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La liberté associative en Tunisie et en France

En cette année 2021, nous célébrons les 40 ans de vie associative de l’immigration tunisienne en France qui est une histoire inscrite totalement dans celle de la vie associative en France, vieille de 120 ans. En Tunisie, la liberté d’association a pris, depuis 2011, de nouvelles orientations qui s’inspirent de cette volonté d’élargir et de consolider les libertés.

Par Hedi Chenchabi *

Dans cet article, nous retournons sur cette histoire et sur la part prise par les tunisien(nes) en France et en Tunisie dans la défense de la liberté de s’associer, de s’exprimer et de participer au développement du pays d’immigration ou d’origine.

Le droit d’association en Tunisie : une nouvelle conquête

Parmi les libertés conquises de longue lutte par les tunisiens en 2011 figure celle de la liberté d’association. 120 ans après l’institution de cette liberté en France, les Tunisiens en France ont bénéficié, depuis 1981, de cette liberté d’association qui a vu le nombre d’associations de l’immigration en général et celui des associations fondées par des Tunisiens ou binationaux, tous domaines confondus, exploser.

En Tunisie, il faut rappeler ici le rôle joué par la société civile dans l’élaboration d’un nouveau cadre juridique régissant les associations. Ainsi par des contributions divers, la réflexion engagée, les acteurs ont pu donner à cette liberté associative une orientation nationale mais fortement enrichie par les apports des expériences de l’étranger dont celle de la France qui a fondé le droit d’association depuis 1901 et qui a marqué la vie associative durant la période coloniale en Tunisie.

Avant la révolution en Tunisie, sous le règne de Ben Ali, on évoquait les «OVG» (organisations véritablement gouvernementales) pour parler des associations en Tunisie sous contrôle des autorités administratives et policières.

Les changements vont s’opérer avec le décret-loi n°88-2011 qui garantit la liberté de constituer des associations, d’y adhérer et d’y exercer des activités et des responsabilités. Ainsi. depuis la révolution, les initiatives de la société civile tunisienne se multiplient et jouissent d’une liberté sans précédent. Les associations, par leur nombre et leur grande diversité et par l’implication très forte des jeunes générations et ce dans divers secteurs d’activité prennent une place nouvelle et reconnue même si elles continuent à subir des critiques parfois infondées.

En 2019, on compte en Tunisie plus de 22.000 associations réparties sur les 24 gouvernorats. Ces associations s’intéressent à  la protection des droits humains, à la jeunesse, aux femmes, au genre, à la citoyenneté, à la défense des droits, de  l’environnement, de la culture et de la liberté d’expression.

Dans l’immigration et particulièrement en France à partir de 2011, on assiste, à côté des associations historiques, à une multiplication des initiatives par les jeunes et les femmes et à une transformation du paysage associatif tunisien à l’étranger.

Les nouvelles associations créées vont s’intéresser à de nouvelles thématiques tournées vers la solidarité et l’action humanitaire, la promotion du de la langue et de la culture tunisiennes, du produit tunisien et à l’entre-partenariat mais aussi à la citoyenneté et à la réussite des premières élections libres et démocratiques en Tunisie qui vont permettre aux Tunisiens de l’étranger et aux binationaux d’être électeurs et éligibles aux plus hautes fonctions de l’État.

Le droit d’association des immigrés tunisiens en France

Les associations d’étrangers et d’immigrés ont longtemps fait l’objet de restrictions de la part des pouvoirs publics. La loi Waldeck-Rousseau du 1er juillet 1901 sur la liberté d’association permet aux individus de s’associer dans des buts divers, sauf celui qui porte «atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement»; en sont ainsi exclus les étrangers de France.

Mais cette liberté était ouverte aux étrangers. Ainsi, dans l’entre-deux guerres, se créent des groupes et mouvements d’étrangers et de travailleurs immigrés dont l’Étoile nord-africaine (ENA.), fondée en 1926 par des travailleurs immigrés et dirigée par le nationaliste algérien Messali Hadj et qui regroupait en son sein de nombreux nationalistes tunisiens dont feu Hédi Nouira, se déclare comme une «association de bienfaisance au profit des travailleurs immigrés». D’autres associations vont voir le jour, animées par des Africains, des Indochinois… Au même moment, de nombreuses associations religieuses, culturelles ou de jeunesse, notamment arméniennes, polonaises et italiennes, voient le jour en France et développent, entre autre une presse associative riche et tournée vers leurs communautés.

