L’affaire du sit-in organisé par le Parti destourien libre (PDL) devant le siège de la filiale tunisienne de l’Union des ulémas musulmans a, durant ces deux dernières nuits, pris des proportions qui ne pouvaient plus être ignorées, en menaçant de tourner au combat de rue entre les adversaires et les partisans de cette officine que certains accusent, non sans raison, de faire le lit de l’islam extrémiste voire du jihadisme en Tunisie.
Par Dr Mounir Hanablia *
L’Union internationale des ulémas musulmans assujettie aux Frères musulmans et au prédicateur extrémiste Youssef Al-Qaradawi, le protégé du Qatar, à qui le parti islamiste tunisien Ennahdha, depuis son arrivée au pouvoir en 2011, a accordé le droit de prêcher en Tunisie l’instauration d’une société obscurantiste et rétrograde, avait fait l’objet d’une décision de justice interrompant provisoirement ses activités, suite à des plaintes déposées par le PDL présidé par Abir Moussi, l’accusant de violer la Constitution et de chercher à changer la nature civile de la société et de l’Etat.
Cette décision de justice n’a été exécutée ni par le ministère de l’Intérieur, ni par le gouverneur de Tunis, pour des raisons certainement politiques, et c’est cela qui a entraîné le durcissement de l’action entreprise en vue de la fermeture de ladite association, dont certains dirigeants, s’exprimant dans un arabe non tunisien, ont lancé un appel au président de la république, afin d’assurer leur sécurité et dégager les abords de leur local.
Mme Moussi essuie un flot d’injures, d’imprécations et de menaces
La première nuit, mardi 9 mars 2021, les députés d’Al-Karama se sont donnés en spectacle et ont fait le buzz. Leur but était d’obtenir la levée du siège de l’association et le départ de Mme Moussi et de ses partisans. Le député Seifeddine Makhlouf, ainsi que quelques uns de ses partisans, n’ont cessé de déverser sur Mme Moussi, présente sur les lieux pendant des heures, leur haine dans un flot d’injures, d’imprécations et de menaces, dignes des pires voyous des quartiers, avant de se retirer au milieu de la nuit.
M. Makhlouf a une nouvelle fois prouvé qu’il n’aurait jamais dû s’occuper de politique et que sa place n’était pas au parlement. De surcroît, en contribuant à la lapidation (en arabe ce terme signifie aussi dire du mal, déconsidérer verbalement, insulter) de son adversaire politique, il risque d’assumer la responsabilité des violences dont elle pourrait être un jour victime, ou de tout attentat contre sa vie, devenu prévisible. Et jusqu’à présent il a bénéficié d’une indulgence scandaleuse dans ses agressions, qui déconsidère la démocratie et justifie les arguments de ceux qui pensent que le pays n’en soit pas digne. Et n’eût été la présence sur les lieux d’importants effectifs de police, et séparant les différents protagonistes, les choses auraient certainement dégénéré.
Le lendemain, mercredi 10 mars, des députés et des militants du parti Ennahdha ont essayé de pénétrer dans le local, sans succès, et des dizaines de contre-manifestants ont alors commencé à s’attrouper de l’autre côté du trottoir lui faisant face en lançant des slogans hostiles à Abir Moussi et à feu Ben Ali. Des barrières ont été établies par les policiers de part et d’autre de la chaussée pour séparer les deux parties. Dans la nuit, d’importantes forces de police sont arrivées sur les lieux et à dix heures du soir, ont refoulé avec une certaine brutalité, d’abord les journalistes et les manifestants (certains ont été blessés et transportés à l’hôpital) et les contre-manifestants (qui ont été traités, eux, avec ménagement), pour finir par démanteler toutes les tentes et tous les abris installés aux abords de l’association des ulémas musulmans.
L’indifférence de l’Etat face à la wahhabisation rampante de la société
Mme Moussi n’a donc apparemment pas atteint le but qu’elle s’était fixé en organisant le sit-in, débuté en novembre 2020, à savoir l’interdiction définitive d’une organisation étrangère accusée d’être liée au terrorisme. En réalité, elle a révélé, cette fois à la face du monde, le problème de toutes les associations d’obédience religieuse qui influent sur le cours de la vie politique du pays dans un sens favorable aux partis islamistes, et dont plusieurs sont liées à l’étranger, en l’occurrence au Qatar. Elle a également mis en lumière le problème du financement des associations et des partis politiques, dont la Cour des Comptes avait déjà fait état dans ses rapports, jusqu’ici sans grande réaction des autorités concernées. Elle a démontré la complicité de l’Etat, qui s’abstient d’exécuter des décisions de justice, pour des raisons ayant trait à la nécessité de ménager les partis politiques soutenant le gouvernement, même dans des affaires relevant du terrorisme et de la sécurité du pays.
L’action de Mme Moussi a enfin établi l’indifférence de la société civile, des partis dits progressistes et de certains milieux libéraux face à la wahhabisation rampante de la société et la diffusion de l’intolérance, de la haine, et des valeurs pseudo religieuses, préparant l’avènement de sociétés obscurantistes, faisant le lit du terrorisme. La conclusion en est évidente, il y a du vrai dans l’affirmation que le régime démocratique actuel ne serve que de paravent aux intérêts d’une seule partie, Ennahdha, et ses sous-produits, et ne réponde pas à ceux du pays et du peuple tunisien. La crise économique actuelle ne confirmerait que trop le bien-fondé de ses arguments.
Le fait qu’elle soit autoritaire ne prouve pas que Mme Moussi n’ait pas raison
Evidemment, on reproche à Mme Moussi, à travers son ambition de rayer l’islamisme de la carte politique du pays, celle de rétablir la dictature qui avait cours au temps de Ben Ali, et du RCD, dont elle fut membre. Et en effet, ses discours disent bien que l’indépendance et la souveraineté du pays sont plus importants que la démocratie, particulièrement quand elle contribue à l’affaiblissement de l’Etat, et à la dégradation dramatique de la situation économique du pays. Et pour ne pas la contredire, le chef de gouvernement, Hichem Mechichi a augmenté les prix du carburant immédiatement après la dispersion par la police de la manifestation contre l’Union des ulémas musulmans.
En fait, Mme Moussi après son meeting de Béja, dimanche dernier, 7 mars, effraie suffisamment ses adversaires qui semblent désormais décidés à lui barrer la route du pouvoir, en ayant recours au besoin à la rue et à la violence. Ses prochains meetings risquent d’être agités. Autoritaire, la présidente du PDL l’est assurément. Ceci ne signifie nullement qu’elle n’ait pas raison.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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