Accueil » Les médias français n’ont rien compris à ce qui se passe en Tunisie

Les médias français n’ont rien compris à ce qui se passe en Tunisie

Un « coup d’Etat » où le chef des islamistes, Rached Ghannouchi, donne des déclarations en direct aux médias internationaux pour parler de… coup d’Etat ne peut être un coup d’Etat.

La couverture de la presse et des médias français des événements en Tunisie depuis la soirée du dimanche 25 juillet 2021, quand le président de la république Kaïs Saïed a activé l’article 80 de la Constitution, est complètement à côté de la plaque.

Par Chedly Mamoghli *

Personnellement, le lobbying intense des islamistes à Washington a le plus accaparé mon attention, il fallait le dénoncer et le saboter car ses conséquences peuvent être désastreuses pour le pays mais la couverture médiatique française m’a aussi interpellé.

La presse et les médias français se livrent à un massacre à la tronçonneuse de la Tunisie. Écœurant, vraiment écœurant! Même les médias les plus sages et les plus sérieux comme Le Point n’y sont pas allés de main morte.

Une attitude légère, superficielle et terriblement injuste

Une couverture légère, superficielle, sans profondeur, à charge et sans aucune nuance. Au lieu de prendre du recul, de s’approfondir dans les événements, de s’informer, de comprendre, de bien analyser et enfin de livrer une lecture des événements, ils ont réagi au quart de tour et sont tombés immédiatement dans l’excès en usant et abusant des clichés fallacieux «coup d’Etat», «dérive», «sirènes de l’homme fort». À les entendre, une dictature s’installe à Tunis et nous autres Tunisiens vivions à l’étranger et eux vivent en Tunisie et ils connaissent le pays mieux que nous. Or, comme le disait Talleyrand, un homme politique français du 18e siècle, «Tout ce qui est excessif est insignifiant», alors pourquoi cette attitude légère, superficielle et terriblement injuste? Pourquoi une lecture avec un prisme parisianiste caricatural et ridicule déconnecté de la réalité tunisienne?

En octobre 2020, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait mené une offensive violente et d’une rare agressivité contre la France et son président Emmanuel Macron suite à son discours des Mureaux axé sur la lutte contre les séparatismes et suite aux déclarations de Macron après l’assassinat abject de Samuel Paty, quand Macron avait dit que la France ne renoncera pas à la liberté de caricaturer et au droit au blasphème. À l’époque, Erdogan voulait nous embarquer dans une croisade islamique contre la France et dans une guerre des civilisations. On aurait pu facilement hurler avec les loups mais nous avions agi avec la raison et non l’émotion.

Nous ne nous sommes pas excités et nous n’avons pas réagi au quart de tour comme le font aujourd’hui les journalistes français sur la situation en Tunisie. Nous avons gardé notre calme et analysé les choses sereinement car nous savons que le raïs turc, grand manipulateur devant l’Eternel, était dans une guerre d’influence contre la France dont le théâtre était la Méditerranée orientale, que c’était de l’ordre de la géopolitique et que ça n’avait rien de religieux, mais Erdogan voulait instrumentaliser le fait religieux et habiller sa guerre d’influence d’un habit religieux pour rallier à sa cause le monde musulman. Nous avons dit : «Ne tombons pas dans le piège de la guerre des religions tendue par Erdogan.» Voilà notre attitude à l’époque.

Aujourd’hui, les journalistes et médias français, sans même essayer de nous comprendre, réagissent au quart de tour avec excitation et livrent donc une lecture biaisée des événements qui manque cruellement de sérieux, de rigueur, d’acuité et de professionnalisme. Nous avons réagi sereinement, nous avons compris les intentions d’Erdogan et nous avons livré une analyse juste et correcte. Aujourd’hui, la presse et les médias français en agissant avec légèreté livrent une une analyse injuste et incorrecte de la situation en Tunisie.

Le point de vue de Yadh Ben Achour n’est pas parole d’Evangile

Un ami m’a raconté cet après-midi que le chef-adjoint du service étranger du quotidien Le Monde a Tunis a été contacté par mail pour lui reprocher sa couverture à charge, excessive et caricaturale des événements. Il ne s’est même pas fichu de répondre correctement et poliment au mail. Il s’est contenté de répondre par un lien contenant ce qu’a dit Yadh Ben Achour. Saint-Yadh Ben Achour a parlé et ça relève de la parole sacrée. «Sadaqa Yadh al adhim». Ce n’est plus Vox populi, vox Dei mais Vox Yadh, vox Dei.

D’abord ça en dit long sur la légèreté de Frédéric Bobin, le journaliste du quotidien du soir à Tunis, qui se contente d’un coup de fil à M. Ben Achour ou d’une lecture de ses déclarations et qui saute sur son clavier, rédige son papier et l’envoie à Paris. Aucun besoin de sa part de s’approfondir davantage dans les événements et de les comprendre.

