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Sur la route du pouvoir : Les erreurs que Abir Moussi ne doit pas commettre

«Le peuple est conduit par la misère aux révolutions, et ramené par les révolutions à la misère», écrivait Victor Hugo il y a près de deux siècles, et cette citation résume bien le contenu de cette tribune écrite sous forme d’avertissement : nous devons veiller, nous autres Tunisiens, à ce que notre histoire ne soit pas être un éternel recommencement.

Par Kamel Eddine Ben Henia *

Le Parti destourien libre (PDL), parti inconnu il y a trois ans, est né de la débâcle politique des apprentis politiciens se proclamant d’une révolution qui ne dit que son nom. Indésirable pour certains, fui et évité par d’autres ex-Rcdistes, qui tentent de se faire oublier, car ils portent encore les stigmates de l’échec de l’ancien régime, lourde responsabilité de l’histoire d’une Tunisie blessée, et qui préfèrent se mettre à l’abri le temps qui reste, loin d’un parti proscrit, issu d’ailleurs de leurs propres rangs et partageant leurs convictions; et ce, en se diluant dans la mosaïque politique, certains préférant même épouser des causes qu’ils avaient farouchement combattues pendant les années de braises qu’ils n’ont cessé de raviver.

Gare à la tentation du révisionnisme !

Il y a, en revanche, d’anciens Rcdistes fidèles à leur appartenance passée, qui se sont regroupés au sein du PDL. Ils rejettent la révolution de 2011, ce qui est leur droit, et ambitionnent de reconquérir le pouvoir par la voie démocratique, qu’ils préserveront, ensuite, par la même voie, du moins selon leurs déclarations, ce qui est un pari hasardeux, difficile à tenir, quand on adopte le révisionnisme comme démarche politique.

Abir Moussi, la présidente du PDL, aussi dynamique et charismatique soit elle, se pose en leader tant espéré par les Tunisiens dans ce désert politique qui prévaut actuellement, mais elle ne semble pas mesurer la gravité de la situation générale dans le pays, qu’on ne peut pas attribuer seulement à l’échec des gouvernements successifs d’après la révolution de 2011, car les Tunisiens paient encore les conséquences des années d’oppression, de négligence et d’oubli, qui ont mis à jour, après 2011, les difficultés d’une société précarisée, qui s’est effondrée rapidement face à la première épreuve de son histoire moderne. Il y a eu des erreurs à tous les niveaux, et à la place de Mme Moussi, je prendrais garde de ne pas sauter dans l’inconnu, à moins qu’elle dispose d’une stratégie et d’un agenda politiques pouvant sortir le pays de la crise larvée où il se morfond depuis dix ans pour le remettre sur les rails de la croissance et de la prospérité.

Les derniers sondages d’opinion montrent tous une forte avancée du PDL dans les intentions de vote, avancée qui se justifie par le grand vide politique créé par une nouvelle race de politiciens prédateurs, dont l’incompétence n’a d’égal que les appétits de pouvoirs et de privilèges. Si, en 2024, Moussi et son parti seront élus, ce sera, à n’en points douter, un vote sanction, et tout le monde en convient, mais comment, une fois au pouvoir, le PDL compte-t-il s’y prendre ? Possède-t-il assez de compétences et de cadres de l’administration publique lui pour gérer un pays dont les problèmes non résolus s’accumulent et s’aggravent, ou va-t-il se résoudre à faire appel à la vieille garde, tapie dans l’ombre et attendant son heure? Bref, il prend les mêmes et il recommence ou alors ira-t-il vers des alliances, quasi-impossibles, et contre-nature, avec ses adversaires islamistes, comme l’ont déjà fait Nidaa Tounes et Béji Caïd Essebsi, après leur victoire électorale en 2014, avec les résultats catastrophiques que l’on connaît.

Les médiocres du RCD tiennent encore boutique

Il ne faut pas oublier que le Parti socialiste destourien (PSD) de Bourguiba rebaptisé Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) par Ben Ali, dont se réclament tapageusement le PDL et Mme Moussi, a eu ses militants sincères, ses héros et ses martyrs, mais il a eu aussi ses opportunistes et ses criminels, tellement médiocres que même l’histoire ne s’en souvient plus. Ironie du sort, beaucoup de ces médiocres tiennent encore boutique et attendent leur moment.

On a vu récemment quelques uns parmi les anciens militants de base du RCD, à la réputation ternie, qui reprennent du service, tentent de se faire remarquer et se positionnent déjà en perspective de 2024 en criant déjà victoire.

J’ai été témoin de ces tristes scènes et, franchement, cela est loin d’être rassurant. Dix ans de gâchis pour en arriver à la restauration de l’ancien régime ? Voltaire disait : «Le crime a ses héros, l’erreur ses martyrs». Alors attention, il y a péril en la demeure. Les dirigeants du PDL doivent veiller à l’intégrité de leurs nouveaux militants, qui doivent être sincères et au-dessus de tout soupçon. Ils ont assisté à la chute du régime de Ben Ali et ils sont censés en avoir tiré les bonnes leçons pour ne pas rééditer les erreurs du passé. Car, et cela, ils ne doivent pas l’oublier, les Tunisiens, contrairement à ce que l’on dit souvent, n’ont pas la mémoire courte et se souviennent des circonstances ayant présidé à la chute de l’ancien régime.

* Ancien cadre de l’administration.

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