Tunisair, la société tunisienne de transport aérien, jadis si florissante, est en difficulté financière et risque fort d’être en cessation totale de paiement. La gazelle, comme on la nomme, s’est réveillée, le 19 février 2011, paralysée, ne pouvant ni payer ses fournisseurs ni son personnel.
Par Mounir Chebil *
La société turque TAV Tunisie qui exploite les aéroports d’Enfidha-Hammamet et de Monastir-Habib Bourguiba a même opéré une saisie arrêt sur tous les comptes de Tunisair pour se faire rembourser une créance de 28 millions de dinars tunisiens (MDT) pour divers services non payés. Actuellement, la TAV a accepté de surseoir à l’exécution de cette saisie ce qui a permis à la compagnie de souffler un peu.
Pourtant, Tunisair était, avant 2011, bénéficiaire. Elle prêtait à l’Etat tunisien pour qu’il puisse équilibrer son budget, tout comme beaucoup d’entreprises publiques. Les voilà toutes à l’agonie, étendues sur le billard, attendant une oxygénation qui ne viendrait pas d’un Etat asphyxié par le gaz moutarde des Frères musulmans au pouvoir depuis dix ans et qui se sont en plus illustrés par une gloutonnerie gargantuesque, et une propension hilalienne la destruction.
La descente en enfer de la compagnie publique tunisienne
La descente en enfer de Tunisair a commencé depuis l’année 2011. En ce temps, il avait été décidé de la déstructurer en intégrant les agents des filiales et ceux des sous-traitants au sein de la société mère, alignant par la même occasion les salaires de leurs agents sur ceux de Tunisair qui étaient bien supérieurs à la moyenne des salaires du secteur public. Une décision qui avait fait exploser sa masse salariale. De 3500 agents, cette compagnie est passée actuellement à 7.500 avec un chiffre d’affaires qui accuse d’année en année un recul vertigineux.
À ce gavage en personnel, il faudrait ajouter le laxisme des agents nouvellement intégrés et titularisés, les grèves pour tout et pour rien, la politique commerciale défaillante… Il en est résulté que «la compagnie souffre de plusieurs maux qui menacent sa survie sur le très court terme, à savoir un déficit de trésorerie énorme et récurrent, un endettement sans commune mesure avec ses capacités de remboursement, une sous-capitalisation manifeste, une détérioration de la qualité de service et de l’image de marque résultant du vieillissement de la flotte.».
À l’image de l’instabilité gouvernementale, Tunisair a vu le passage de plusieurs PDG nommés puis limogés au gré des humeurs des partis au pouvoir. Pour couronner le tout, mi janvier 2011, le parti des Frères musulmans, Ennahdha, a parachuté à la tête de cette société agonisante Olfa Hamdi, une jeune farfelue aux diplômes controversés, et sans aucune expérience dans la gestion des grandes entreprises et particulièrement celles en difficulté. Elle finit par sauter comme la grenouille qui se voulait vache hollandaise. Enfin, le 12 mars 2021, monsieur Khaled Chelly, un homme de la boîte est nommé PDG. Mais pourrait-il mettre la gazelle sur pied?
Que peut apporter l’Etat aux entreprises publiques en quasi faillite ?
Or, avec toute la volonté du monde, aucun PDG ne pourrait mettre en place un plan de sauvetage pour Tunisair et l’exécuter. D’une part, son court passage à la tête de cette compagnie l’en empêcherait. D’autre part, l’absence de volonté de restructuration de la part des pouvoirs publics ainsi que la démagogie populiste ambiante ne lui laisseraient le choix que de parer au plus pressé et encore. D’ailleurs, deux projets de restructuration ont été soumis aux gouvernements de Youssef Chahed et d’Elyes Fakfakh et sont restés sans suite malgré l’accord de l’UGTT pour le licenciement de 1200 agents à l’effet de décongestionner la trésorerie de Tunisair.
En principe, l’Etat se devait d’avoir une stratégie pour rentabiliser les entreprises publiques ou à participations publiques. Pour chaque unité en difficulté tout particulièrement, il devait lui établir un plan de redressement et lui définir un objectif à atteindre pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle économique, social et régional dans le cadre d’un plan général de développement du pays.
