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Affaire de l’Union des oulémas : mieux vaut avoir affaire à Dieu qu’à ses saints

Abir Moussi / Rached Ghannouchi et son mentor Youssef Qaradawi.

Si on prétend agir pour l’union de tous les Tunisiens et la paix civile dans le pays, le moins que l’on puisse faire est de démanteler la filiale locale de l’Union internationale des oulémas musulmans (UIOM), une association étrangère soupçonnée de faire le lit du terrorisme.

Par Dr Mounir Hanablia

L’affaire de la filiale tunisienne de l’UIOM a pris une tournure judiciaire, qui était certes attendue. L’association fondée par Youssef Qaradawi et Rached Ghannouchi a porté plainte contre le Parti destourien libre (PDL) et sa présidente Abir Moussi pour violation de domicile, vol ou reproduction illicite de documents, séquestration de personnes, calomnie, incitation à la haine et à la discorde.

Les moyens d’information de grande audience avaient significativement abondé dans ce sens. Mme Moussi a ainsi été accusée par plusieurs commentateurs de pratiques dictatoriales dignes de l’époque de Ben Ali, en se substituant à la justice. Ses détracteurs y sont allés de leur pamphlets moralisateurs, s’interrogeant sur le devenir du pays dans l’éventualité où tout un chacun pourrait s’arroger le droit de se faire justice lui-même.

Libérer l’islam de son porte-parole autoproclamé

Cette réflexion ne visait certes pas les députés de la coalition Al-Karama, la nuit précédant la levée du sit-in, dont le comportement s’apparentait plus à ceux d’une milice d’autodéfense, qu’à celui de paisibles citoyens, et qui n’a jamais suscité les réactions appropriées, particulièrement quand des violences verbales et physiques dans l’enceinte de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) s’étaient exercées contre d’autres députés, notamment ceux du PDL.

Même le Docteur Lotfi Mraihi, le fondateur de l’Union populaire républicaine (UPR), qui à priori n’avait jamais donné l’impression de continuer à entretenir des liens de près ou de loin avec le parti Ennahdha, a pris parti, en considérant que les islamistes étaient après tout des Tunisiens et que la lutte pour la restauration de l’économie du pays imposait à tous ses citoyens d’œuvrer conjointement. Mais qui a donc jamais prétendu le contraire?

Simplement il faudrait libérer l’islam de son porte-parole autoproclamé, le parti Ennahdha. L’islam n’est pas menacé, et même s’il l’était, ce ne serait pas à des étrangers de venir nous convertir. Quant à ses membres, qui n’ont rien à se reprocher relativement au terrorisme et à la corruption, ils pourraient toujours faire de la politique, comme tous les citoyens, dans un parti séculier.

M. Mraihi, néanmoins, s’est bien gardé de préciser qu’il serait encore plus important de cesser les critiques débridées et décousues sur de prétendues violations de la Constitution, telles que lui-même ne se fait pas faute de les rapporter, contre le président de la république élu; particulièrement quand elles sont fausses.

La démocratie en Tunisie est un rituel purement formel

En fait, il n’y a donc pas eu débat relativement à l’action entreprise légalement par Mme Moussi, depuis novembre 2021, contre ladite Association, il y a eu un tollé qui a uni des gens de sensibilités différentes, contre «le populisme». Chacun a pris position, non pas en fonction des faits, mais de convictions politiques préétablies.

Apparemment ce qui était en cause n’était pas de la violation des locaux, on pourrait en dire autant de celle du couvre-feu par des députés, dont le mandat n’a jamais été de fomenter dans la rue des affrontements pour couvrir les agissements d’une association étrangère accusée de terrorisme, ni de se livrer à un simulacre de mise à mort contre des adversaires politiques, sous les yeux de la police.

Quant à ajouter que l’association est légalement reconnue, cela constitue en réalité le fond du problème. Ce qui est reproché, ou ce qu’on prétend qu’il le soit, c’est l’intention qu’on prête à la présidente du PDL de mettre fin au «système», c’est-à-dire fournir des explications le justifiant, dans l’intérêt du pays, éventualité qu’on a qualifiée de retour de Ben Ali.

