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Abir Moussi ou le retour du discours nationaliste

Le discours de Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), lors du meeting de Béja, dimanche 7 mars 2021, a vraiment été remarquable de clarté. Il faut d’abord saluer la force, l’éloquence, la franchise, la pertinence, le courage aussi, de cette véritable tunisienne, fille de Elissa et Bourguiba, qui risque sa vie à chaque instant en se rendant à des meetings politiques dans tous les coins du pays, afin de renseigner le peuple sur l’avenir qui lui est concocté par les «Kouanjias» (islamistes), selon sa terminologie préférée.

Par Dr Mounir Hanablia *

Que ces meetings-là contribuent malheureusement à la dissémination du virus anglais qu’on prétend combattre, est une réalité indéniable, mais l’heure est grave, la souveraineté du pays étant désormais en jeu, et impose tous les sacrifices.

Elle a comme d’habitude dénoncé les ex-immigrés venus d’Angleterre, suppôts de la mondialisation et de la globalisation, qui depuis dix ans, en se camouflant derrière les nécessités du libéralisme économique, de la libre entreprise, tout autant que derrière l’apparence de la piété religieuse, œuvrent sans relâche à saper les fondements de l’Etat national et à hypothéquer l’indépendance du pays. Cela ne relève pas de la lubie. S’il est une réalité indéniable, c’est bien la dégringolade lente et sûre, depuis janvier 2011, de la note souveraine de notre pays accordée par les organismes de notation internationaux (8 baisses en 10 ans, difficile de faire pire). Cela, même les journalistes de certaines stations de radio privées, prompts à l’accuser de véhiculer des fake-news, ne peuvent pas le nier.

L’Etat laisse libre cours à la spéculation sur le marché des produits alimentaires

Au cœur du poumon céréalier et du principal réservoir des ressources hydrauliques du pays, Mme Moussi ne pouvait pas ignorer la question fondamentale et vitale de l’eau, pour laquelle l’Etat depuis 10 ans n’a pas paru très pressé de trouver une solution, ni celle de l’agriculture. Des fruits et des légumes qui ont jusque là toujours été produits par notre pays sont désormais importés de l’étranger. Des tonnes de lait ont été déversées dans les fossés. Les récoltes record d’huile d’olive ont abouti à des chutes des prix sans précédent de cette précieuse denrée alimentaire, qui n’a pas trouvé acheteur.

Comme toujours ce sont les producteurs qui sont lésés parce que l’Etat laisse libre cours à l’activité spéculative sur le marché des produits alimentaires. On ne peut donc pas qualifier la gestion de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) de saine ni de sage. Et à la limite on pourrait même s’interroger sur sa raison d’être sous le régime du libéralisme économique.

Cette organisation censée réguler le marché au bénéfice des producteurs ne réalise apparemment pas ses objectifs et prête ainsi le flanc à des soupçons légitimes d’instrumentalisation politique, plus précisément relativement à la distribution de l’eau et des semences, selon Mme Moussi. Cela lui a valu d’être accusée de mensonge. Il est vrai que ses commentaires sur la collusion des médias pour dissimuler certaines réalités ne lui valent pas que des alliés dans le milieu journalistique, pas plus d’ailleurs que ceux, sarcastiques, relativement aux élites démocratiques progressistes populaires, qui lui reprochent son opacité sur les questions des droits de l’homme et de la liberté d’expression.

Une cheffe de guerre s’adresse au peuple désorienté et appauvri

Tout le monde en aura ainsi pris pour son grade, du sommet de l’Etat, accusé d’être désorganisé et inefficace, à la totalité de l’éventail politique, qui n’a rien fait pour empêcher le pays de sombrer, au point de voir sa souveraineté menacée. La souveraineté est ainsi l’ultime réduit de l’Etat représentatif de la volonté de la nation, dont Mme Moussi a annoncé qu’il vaudrait mieux mourir de faim plutôt qu’y renoncer. Pour peu, elle nous aurait promis, ainsi que l’avait fait Churchill, du sang, de la sueur, et des larmes. Et c’est donc en chef de guerre qu’elle s’est adressée au peuple.

L’engagement de Mme Moussi à respecter la démocratie ne pouvait donc être que relatif, et il l’a été, l’islam politique en tant que mouvement en étant d’emblée et à juste titre exclu pour des raisons ayant autant trait à sa nature au mieux ambigüe, au pire rétrograde, qu’à sa gestion catastrophique des affaires du pays.

Quant au respect de la liberté d’expression, celui-ci ne couvrirait que celle des besoins répondant aux exigences d’une vie meilleure. Cependant il ne s’agit nullement de porter contre la présidente du PDL l’accusation de volonté éradicatrice puisque son appel à l’unité nationale dans la continuation de celui de Bourguiba, pour préserver le pays, inclut également les islamistes, à la notable différence près qu’il s’adresse à eux à titre individuel. Et si elle a clairement désigné l’eau comme une priorité, le problème énergétique, tout aussi important, n’a été que sommairement abordé, et mériterait de l’être davantage lors des prochains discours, particulièrement les perspectives accordées aux énergies renouvelables. Dans le cadre d’un dirigisme étatique, sans doute un capitalisme d’Etat, qui doit selon elle être mis en place pour gérer le redressement du pays, c’est le financement des programmes assurant l’autonomie et les besoins en eau et en énergie, qui nécessite les éclaircissements nécessaires.

Le salut du peuple passera par le redressement économique

Avec un service de la dette qui accapare les ressources disponibles, seules des rentrées fiscales supplémentaires pourraient fournir les fonds nécessaires à un redressement économique parrainé par l’Etat. Cela supposerait une réforme fiscale dont il faudrait définir quelle tranche de la population devrait en soutenir le fardeau principal. L’idéal serait évidemment que les milieux d’affaires y contribuent substantiellement, mais une telle éventualité ne pourrait être considérée de leur part que comme un anathème, dans les conditions actuelles, avec une économie en récession (-8% en 2020) et les déboires judiciaires de certains de leurs membres.

On peut imaginer d’autre part que les syndicats n’auront dans le cas de figure d’autre choix que de coopérer, ce qui est plus facile à dire qu’à faire, compte tenu des réalités. La mobilisation populaire considérable qui accompagne désormais tous les meetings du PDL apporte certes espoir et réconfort. Avec l’approfondissement de la crise économique, les liens entretenus autrefois avec le RCD ne constituent désormais plus aux yeux de la population un critère d’exclusion et d’ostracisme, bien au contraire. Mais dans un pays où le facteur régionaliste est toujours aussi présent, si Mme Moussi paraît s’imposer comme le leader réunificateur de la nation autour des thèmes nationalistes, dans certains gouvernorats du nord du et du centre du pays, et face à l’hostilité d’une intelligentsia tétanisée qui se situe toujours dans l’opposition au régime de Ben Ali, soutenue par certains milieux d’affaires reconvertis dans la «démocratie» et la mondialisation, c’est probablement au sein des gouvernorats du sud , le fief du parti Ennahdha, que le destin politique de la présidente du PDL risque d’être bientôt fixé.

La montée en puissance de Mme Moussi et du PDL prouve néanmoins qu’une partie de plus en plus importante du peuple tunisien est prête à concéder la liberté des ventres vides contre la prospérité et la dignité.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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