Tunis c’est une planque pour certains correspondants qui ne fournissent pas un grand effort avant de livrer une lecture des événements. Ensuite, cela montre que ces journalistes qui se considèrent comme des fins connaisseurs de la Tunisie ne connaissent rien. Ils ne connaissent pas les coulisses.

M. Bobin pour qui les propos de M. Ben Achour semblent être des paroles sacrées ne sait pas que M. Ben Achour ne porte pas M. Saïed dans son cœur depuis fort longtemps et cela est de notoriété publique à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, où ils enseignaient tous deux, et dans le Tout-Tunis.

Ensuite, M. Saïed, à deux reprises, n’a pas désigné le neveu de Ben Achour, Fadhel Abdelkéfi, chef de gouvernement, et depuis ce moment les déclarations à charge de M. Ben Achour se sont multipliées. Bien entendu, il a habillé ses critiques d’un vernis juridique comme Erdogan a habillé sa guerre d’influence contre Macron d’un habit religieux. Tout cela, M. Bobin et ses semblables ne le savent pas et croient naïvement que les différends s’inscrivent au niveau du débat doctrinal. Et puis, si M. Ben Achour a une interprétation différente de celle de M. Saïed et s’il a une lecture différente de la sienne, ça ne veut pas dire que c’est un coup d’Etat et que la Tunisie cède aux sirènes de l’homme fort.

Notre Tintin en Tunisie peut-il nous expliquer comment c’est un coup d’Etat si M. Ghannouchi et ses amis d’Ennahdha ont passé la soirée sur Al-Jazeera à crier au coup d’Etat et qu’ils continuent de le faire depuis trois jours sur les ondes des stations de radio tunisiennes et des chaînes de télévision internationales depuis Tunis, comment? Et si c’était un coup d’Etat, comment se fait-il qu’ils soient libres comme l’air? Si c’était un coup d’Etat, nous n’aurions plus entendu parler d’eux depuis dimanche soir.

M. Bobin et les correspondants français à Tunis ne savent-ils pas que la pieuvre islamo-affairiste qui prend en otage le pays a bloqué toute lutte contre la corruption et qu’avec la corruption, il n’y a pas de démocratie et qu’en Tunisie ce n’est plus une démocratie mais une loterie électorale biaisée par l’argent sale? Ne savent-ils pas que ceux qui crient au coup d’Etat sont les protagonistes de la pieuvre islamo-affairiste et qu’ils craignent de rendre des comptes? Ne savent-ils pas que les menteurs qui crient au coup d’Etat les manipulent ? Ils ne vont pas leur dire qu’ils sont corrompus et qu’ils craignent de rendre des comptes alors ils crient au coup d’Etat.

Un seul son de cloche biaisé retentit dans les médias internationaux

Sur un autre plan, j’ai suggéré depuis lundi que la présidence de la république organise une conférence de presse internationale avec les correspondants étrangers accrédités à Tunis pour leur expliquer les décisions de Kaïs Saïed et pour répondre à leurs interrogations. Hélas, rien n’a été fait. Également, aucun officiel ni le ministre des Affaires étrangères ni les ambassadeurs tunisiens accrédités à Washington et dans les grandes capitales européennes n’est intervenu dans les médias internationaux. Le résultat est qu’un seul son de cloche retentit dans les médias internationaux et que le massacre à la tronçonneuse de la Tunisie se poursuit. Les autorités ne doivent pas être hermétiques aux conseils qui servent la partie. Cessez d’être sourds et écoutez ces conseils ! La réplique de la Tunisie ne doit pas être seulement en éclairant les partenaires étatiques et institutionnels mais il faut aussi une réplique médiatique. Négliger les médias internationaux fait que nous sommes incompris et que ces médias retournent l’opinion publique internationale contre nous. Il faut une double réponse institutionnelle et médiatique.

Je sais que le président Macron est un homme rationnel dont la bienveillance à l’endroit de la Tunisie n’est plus à démontrer, que le Quai d’Orsay est une grande maison diplomatique regorgeant de diplomates chevronnés et que l’ambassadeur de France en Tunisie André Parant est un spécialiste du monde arabe qui connaît bien ses ambiguïtés, qui a été en poste au Caire et qui a donc une idée sur la vraie nature des Frères Musulmans et de ce fait, les hurluberlus et les excités qui massacrent à la tronçonneuse la Tunisie ne peuvent pas les manipuler. Toutefois, les hurluberlus doivent ôter leurs lunettes parisianistes, faire preuve d’humilité pour comprendre notre pays et que le monde ne peut pas être vu et analysé avec le prisme de Saint-Germain-des-Prés.

Juriste.

Articles du même auteur dans Kapitalis :

Face à l’offensive des islamistes, l’Etat tunisien doit se réveiller

La Tunisie réduite au statut d’Etat mendiant

Afghanistan, le Disneyland du terrorisme islamiste et du narcotrafic

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.