Et effectivement ce sursaut général autour de la nécessité de respecter la justice a de quoi interloquer, particulièrement en ce moment, on verra pourquoi. Hichem Mechichi, pour justifier la décision de disperser le sit-in du PDL et de démanteler ses tentes, a invoqué une décision de justice. En plein couvre-feu, cela eût dû normalement être superflu, toute violation étant systématiquement réprimée par les forces de l’ordre. Pour des raisons que l’on comprend parfaitement et qui n’ont rien à voir avec le respect des libertés, mais au conflit opposant le président de la république à celui du parlement, le chef du gouvernement, qui s’est autoproclamé ministre de l’Intérieur, serait le dernier à envisager de dévaloir ses pouvoirs de police à l’autorité militaire. Pourtant c’est à celle-ci qu’il incomberait de faire respecter l’interdiction de circuler, en recourant à des mesures administratives, et si nécessaire, en faisant comparaître les contrevenants devant la justice. Celle-ci, représentée en l’occurrence le procureur de la république, consultée, n’a pas eu un grand effort à fournir pour convaincre de la nécessité de faire respecter l’ordre dans la rue, plus important à ses yeux que celui des libertés constitutionnelles, quand elles suscitent des désordres sur la voie publique.

Et effectivement la démocratie en Tunisie est un rituel purement formel, elle a cette particularité de s’appuyer sur une Constitution à la carte, dont on ignore les articles qui ne siéent pas aux partis politiques au pouvoir, tant bien même ils l’eussent eux-mêmes rédigée, comme par exemple celui établissant une Cour Constitutionnelle, ignoré depuis 7 ans.

La position ambiguë sinon complice des autorités publiques

Pourtant, en 1965, le président Lyndon Johnson avait envoyé la garde nationale protéger tout le long du parcours les marcheurs des droits civiques de Selma, malgré l’hostilité violente affichée à leur encontre par des racistes blancs, et la menace des désordres qu’ils pouvaient susciter. Il est vrai qu’en ce temps là, l’Etat d’une manière générale gouvernait dans le sens de gouvernement et non pas de la gouvernance managériale qui impose la recherche du consensus y compris par le respect des factions les plus suspectes de la société. Mis à part le mont Chaâmbi, où ils continuent de frapper de temps à autre, et dont deux enfant viennent encore d’être les victimes, les terroristes n’ont ainsi plus besoin d’agir, il y a des députés qui sont là pour relayer leurs thèses et leurs doléances, dans l’impunité la plus totale, l’Etat se faisant fort de les écouter, et de leur rendre justice, si on peut s’exprimer ainsi.

L’abstention des autorités de fermer provisoirement une association accusée de connivence avec le terrorisme, en constitue un premier indice. En constitue un second la tournure prise par l’enquête sur ses comptes, et qui au lieu de faire saisir ses archives par la police, en usant de la surprise, ainsi que le commanderait toute action entreprise dans le cadre de la lutte antiterroriste, se contente de lui commander d’apporter des justificatifs comptables, en respectant les délais légaux, comme s’il s’agissait d’un club sportif ou culturel quelconque.

En dépit de tout ce qu’on pourrait penser de ses opinions politiques, Mme Moussi a été donc fondée d’accuser les amis de M. Ghannouchi de détruire des preuves de leur culpabilité. Ce serait encore le moindre des maux s’il en était simplement ainsi. Mais là-dessus est paru cet article dans le journal, ‘‘Al-Maghreb’’, écrit par le journaliste Hassen El Ayadi, et intitulé : ‘‘Après la lettre de la ministre de la Justice par intérim au Conseil judiciaire, le saut vers l’abîme ’’. On y apprend qu’un procureur accusé par des collègues de dissimuler des dossiers relatifs à deux assassinats politiques dans des affaires de terrorisme, qui ont secoué le pays, a été promu conseiller du chef du gouvernement. On y apprend aussi que la ministre de la Justice par intérim a demandé au Conseil supérieur de la magistrature la restitution du rapport d’enquête interne des services d’inspection du ministère de la Justice concernant le terrorisme et la corruption, et ce, le lendemain du jour où la Commission provisoire de constitutionnalité des lois, contrairement à toutes les autres instances juridiques consultées, telles le tribunal administratif, a donné raison au chef du gouvernement contre le président de la république, relativement au refus par ce dernier du remaniement ministériel, inspiré par les besoins de la majorité parlementaire de contrôler certains ministères clés.

