Deux condamnations à mort de jeunes Tunisiens, pour des faits différents, l’une à Tunis et l’autre à Doha. La première est passée quasiment sous silence et la seconde a suscité un tollé général, d’abord sur les réseaux sociaux puis parmi les plus hautes autorités de l’Etat. Deux poids deux mesures, diront les uns. L’émotion suscitée par la peine de mort est à géométrie variable, diront les autres. Les mauvaises langues parleront d’hypocrisie et d’instrumentalisation politique.
Par Dr Mounir Hanablia *
Un jeune Tunisien a été condamné, cette semaine, à la peine de mort par la chambre criminelle du tribunal de Tunis. Il avait pénétré dans une maison de la banlieue nord, et assassiné la maîtresse de maison, une Ukrainienne bien connue et appréciée dans son quartier. Avait-t-il agi sous l’emprise de la boisson ou de la drogue? Ce crime qui n’avait pas épargné sa famille avait soulevé une émotion considérable, dans le voisinage, par son caractère horrible. Le juge a estimé que l’auteur méritait un châtiment exemplaire.
A plusieurs milliers de kilomètres de là, et également cette semaine, un autre jeune Tunisien (Fakhri Ladolsi, Ndlr) n’a dû voir son exécution reportée qu’à l’intervention du président de la république Kais Saied auprès de l’émir du Qatar. Il avait été condamné pour terrorisme et les demandes du gouvernement tunisien de le faire juger dans notre pays s’étaient heurtées à une fin de non-recevoir. Malgré les relations privilégiées, et même équivoques, entretenues par une partie influente de l’éventail politique avec l’émirat (parti islamiste Ennahdha, Ndlr), ses autorités ne nous font pas confiance quand il s’est agi de juger équitablement l’un de nos compatriotes pour des faits de terrorisme. Il faudrait en connaître les raisons. A priori il semblerait étonnant qu’on en eût fait une question de souveraineté, mais il est vrai que peu de pays acceptent de déléguer à d’autres le droit de juger des faits commis sur leur propre sol, en particulier quand ils sont graves. À la limite ce serait même impensable, tout comme serait inconvenante une demande d’extradition.
Dans l’affaire de Lockerbie, on se souvient comment Kadhafi n’avait accepté de livrer ses ressortissants pour être jugés par une cour écossaise qu’à la condition que celle-ci siège à la Haye, c’est-à-dire dans un pays autre que le Royaume Uni, où le crash de l’avion eut lieu, il n’avait pu obtenir que cette concession dans une situation où il n’avait pas trop le choix mais qui permettait néanmoins de préserver l’illusion non corroborée par les faits d’un procès équitable.
On a vu aussi de quelles manières les Mexicains avaient renvoyé Nicolas Sarkozy, qui demandait la libération d’une ressortissante française, et les Indonésiens avaient agi de même avec les Australiens et les Français dans des condamnations à mort pour affaires de drogue.
Une grâce provisoire qui ne préjuge rien de bon
On ignore donc quels éléments objectifs la justice du Qatar a retenus contre l’accusé pour justifier sa condamnation mais les autorités de ce pays n’ont pas la réputation de s’en soucier d’habitude particulièrement, ni de brandir le paradigme de l’indépendance de la justice, en vigueur sous nos cieux. Celle-ci étant un attribut du pouvoir de l’Émir, c’est lui qui a simplement ordonné de surseoir à l’exécution, parce qu’il voulait probablement honorer ainsi le chef de l’Etat qui le lui avait demandé, ou bien, qui sait, humilier l’orgueilleuse Tunisie qui avait prétendu donner des leçons aux autres pays arabes avec sa soi-disant révolution, et qui clamait aussi maladroitement son droit de juger ses propres ressortissants chez elle comme le ferait une grande puissance, et celui de se défier de la justice des autres.
Cette grâce provisoire ne préjuge donc en réalité rien de bon, parce qu’elle ne s’accompagne d’aucune pression ou de contrepartie. On n’en voit d’ailleurs aucune possible à l’encontre d’un pays bien plus riche que le nôtre, parfaitement intégré dans le monde des pays producteurs d’hydrocarbures, celui qui compte; même pas des révélations éventuelles sur le financement de Daech, dont la première victime ne pourrait être qu’une partie de l’establishment politique tunisien, ni l’offre d’acquérir Tunisair dont nul n’ignore qu’elle a intéressé le pays de la cheikha Moza.
Depuis quand Saïed et Mechichi se soucient-ils de la peine de mort ?
Cela dit, on sait désormais, si on pouvait encore entretenir un doute à ce sujet, à quelle porte frapper, pour caresser l’espoir ténu de sauver notre ressortissant. Cela ne préjuge néanmoins en rien de sa culpabilité ni de son innocence. Le chef du gouvernement Hichem Mechichi, qui ne perd aucune occasion de jouer les matamores, s’est empressé de féliciter celui qui l’avait nommé à son poste, dans une tentative qui semble vouée à l’échec, de renouer les fils d’une relation rompue dans les conditions que l’on sait. Il a salué le souci du respect de l’intégrité de la vie humaine chez son ancien mentor. Venant le jour même de la condamnation de l’assassin de l’Ukrainienne, cet éloge aurait pu faire sourire, s’il ne s’était agi de tragédies, de peines, de vies humaines perdues, et d’autres en jeu. Et l’ironie de la situation n’a certainement pas échappé à l’émir du Qatar qui n’est pas le rustre que certains imaginent.
On pensera tout ce que l’on voudra de la peine de mort, le débat finira toujours par rebondir au gré des circonstances, autant horribles que politiques. Mais qu’un pays prétende défendre le droit à la vie de ses ressortissants à l’étranger, tout en pratiquant la peine de mort chez lui, a néanmoins de quoi faire réfléchir. Tout compte fait on a l’impression que le ressort de l’action diplomatique entreprise auprès du Qatar, dans cette affaire, relève plus de la peine de Maure, qu’autre chose.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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