Le décret loi de 1939 de restriction des libertés

La montée des idées nauséabondes et fascistes va mettre fin à ce dynamisme des étrangers. Le gouvernement Daladier signe le décret-loi du 12 avril 1939 «relatif à la constitution des associations étrangères». Désormais, «aucune association étrangère ne peut se former, ni exercer son activité en France, sans autorisation préalable du ministre de l’Intérieur». L’autorisation peut être accordée à titre temporaire ou soumise à un renouvellement périodique. Elle peut être subordonnée à l’observation de certaines conditions par décret. Elle peut être retirée, à tout moment, par décret… Est considérée comme étrangère une association qui a son siège à l’étranger ou «dirigée de fait par des  étrangers».

À la sortie de la deuxième guerre mondiale, en 1948, lorsque le Parti communiste français (PCF) demande l’abrogation du décret-loi de 1939, le gouvernement choisit de le conserver. Le décret est utilisé dans les années 1970 pour refuser la constitution de nombre d’associations. Malgré cela, beaucoup d’associations voient le jour comme par exemple l’Association des Marocains en France (AMF) créée en 1961 par Mehdi Ben Barka. En général, elles se cantonnent dans des activités culturelles et s’astreignent à la neutralité politique.

Les trois États maghrébins, une fois indépendants, mettent en place les Amicales pour «encadrer la colonie» et surveiller tous ses actes et mouvements. Les associations autonomes de l’immigration vont mener un combat très important pour que cesse ce qu’elles considéraient, à juste titre, comme une politique de restrictions des libertés même dans les pays d’accueil.

Pour contourner ces restrictions des associations de fait voient le jour, d’autres vont être créées par des associations de soutien à l’immigration et vont être dirigées par des nationaux mais dont l’administration des activités est assurée par des militants de l’immigration espagnole, portugaise, maghrébine et africaine, c’est le cas à partir des années 70 de la Maison des travailleurs immigrés (MTI) qui avait en son sein le noyau de la plus vieille association de tunisiens en France, l’UTIT, devenue plus tard la FTCR. Dès l’abrogation de la loi de 1939, le CAIF voit le jour avec une participation active des militants tunisiens de l’immigration qui vont à la fois lutter pour l’égalité des droits en France et jouer un rôle important pour la défense de la démocratie et des libertés en Tunisie.


Le tournant de 1981

Après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, la loi du 9 octobre abroge les discriminations à l’encontre des étrangers et permet à nombre d’associations étrangères dont celles des Tunisiens, à travers l’ensemble du territoire français, de se former librement avec le développement des deux principales fédérations celle de la FTCR  et l’ATF. Toutefois subsiste la mention obligatoire de la nationalité des responsables de l’association. Certains militants de l’immigration se demandent alors si le droit d’association n’a pas permis d’esquiver, de fait, le débat sur l’ensemble des droits civiques des étrangers en France dont celui du droit de vote pour les résidents étrangers. Seule l’institution des Prud’hommes va offrir cette égalité entre français et immigrés.

À partir de 1981, le développement des associations de l’immigration en général et celles des Tunisiens en particulier a été remarquable. De nombreux militants tunisiens dont feu Saïd Bouziri vont marquer cette histoire. Ainsi des milliers d’associations, tous secteurs confondus, principalement dans les quartiers, vont voir le jour et renforcer le fait associatif en France par:

– la prise en compte de nouvelles dynamiques sociales, culturelles et citoyennes;

– une plus grande diversité des acteurs associatifs;

– une participation active à la vie de la cité;

– une plus grande solidarité avec les pays d’origine;

– le refus de la tutelle et de la domination des pays d’origine et des Amicales;

– l’émergence de nouvelles compétences et nouveaux talents issus de l’immigration et des quartiers.

Reste à savoir si la réforme de 1981 n’a pas servi d’argument lorsqu’il a fallu renoncer publiquement à accorder le droit de vote pour les étrangers dans les élections locales et si ce droit d’association n’est pas menacé dans ce contexte de montée du terrorisme et de ce qu’on qualifie de menace communautaire ou communautariste.

Dans le contexte complexe que vit actuellement la Tunisie, en abordant la question associative en France et en Tunisie, nous insistons sur les liens historiques entre les deux pays, sur l’universalité de la liberté d’association et sur l’’action qu’ont joué et jouent aujourd’hui les associations fondées par les Tunisiens à l’étranger. Les lectures peuvent varier mais le fond reste là : la liberté d’association est un bien commun de l’humanité, le restreindre ou le combattre au nom d’un nationalisme restreint ne peut participer qu’à l’étouffement des libertés ici et en Europe.

* Historien de l’immigration, militant associatif et culturel.

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