Une année s’est écoulée depuis le décès le 9 octobre 2019 du poète hongrois d’origine, français de nationalité et tunisien de cœur Lorand Gaspar. Médecin, poète, historien, photographe et traducteur, Lorand Gaspar a vécu et exercé à Tunis de 1970 à 1995, et habitait une petite maison accolée au flanc du village de Sidi Bou Saïd.
Né à Târgu Mures en Transylvanie orientale, le 28 février 1925, il a été déporté durant la Seconde Guerre mondiale, et se réfugie en France où il fait des études de médecine. Chirurgien de l’hôpital français de Jérusalem de 1954 à 1970, il pratique ensuite au CHU Charles-Nicolle à Tunis de 1970 à 1995.
Médecine et écriture sont intimement liées dans son œuvre de Gaspar, tout comme dans la vie de l’homme. Son premier recueil, ‘‘Le Quatrième État de la matière’’, publié chez Flammarion en 1966 reçoit le prix Guillaume-Apollinaire en 1967. Par la suite son œuvre sera couronnée de multiples prix. En 1998, il reçoit le prix Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre.
Il fonde et codirige, avec Jacqueline Daoud, sa seconde épouse, et Salah Garmadi, la revue tunisienne ‘‘Alif’’, éditée par la maison d’édition Cérès dont douze numéros paraîtront entre 1970 et 1982. Il a beaucoup marqué la vie littéraire en Tunisie dans les années 1980-1990.
Nos rivières ont pris feu !
Un oiseau parfois lisse la lumière –
ici il fait tard
Nous irons par l’autre bout des choses
explorer la face claire de la nuit —
je connais des matins fous d’étendue
de désert et de mer —
mouvoir qui refond les visages
remploie ses traces.
Monastère de vie de flamme pulmonaire
dans l’épaisseur fumante de midi —
nous enseignons aux algues, aux poissons
la couleur de l’air et l’histoire de l’homme
pour les faire rire au soir dans l’encre opaque
des poulpes effrayés
ce matin qui vient se poser .si frais dans tes yeux
tout pleins encore de fragiles porcelaines
le jour poreux
son long baiser de laine
tout ce corps resté pour nuit quelque part
La lumière joue dans des corps étroits d’oiseaux de brefs mouvements d’air où les sons se plissent et découvrent la peau les yeux des femmes
des hommes lourds de trépas, de sommeil, la nuit voûtée dans le dos regardent ces mailles sur l’eau qu’un rien déchire et là-bas sans doute des vitres en feu —
blanches parois d’oiseaux reposés fossiles au hasard dans les couches du jour eaux peintes de nos passages les fonds tremblent encore —
balancements d’ailes
gouffres rapides sous la peau
on se penche sur des plages fumantes
les joues brûlées
nappes tendres d’acier gris
nos mains émondées sur les pentes
de cette lumière —
et nos doigts rient
de roues immenses légères
dans la maison plus intérieure de la vie
où quelqu’un vient
acier
silence
replis.
Les sons bullent dans les dalles de lumière.
Tu t’es fait nuit blanche dans le blanc qui perce le tulle de nos bruits.
Surfaces distances dévotions les jours s’effritent dans l’arène et le regard et la danse —
Je t’ai bâti de crissements et de cris exhumé puis lentement de nouveau enseveli.
Lenteur aveuglante
du minéral à la mer
de longs voyages troués dans le temps
se retrouver dans une plante, un cilié
la fraîcheur de ses nuits
toutes portes où l’on se trouve et s’abandonne.
Comme les regards étonnés
d’être morts
comme s’arrachent
les oiseaux ivres leurs plumes
nos gestes étaient trop clairs
pour ne pas surprendre
leur pesant d’ombre.
Si loin que le sourire ne sait les paupières.
Tiré des cris longs d’oiseaux en vol la lettre fluide des choses sans mémoire le jour brûlé il arrive qu’on oublie les paroles.
Là-bas au bout du monde
là-bas les soleils
la bouche enflée de nuits
là-bas les horizons
la soie sauvage du désir
monde grave
où rien n’est insulté ni laid
le couteau tombe
le jour marche sur les plafonds
dans ses entrailles cuivrées.
Le port est repeint de noir
il y a deux ou trois bateaux très blancs
où manque la nuit —
fenêtres où rêvent
des îles enfouies dans les yeux.
O tant de nuit mangée à blanc
nous avions aussi un destin de fenêtre
où quelqu’un a crié de joie —
le silence le port au soir
deux ou trois bateaux très blancs
où manque la nuit —
je voulais qu’on m’aime — mendiant exact aux fêtes de lumière usé de gris et de blasphèmes.
Il me reste de cette chair les arêtes de tant d’élancements —
maintenant le jour les yeux nus
et quelqu’un a repeint mon plafond de choses et déjà je n’y vois plus —
il pleut dans le soleil
les arbres et les maisons sont plus graves
par la terre plus lourde je sais où tu es
quand se vident les yeux
et l’on voit l’espace à travers.
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