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Chronique d’un retour à Tunis ou quand confiné rime avec condamné

L’auteure raconte son arrivée avant-hier, 8 février 2021, à l’aéroport de Tunis-Carthage, en provenance du Royaume Uni, pays où elle était bloquée pendant un mois. Dans la conjoncture actuelle, la lecture de ce récit pourrait intéresser les futurs «revenants» de l’étranger, les responsables de la santé, du tourisme et des transports, et tous les concernés par la pandémie de la Covid-19 et la sécurité des citoyens en Tunisie.

Par Liliana Nefzaoui

Bonjour, Tunis! Je suis heureuse de retrouver enfin le ciel sans nuages, le soleil et la douceur de ma chère Tunisie, si bien que pour le moment mon seul contact avec la réalité est la bruyante autoroute de la Marsa, dont le trafic incessant est visible à travers le hublot.

Les voyages en temps de Covid-19 sont très particuliers. J’ai dû trimballer un dossier plein de documents: attestation d’employeur, de résidence, engagement de confinement, voucher d’hôtel, test Covid négatif, etc. J’ai vu partout plein de voyageurs, moins organisés que moi, se débattre avec plein de paperasse devant les divers contrôles d’embarquement.

À l’aéroport, à Paris, Air France a vérifié très en détail la conformité des documents de CHACUN des passagers. Comme résultat, notre vol vers Tunis a pris un retard d’une heure, adouci par toutes les excuses de la compagnie aérienne, qui nous a maintenus constamment informés sur les motifs du délai.

La chance d’être habitué à l’inhabituel

Ce n’est qu’en arrivant à Tunis et après récupération des bagages, que la confusion a commencé. Au fait, cela m’a plutôt rassurée car je me suis dit qu’enfin j’étais chez moi.

Pour commencer, j’espérais retrouver tout de suite le minivan de l’hôtel à la sortie de l’aéroport. Un policier m’a signalé qu’il fallait rebrousser chemin et revenir en arrière pour retrouver les bus, sans indication précise de l’endroit où l’on devait se diriger. De bouche à oreille, les passagers désorientés ont fini par trouver le bon chemin qui menait au tarmac, l’endroit où quelques bus les attendaient.

La vérité, je m’étais mal habituée à l’Angleterre, car il y avait partout des flèches et des signes qui montraient clairement à chaque citoyen ce qu’il était censé faire ou vers où il devait se diriger : là-bas, il y a une surabondance de signalisations et l’on suit simplement des indications, sans se creuser les méninges. Ici c’est une autre histoire: il y a instinctivement un effort mental de survie qui se développe et qui nous met dans un constant état de vigile et d’alerte: on lit sur les visages, on cherche des signes, on scrute les regards et on se partage le peu d’information qui nous parvient. C’est comme un jeu de devinettes. Ce qui est bon c’est que l’on trouve toujours un moyen de s’en sortir. C’est pour cela peut-être que nous sommes mieux équipés que les Européens pour faire face aux situations de crise, car on est habitués à l’inhabituel. Rien ici n’est acquis. Rien ici n’est définitif, tout est négociable et susceptible de contestation et de déviation.

Les passagers entassés les uns sur les autres

Une fois arrivée au tarmac, j’ai constaté que les protocoles de distanciation sociale tant préconisés n’étaient qu’un rêve (comme beaucoup d’autres), tel que signalé avant moi par quelques personnes. Les passagers ont été obligés, malgré eux, de s’entasser les uns sur les autres, valises incluses, dans les bus envoyés par des hôtels. Les gens sont obligés de payer cher pour un transport qui les place en situation de risque, mais ils n’ont pas de choix: soit ils montent dans le bus, soit ils restent à l’aéroport.

Les hôteliers connaissent d’avance le nombre de personnes à transporter, mais ils se fichent de la distanciation sociale et de la sécurité de leurs clients. Tout ça se passe sous le nez des autorités qui nous obligent à suivre ce confinement hôtelier et qui ferment carrément les yeux. L’aéroport grouillait de policiers, de commandos, etc., ayant pour tâche principale d’escorter les touristes.

Avec un jeune ingénieur allemand de Siemens, j’ai attendu pendant une heure avant que le véhicule de notre hôtel (Lac Léman) n’arrive. Le chauffeur a placé nos valises dans le coffre et pendant un petit instant j’ai été soulagée : n’étant que deux personnes, au moins nos conditions ne seraient pas aussi dramatiques et nous ne serions pas entassés comme les autres voyageurs. Hélas, la grande surprise m’est parvenue en constatant que le siège arrière du minivan était inutilisable, rempli de pneus et de trucs divers et que le seul espace libre était le siège avant, à côté du chauffeur.

Nous voilà donc assis bien serrés, à trois, à l’avant de la voiture, en parfaite promiscuité, le pauvre Allemand installé presque sur les genoux du chauffeur, de façon telle qu’a chaque changement de vitesse, il était obligé de soulever ses jambes. Et dire que chacun de nous a payé 50 DT pour être transporté dans un véhicule défaillant avec le logo de l’hôtel Lac Léman, non adapté au transport de touristes, ne respectant ni les protocoles de distanciation sociale, ni ceux de la sécurité routière (trois personnes assises à l’avant, sans ceinture de sécurité…). Si j’avais pris un louage ça aurait été plus confortable et pour un prix moindre! Le chauffeur a trouvé comme excuse que l’autre van était tombé en panne.

Pourtant, j’ai remarqué une autre voiture avec le même logo de l’hôtel Lac Léman, en meilleur état, transportant aussi des passagers (vers l’hôtel Le Palace, d’après le chauffeur…)

L’hôtel est plein de confinés

Nous voilà, alors, entassés nous aussi comme tous les autres, mais toujours sans pouvoir partir. Les raisons? Il a fallu attendre l’arrivée des 2 voitures de la police censées nous escorter jusqu’à destination. Au fait, les véhicules de la police font la navette entre l’aéroport et les hôtels et puisqu’il n’y a pas suffisamment d’effectifs pour accompagner tout le monde, il faut attendre leur retour pour pouvoir partir. Ce n’est qu’au bout de deux heures après mon arrivée que j’ai pu enfin retrouver mon hôtel, sous escorte de 2 voitures policières avec des gyrophares et tout le tralala. Sortir de l’aéroport m’a pris presque autant que le voyage Paris-Tunis, sachant que le transfert aéroport-hôtel n’a pris que 7 minutes.

Ce n’est pas une image très flatteuse celle que nous offrons aux touristes qui débarquent dans notre pays. Quant au jeune allemand, il m’a dit qu’il était déjà habitué au chaos, après avoir vécu en Égypte et au Maroc.

Je suis consternée également de constater que la police investit tant de temps maintenant à escorter des touristes entassés comme des sardines dans des bus, tandis qu’il y a plein d’autres problèmes et délits à Tunis qui mériteraient plus d’attention de sa part. Le seul effet positif de tout cela, c’est ma satisfaction en tant que membre de la collectivité, de payer ma contribution citoyenne permettant la survie du secteur hôtelier et de ceux qui en dépendent. Etant donné le nombre d’assiettes transportées par le valet de chambre, l’hôtel est plein de confinés (ça rime avec condamnés!).

Dans la photo, l’un des bus chargés du transport des voyageurs, plein de valises et de voyageurs entassés.

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