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Terrorisme islamiste en Tunisie : la fin de l’impunité ?

L’attaque terroriste à la voiture bélier à Sousse intervient à un moment où le parti islamiste Ennahdha semble devoir faire face à une nouvelle enquête sérieuse l’incriminant de blanchiment d’argent et de financement illégal… Ceci explique-t-il cela ?

Par Dr Mounir Hanablia *

Deux gardes nationaux ont été victimes d’une attaque à la voiture bélier, hier matin, dimanche 6 mai 2020, dans un embranchement routier à El-Kantaoui, Sousse. L’un est décédé, et l’autre, très sérieusement blessé. Les trois auteurs de l’agression ont été abattus, selon un communiqué des forces de l’ordre, et un quatrième arrêté.

Les véhicules béliers partout dans le monde se sont dans l’écrasante majorité des cas manifestés dans un contexte de terrorisme, jusqu’à présent spécifiquement islamiste, même quand ils ont été utilisés contre des civils. Dès lors que les cibles en ont été des gardes nationaux signifie sans aucun doute une chose, c’est l’Etat tunisien qui était visé, plus spécifiquement dans son exercice de l’autorité, dans son monopole de l’usage légal de la force, autrement dit dans sa fonction régalienne d’imposer le respect de l’ordre public.

Les terroristes montrent qu’ils peuvent frapper l’Etat là où il est le mieux gardé

Cet acte odieux est doublé d’un défi lancé contre l’Etat; il n’a pas été perpétré dans des lieux d’accès difficile, comme le mont Chaambi ou les hauteurs de la frontière tuniso-algérienne propices à la guérilla, mais dans une grande ville, là où sa surveillance du territoire est censée s’exercer de la manière la plus évidente et la plus aisée, particulièrement sur les voies de communication .

Le message que les terroristes ont voulu transmettre est donc évident, celui de leur capacité à frapper les représentants de l’Etat même dans les endroits où ces derniers disposent des ressources humaines et matérielles les plus disponibles.

Quant au recours au véhicule bélier, outre le caractère horrible des dégâts corporels qu’il entraîne, c’est surtout son caractère imprévisible et imparable que les terroristes ont voulu mettre en évidence en faisant malheureusement des victimes. Le but est bien évidemment de créer une psychose dans les forces de l’ordre chargés de contrôler le trafic routier.

Evidemment c’est à l‘enquête de mettre en lumière tous les ressorts de l’affaire, de démanteler l’organisation responsable, et d’éclairer l’opinion publique. Mais malheureusement les précédents dans des affaires de terrorisme ne plaident pas en faveur d’une telle éventualité.

Par ailleurs, que Sousse en ait été encore l’une des cibles pourrait situer une nouvelle fois l’origine de l’attaque à Kasserine mais cela reste évidemment à prouver. Mais c’est une nouvelle fois dans le contexte politique particulier que ce genre d’attaques se produit. On se souvient bien comment celle du musée du Bardo avait été perpétrée après l’arrivée de Béji Caid Essebsi et de Nidaa Tounès au pouvoir, en 2015. Il y avait eu l’attaque l’hôtel de Sousse puis plus tard celle contre le bus de la garde présidentielle, et toutes ces affaires mystérieuses qui avaient entaché de suspicion le mandat du ministre Najem Gharsalli, l’obligeant même à un certain moment à se soustraire à la justice. Il y avait eu celle de Ghardimaou lorsque Youssef Chahed avait décidé de démettre Lotfi Brahem de ses fonctions et d’assumer lui-même celles de ministre de l’Intérieur.

Les groupes terroristes sont-ils un instrument utilisé par certains partis membres du parlement ?

Cette fois, cet acte terroriste survient juste après l’adoubement de l’ancien ministre de l’Intérieur Hichem Mechichi au poste de chef du gouvernement par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Le nouveau gouvernement bénéficiant du vote de confiance de la majorité des députés a été très contesté, au départ, par Ennahdha, Qalb Tounès, et Al-Karama, qui ont exprimé plus que des réserves concernant pas moins de sept ministres, en particulier ceux de l’Intérieur et de la Justice, en exigeant leur remplacement.

Tout ceci bien évidemment ne faisait que refléter l’affrontement ouvert entre la présidence de la république jalouse de ses prérogatives constitutionnelles et celle de parlement prétendant empiéter au nom d’un soi-disant pouvoir réel grâce au soutien de partis politiques opportunistes.

Les groupes terroristes sont-ils un instrument utilisé par certains partis membres du parlement dans ce qu’on appelle la stratégie de la tension pour conserver la réalité du pouvoir ou pour réaliser des objectifs politiques? Il est d’autant plus légitime de s’en poser la question que les révélations de l’ex-ministre d’Etat chargé de la fonction publiue, de la Gouvernance et de la Lutte contre le terrorisme, Mohamed Abbou survenant après l’affaire Elyes Fakhfakh, le chef du gouvernement démissionnaire suite à une affaire de conflit d’intérêts, et du limogeage de Chawki Tabaib, l’ex-président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), mettent nommément en cause le parti Ennahdha pour suspicion de blanchiment d’argent et de financement illégal, depuis des années. Et ces accusations sont tellement précises et graves, qu’il est douteux qu’elles ne soient pas suivies d’une action sérieuse auprès de la justice; sous peine de voir l’Etat perdre la face en cas d’abstention.

Ennahdha dans l’œil du cyclone de la justice

Le fait nouveau c’est donc que pour la première fois depuis 2011 le parti Ennahdha semble devoir faire face à une nouvelle enquête l’incriminant, mais cette fois en dehors de l’habituelle influence politique qu’il avait eu l’habitude d’exercer au plus haut sommet de l’Etat, ce que d’aucuns avaient appelé les pare-chocs. Ceci constitue-t-il une preuve de connivence avec le terrorisme? Non. Mais pour peu qu’une réelle volonté politique existe, et il semble que ce soit enfin le cas, une opportunité semble se présenter pour répondre désormais et objectivement aux questions que les Tunisiens se posent sur la réalité de sa responsabilité dans des activités illégales ou des actes de terrorisme dont beaucoup accusent ce parti politique depuis des années, sans que la justice y eût jusqu’ici apporté de réponse probante.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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