Alors que la Tunisie est au bord de la faillite, en raison d’une gestion calamiteuse de ses affaires conduites depuis dix ans par Ennahdha, une certaine gauche tunisienne, confondant naïveté et politiquement correct, continue de soutenir directement ou indirectement, le parti islamiste et de s’opposer à son principal opposant : Abir Moussi et le Parti destourien libre (PDL).
Par Faik Henablia *
Communément appelé «Woke», un certain mouvement provenant à l’origine des campus américains, a pour objectif de débusquer, en vue de les combattre, des pratiques jugées discriminatoires ainsi que des injustices sociales à l’encontre de communautés minoritaires ou identifiées comme telles, femmes, LGBTQI, africains-américains, hispaniques, musulmans…
Ce mouvement a, par la suite débordé son cadre initial, s’est popularisé à travers les réseaux sociaux et s’est étendu à d’autres causes et thèmes, tels que le genre, l’environnement, l’histoire, etc., imposant un véritable conformisme, un nouveau politiquement correct qui a fini par gagner une part considérable de la vie culturelle américaine.
La méthode prend le plus souvent la forme d’une dénonciation publique de personnages ou de pratiques, présents ou historiques, jugés racistes ou discriminatoires, allant jusqu’au déboulonnement de statues ou à l’effacement de certaines productions culturelles, telles que des films ou des œuvres littéraires.
L’islamisme s’engouffre dans la brèche
Ce mouvement a fini par gagner la France, également par le biais de l’université ainsi que de courants politiques de gauche et l’islamisme a eu beau jeu de s’engouffrer dans cette brèche par un travail de propagande et le lobbyisme, mettant à profit la naïveté et le manque de connaissance ou d’intérêt de certains courants de gauche pour réussir la performance de les persuader que l’attitude politique le lutte contre l’idéologie islamiste, à savoir l’anti-islamisme, ne serait en réalité qu’une attitude liberticide et raciste anti-minoritaire et anti-musulmane dont le but est de combattre rien de moins que la communauté et la foi musulmanes.
C’est ainsi que l’on a vu certains partis prendre fait et cause pour des associations islamistes prônant ouvertement des valeurs anti républicaines et certains milieux, carrément dénoncer toute approche critique de l’islamisme. Cette posture typiquement «Woke» a été qualifiée d’islamo-gauchiste.
La version tunisienne de l’islamo-gauchisme
L’objectif d’associations islamistes telle que le Centre d’Etude de l’Islam et de la Démocratie, présidé par le non-moins nahdhaoui, Radwan Masmoudi, par exemple, est ainsi, double; d’une part œuvrer à convaincre l’Occident qu’attaquer l’islamisme est un acte anti-musulman, d’autre part que l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie, et qu’il faut distinguer entre un islamisme «modéré» et un islamisme violent, en dissimulant, bien entendu, le fait que ces deux islamismes ont un même objectif, qui est l’instauration de la charia, certes, avec des méthodes différentes, quand bien même cet islamisme dit modéré a du mal à se débarrasser de certains réflexes originels, en particulier, d’une certaine tendresse, pour ne pas dire plus, vis-à-vis de son cousin violent.
La version tunisienne de l’islamo-gauchisme, ou de l’islamo-progressisme, a plutôt pour origine une expérience douloureuse commune passée entre des militants islamistes et autres militants appartenant à des forces progressistes et modernistes, ceux-là mêmes qui allaient, ensemble, constituer l’établissement post révolutionnaire initial.
Khemais Chammari, ancien vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), avait en effet convaincu, en 2005, un certain nombre d’opposants islamistes et de gauche d’entamer une grève commune de la faim pour réclamer la liberté d’expression ainsi qu’une amnistie générale pour tous les prisonniers d’opinion. C’est le fameux Mouvement du 18-Octobre ayant scellé l’alliance de la gauche et de l’islam politique contre la dictature Ben Ali.
La naïveté de la gauche et de plusieurs modernistes est d’avoir pris pour argent comptant, a l’issue de la «révolution» de 2011, le caractère démocratique des Frères musulmans et de s’être alliés à eux, précipitant ainsi leur propre implosion.
Abir Moussi demeure l’ennemie principale de la gauche tunisienne
Cependant et bien qu’ayant été pratiquement annihilées, ces forces ou ce qui en reste, n’en continuent pas moins de manifester une paradoxale tendresse à l’égard de l’islamisme; l’attitude de «Najibullah» Chebbi est de ce point de vue révélatrice, de même que celle d’un Hamma Hammami, ou d’un Mongi Rahoui, qui, oubliant leurs camarades tombés sous les balles de l’islamisme, n’en continuent pas moins de considérer Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), comme l’ennemi principal. Tout se passe comme s’ils étaient atteints d’une sorte de «syndrome de Stockholm», fait, celui-ci de sympathie, non pas à l’égard d’ex-geôliers, mais d’ex-coéquipiers grévistes de la faim, devenus, à leur tour, détenteurs du pouvoir.
Comment, en effet, imaginer un seul instant qu’un ex-persécuté puisse se transformer en persécuteur, une fois au pouvoir ?!!
La performance de l’islamisme a été, là aussi, de donner l’illusion que le mérite de l’instauration d’une certaine liberté d’expression dans le pays lui revenait, alors que le véritable mérite en revient à la société civile. Performance également dans la quasi-unanimité qu’elle a créée dans les médias contre son véritable opposant, le PDL, ces mêmes médias allant jusqu’à boycotter Moussi et, par mimétisme jusque dans le langage, à la qualifier de «fasciste» (pas moins !).
Même crédulité et même naïveté, on le voit, que dans l’islamo-gauchisme à la française, l’excuse du manque d’information en moins.
L’islamo-gauchisme à la sauce tunisienne n’est cependant pas exempt de l’influence «Woke», dans la mesure où la sanction ainsi que la punition en constituent des caractéristiques essentielles. C’est ainsi qu’est reconnu à la victime de discrimination, ou à son héritier ou représentant auto-désigné, le droit de réclamer excuses, repentance et compensation pour les supposés préjudices subis; une véritable doctrine du péché originel, dont certaines institutions post révolutionnaires tunisiennes ont fourni une parfaite illustration.
Mais que les islamistes prennent garde, car la doctrine «Woke» suscite également l’irritation, l’hostilité et, à la longue, la résistance d’une partie non-négligeable de la société face aux excès du politiquement correct et à la culture quasi théologique de la repentance et de la compensation abusive, a fortiori lorsque celle-ci entraîne la faillite d’un pays.
* Gérant de portefeuille associé.
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