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Le poème du dimanche : «La femme bateau» par Habib Zannad

Voix importante de la poésie d’avant-garde tunisienne des années soixante-dix, l’œuvre de Habib Zannad est marquée par la fondation du mouvement, «Fi ghayr al ‘amoudi wa’l hurr» (Poésie autre que métrique et libre), en compagnie des poètes Tahar Hammami et Fadhila Chebbi…

Calembours, jeux de mots, expressions populaires courantes, usage de la dérision et de la moquerie audacieuse, dans un rythme faussement simple, créent une poésie sociale, politique et critique, aux élans subversifs réels, plaçant ce mouvement dans l’anti-conformisme aussi bien formel que sémantique. Bien qu’ayant peu publié, Habib Zannad est innovateur dans l’écriture du poème arabe, dépassant ses débats permanents sur la forme. Non sans provoquer l’irritation des milieux traditionnalistes et puristes de la langue.

Habib Zannad est né en 1946 à Monastir. Il est directeur d’un établissement d’enseignement secondaire.

Ses œuvres (en arabe) : Al majzoum bilam (Sur le mode négatif), 1970; Kimyâ al-Alwân (L’alchimie des couleurs), 1989.

Tahar Bekri

La femme bateau m’arrive à travers les mers bleues
Voguant sur leurs vagues
J’étais son vieux port
Sa lumière pâle… son mirage
Elle jette l’ancre à l’usure de mes pierres
Verse toute sa colère
Son bois contre moi
Lance ses fatigues
Ses voyageurs
Et avertit pour le voyage

***

Comme elle a fréquenté le marché du plaisir 
La femme bateau !
Pratiqué le jeu avec ses commerçants
Comme elle a couru l’aventure
Dans les ports d’amour
Changé son parcours
… Fréquenté les tempêtes des mers
Bu leurs sels
Habité leurs fonds
Faisant fi de leur danger

***

La voici qui me revient brisée ivre vieille
La voile déchirée raccommodée
Son vieux bois grinçant et entaillé
Portant les décorations des amants corsaires
Les dictionnaires de l’amour
Les cartes du désir
Chargée des ruines des trésors de la mer
Des bouteilles de vin vieilli
Des paquets de cigarettes américaines
Et des belles paroles
La femme bateau me revient
Renouvelle son plein de carburant
Ses promesses
Crache ses vapeurs
Ses nouvelles
Délivre ses secrets
Ouvre ses portes
Se déshabille
Pleure ses amants
Ses larmes comme des aiguilles

***

Me voici toujours son vieux port
Elle jette l’ancre à l’usure de mes pierres
Je suis encore sa lumière pâle son phare
Son docker son courtier
Sa lourde blessure

***

Elle revient
Revient
Et avertit pour le voyage

Tunis, 1971.

Trad. de l’arabe par Tahar Bekri

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