité et obtenu un financement d’urgence auprès du FMI. Le Groupe de la Banque mondiale prévoit par ailleurs de déployer jusqu’à 160 milliards de dollars au cours des 15 prochains mois en vue de soutenir l’adoption de mesures qui aideront les pays à affronter les conséquences immédiates de la pandémie de Covid-19 et favoriser le redressement de l’économie.

A suivre : Partie II – Quid de la Tunisie ?

* Professeur agrégé de sciences économiques à l’Université de Tunis ; consultant principal auprès de la Banque Mondiale (BM) et de la Banque africaine de développement (BAD). Ancien économiste principal et économiste en chef à la BM et à la BAD chargé de la gouvernance et des réformes économiques et financières.

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