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Tunisie : Kais Saied et les magistrats ou le malentendu permanent

Leila Jaffel, Kais Saied et Nejib Ktari.

Il ne se passe pas une semaine sans que le président Kaïs Saïed interpelle les magistrats et leur rappelle leur rôle central dans la lutte contre la corruption qui gangrène l’économie tunisienne et accuse certains d’entre eux, et pas qu’à demi-mot, de négligence, de laxisme voire de manquement délibéré à leur mission. Par corruption, par carriérisme ou par clientélisme politique. Et c’est tout comme…

Par Ridha Kefi

Hier encore, lundi 1er novembre 2021, en recevant la ministre de la Justice, Leïla Jaffel, et le premier président de la Cour des comptes, Néjib Ktari, le président Kaïs Saïed a évoqué de nouveau ce sujet qui est en passe de devenir, chez lui, une sorte d’idée fixe, et pour cause : s’étant donné pour mission de réformer profondément le pays, de l’assainir voire de le «nettoyer» (et le mot est de lui), en y chassant les mauvaises graines qui sévissent dans les rouages de l’administration publique, des médias et du milieu des affaires, il estime, à juste titre d’ailleurs (le reproche leur étant fait depuis de nombreuses années par une majorité de Tunisiens) que les magistrats ne jouent pas assez le rôle qui est attendu d’eux dans ce domaine ou qu’ils se barricadent derrière leur soi-disant indépendance du pouvoir exécutif et leur immunité judiciaire pour se dérober à leur mission.

Une magistrature gangrenée par la corruption active et le clientélisme politique

Une bonne partie de l’opinion publique tunisienne, qui ne tient pas la justice en haute estime, accuse certains magistrats parmi les ténors du Palais de Justice de résister aux tentatives de réforme de leur secteur et de multiplier les obstacles pour empêcher l’assainissement du corps de la magistrature, étant entendu qu’ils pourraient eux-mêmes en faire, tôt ou tard, les frais, surtout ceux d’entre eux qui font l’objet de lourdes suspicions de corruption active et de clientélisme politique.

Il y a là sans doute un gros problème qui risque de jeter une ombre lourde au tableau d’une transition politique tunisienne déjà en panne et dont la crédibilité, au regard de la communauté internationale, est sujette à caution. Car si le corps des magistrats, pris dans son ensemble, à travers ses instances représentatives, notamment Conseil supérieur de la magistrature (CSM), résiste aux réformes envisagées, exigées par les justiciables et revendiquées par une partie de la profession, que les grands procès (portant sur les assassinats politiques, la contrebande, l’évasion fiscale et la corruption impliquant de gros bonnets de la politique et des affaires) continuent de sommeiller dans les tiroirs de ces chers magistrats, et que, face à cette situation pour le moins insupportable, le président de la république se trouve dans l’incapacité d’agir, du haut de son magistère de… magistrat suprême, pour faire respecter le droit, y compris par ceux qui sont censés veiller à son respect, que faire ? Justement, que faire ?

L’impatience du président doit inciter les magistrats à se remettre en question

Quel sens aurait d’ailleurs l’argument de l’indépendance de la justice si certains magistrats l’évoquent pour justifier le manquement à leur devoir ? Et pourrait-on reprocher au président de la république, qui est le premier responsable du bon fonctionnement des services de l’Etat, y compris celui de la justice, et le garant de l’égalité de tous les Tunisiens, tous corps, corporations et catégories sociales compris, devant le droit, d’exprimer une certaine impatience face à l’immobilisme de la justice et à la résistance qu’elle oppose à tout changement ?

Si le présent de cette justice ne se démarque pas encore clairement de son triste passé, caractérisé par l’asservissement intéressé au pouvoir exécutif et l’exécution sans état d’âme de ses instructions, l’évocation, aujourd’hui, de son indépendance vis-à-vis de ce même pouvoir pourrait prêter à sourire. D’autant que cette soi-disant indépendance lui sert de feuille de vigne et de vain alibi pour justifier un asservissement encore plus grand et plus dangereux aux coteries politiques et aux lobbys d’intérêt…

Non vraiment, les magistrats tunisiens, ou la majorité d’entre eux, qui jouent le jeu de la minorité corrompue parmi eux, ont perdu toute crédibilité au regard de l’opinion publique et ont vidé eux-mêmes leur prétendue indépendance de toute valeur éthique ou morale ou même juridique, en en faisant une sorte de prime à l’impunité. Il ne resterait plus que les juges, dont les abus se multiplient et dont les médias rendent compte quasi-quotidiennement, deviennent des sortes de hors-la-loi… constitutionnels !

Le jour où les magistrats comprendront enfin que leur corps constitue aujourd’hui un véritable frein à la construction démocratique en Tunisie et accepteront de bon cœur de réformer profondément leur secteur, ils gagneront beaucoup en crédibilité et en honorabilité et verraient leur parole mieux écoutée et mieux respectée par les citoyens, des justiciables aujourd’hui frustrés voire écœurés par une justice si peu soucieuse de l’image qu’elle donne d’elle-même dans l’opinion.

A bon entendeur…

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