Enfin le rapport de l’inspection générale du ministère de la Justice ne sera pas communiqué au public, contrairement à ce qui avait été annoncé. Évidemment, ceci confirme autre chose, la justice n’est pas indépendante de l’autorité politique. Et les récentes augmentations de salaires obtenues après la grève des juges et qui seraient financées par les caisses sociales, démontrent jusqu’à quelles extrémités l’autorité politique peut aller pour contrôler l’institution judiciaire.

Cette affaire laisse supposer, en tout cas, que, dans les poursuites ouvertes contre le PDL, la justice risque de se comporter plus comme le bras séculier des partis Ennahdha et Al-Karama au pouvoir, ainsi qu’elle le fait contre les «blasphémateurs» du facebook, les LGBT, les consommateurs de drogue condamnés à de très lourdes peines, ou les manifestants contre la politique impopulaire de M. Mechichi, que comme celui de l’Etat. Nabil Karoui, le patron de Nessma TV et président du parti Qalb Tounes, étant en prison, on niera bien sûr une quelconque subordination de la justice aux intérêts politiques dominants.

Pour une politique effective d’indépendance nationale

Comme dans tout pays, le gouvernement disposera toujours de multiples manières d’influer sur le cours de la justice, particulièrement dans son cours interne. Les islamistes actuels pour démontrer leur respect de la démocratie, et avant l’arrivée d’Edogan, avaient l’habitude de se comparer à la Démocratie Chrétienne. En Italie, ce parti ayant toujours été soupçonné de collusion avec la Mafia (la vraie), le terrorisme, et les manœuvres des services secrets, c’est là une comparaison qui pourrait trouver quelque bien-fondé. À une différence notable près : la Démocratie Chrétienne prétendait s’insérer dans le projet atlantiste de défense de l’Europe contre une mainmise de l’Union soviétique, dont les troupes stationnaient à 200 kilomètres, elle n’était pas porteuse d’un projet hégémonique international global, d’apparence religieuse, mais celant une appropriation, par le biais de la dette et du terrorisme, des richesses des pays arabo musulmans, et au bénéfice des Etats Unis d’Amérique.

Après l’arrivée d’Erdogan, les islamistes officiels, c’est-à-dire ceux qui prétendent être respectueux de la légalité, ont prétendu imiter la Turquie, pays de l’Otan qui n’est que l’un des chevaux de bataille de l’Amérique, en vue de démanteler l’Union européenne, par le biais de l’immigration, et du terrorisme.

Dans cette perspective, les événements qui ont eu lieu en Tunisie depuis 2011 acquièrent une nouvelle signification et rendent impérative une politique effective d’indépendance nationale. On ignore si une fois arrivée au pouvoir, ainsi que l’espèrent désormais une bonne part des Tunisiens, selon un sondage récent, Mme Moussi tiendra ou non ses promesses, ni si son discours prônant l’indépendance et la souveraineté nationales, ou si le dirigisme de l’Etat qu’elle propose pour relancer la croissance et le développement ne se transformeront pas en une mainmise d’un nouveau RCD sur le pouvoir et les affaires.

C’est certes une possibilité. Mais cette possibilité là demeurera quoiqu’il arrive un moindre mal par rapport à la situation actuelle d’un pays financièrement au fond du gouffre, où plus de 50% de l’économie est informelle, et où des associations étrangères enseignant des idées assimilables au terrorisme, se révèlent liées à des partis politiques locaux qui n’hésitent pas à descendre dans la rue pour les défendre, échappent au contrôle de l’Etat, des lois, et continuent d’avoir pignon sur rue, contre l’avis d’une partie non négligeable du peuple tunisien. Si on prétend agir pour l’union de tous les Tunisiens, le moins que l’on puisse faire est de démanteler cette association étrangère, et la renvoyer d’où elle vient.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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