L’entreprise publique doit pouvoir arriver à assurer son propre équilibre au moins, faute de dégager au profit de l’Etat un flux lui permettant d’assurer les équilibres budgétaires, la régulation du marché et soutenir l’action de développement de l’Etat et la dynamisation de l’économie du pays en général. En temps de crise, il doit être en mesure de soutenir même les entreprises privées, pour éviter l’effondrement de l’économie du pays et les crises sociales qui en découleraient.
L’Etat doit donc avoir une stratégie pour chaque entreprise publique qui implique l’établissement d’un contrat programme définissant les obligations de l’Etat et les objectifs à atteindre pour le responsable qui serait nommé à la tête de telle ou telle entreprise publique. Son évaluation serait selon ses résultats et ses performances en référence à ce contrat.
Le problème actuellement en Tunisie c’est que même si les PDG ou le ministre de tutelle ont la volonté de redresser l’état de nos entreprises publiques, ils ne trouveront pas le soutien nécessaire de l’Etat. Lors de son dernier passage télévisé en fin février 2021, Moez Chakchouk, ministre du Transport, a montré qu’il maîtrise le dossier du secteur du transport public. Pour Tunisair, le ministre a des objectifs clairs pour le court, le moyen et le long terme. Seulement, l’Etat, désargenté, est incapable d’y injecter les fonds nécessaires à sa restructuration. Par ailleurs, il n’y a aucune volonté politique pour redresser l’économie du pays et par conséquent pour sauver ses entreprises publiques.
Les acteurs politiques post-révolution ont causé la faillite de l’Etat
Tunisair serait-elle donc vouée à la déchéance comme toutes les entreprises publiques tunisiennes ? Et les PDG qui se succéderaient ne seraient-ils que des torchons avec lesquels les politiciens essuieraient leurs sales pattes avant de les jeter en pâture?
Le mercantilisme primaire du temps de la Mecque, et l’économie de la rente introduits par les frères négociants, ont ouvert les portes à l’économie parallèle et aux activités mafieuses de toutes sortes. L’économie locale s’en est gravement ressentie avec les faillites et les fermetures de plusieurs entreprises, l’arrêt des investissements et la fuite des capitaux à l’étranger.
Par ailleurs, tous les acteurs politiques de la place n’ont fait, depuis 2011, qu’œuvrer d’une manière systématique pour causer la faillite de l’Etat et de ses entreprises publiques après avoir réussi à ébranler ses institutions et saper son autorité. L’exemple le plus édifiant de cette mise en faillite est celui de la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG). Elle était, en 2010, cinquième producteur mondial de phosphate, la voilà au bord de la faillite.
La Tunisie de la «barouita» pullule de taupes au service de lobbys devenus un Etat dans l’Etat et qui, en underground, manipulent des partis politiques, des parlementaires, des ministres, des hauts fonctionnaires, des journalistes… pour causer l’effondrement total de l’Etat, de ses institutions politiques et de ses structures économiques. Certains lobbys cherchent à faire main basse sur ses monopoles pour régner en maîtres sur le marché. D’autres, magouillent pour amener l’Etat, devenu totalement insolvable, à vendre ses avoirs au rabais aux fonds vautours étrangers, comme soutenu par Moktar Lamari.
Ce n’est pas gratuit, qu’au moment où la crise économique, politique, sociale et sanitaire est à son paroxysme, les partis de la place, les médias, les «juristes» et les «politologues» sont engagés dans des joutes politiciennes, pour des remaniements ministériels, des élections législatives, des référendum, des révisions de la constitution, des changements du système.
Tant de palabres «cacaphoniques» qui ne feraient qu’aggraver le chaos dans lequel le pays est embourbé, et qui le mènerait aux portes du marché aux puces, et à devenir l’eldorado des milliers de Daéchiens installés en Libye et qu’on voudrait délocaliser, la Libye étant un gros morceau qu’on cherche aujourd’hui à croquer en paix. Déjà, en Tunisie, Frères musulmans, «droits-de-l’hommistes», journalistes, mignons démocrates… préparent la venue de ces Daéchiens en Tunisie, sous couvert de la nécessité de réhabiliter et intégrer les brebis égarées.
Faut-il espérer voir les fauves et les charognards fuir devant le roulement des tambours et mis au pas par un gouvernement de salut national ? Enfant, j’ai vu dans les campagnes de Msaken, ma ville natale, les sauterelles fuir suite au tintamarre des caissons et s’engouffrer dans les filets qui leur étaient tendus. Les récoltes étaient sauvées et les familles rassurées.
* Ancien haut cadre à la retraite.
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