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Réglementation des changes en Tunisie : assouplissement ou libéralisation ?

L’Association tunisienne des grandes écoles (Atuge) a organisé le 17 novembre 2021 une conférence pour débattre de la réglementation des changes, les freins au développement de notre économie, et les étapes et prérequis nécessaires à la libéralisation du dinar. Le débat était modéré par Mohamed Hadiji, membre du CA Atuge Tunisie, et responsable du Club Finance.

En ouverture, Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), a présenté l’évolution depuis 2010 des déficits jumeaux (budgétaire et de la balance courante) et l’évolution de la dette. Après un record du déficit courant en 2019 (11%), la situation s’est améliorée malgré le contexte Covid et 2021 devrait finir avec un déficit de 6%. Le dinar s’est également maintenu malgré deux années sans tourisme, principalement soutenu par la croissance de production des hydrocarbures et du phosphate, et un apport record du revenu du travail des Tunisiens résidents à l’étranger.

Marouane El Abassi : «Un appui technique du FMI pour la convertibilité du dinar»

Concernant la réglementation des changes, elle a été révisée par à-coup, ce qui donne un texte final complexe, présentant discordances et équivoques, souvent interprété de manière conservatrice par les banques. Cependant, malgré les freins que constitue cette réglementation, c’est grâce à elle que la Tunisie a évité le scénario libanais.

Les expériences comparées montrent que la libération extérieure totale précipitée peut occasionner des dérapages économiques et financiers lourds de conséquences. Afin de parvenir à l’abandon du contrôle des changes, M. Abassi dresse une liste de pré requis :

– des déficits jumeaux soutenables;

– un endettement public soutenable;

– une politique monétaire efficiente capable d’influencer les anticipations inflationnistes;

– un système bancaire solide aguerri à la gestion des flux de capitaux et des risques y afférents;

– un niveau de réserves en devises confortable, permettant à la BCT de défendre la valeur du dinar.

La BCT a choisi d’inscrire la refonte du code des changes dans un cadre élargi, incluant la politique monétaire et macro prudentielle, dans le cadre du plan stratégique 2019-2022. Même si la refonte du code des changes dépend du gouvernement, et dépend également de certaines dispositions du code de l’investissement, un appui technique du FMI est en cours depuis deux ans pour mener à bien ces réformes et aller vers la convertibilité du dinar dans les 2-3 années à venir.

Raoudha Boukadida, directrice générale des opérations de change à la BCT, a ensuite présenté l’évolution de la réglementation des changes. Le code a été voté en 1976, puis amendé en 1993 et en 2011. Une panoplie de circulaires a été publiée entre 2017 et 2021, dans l’objectif de faciliter l’internationalisation des entreprises tunisiennes. Les faits marquants sont la digitalisation de la fiche de l’investisseur, la carte technologique et l’instauration des comptes startups en devise.

Hichem Rebai : «Adapter les textes au contexte d’aujourd’hui et de demain»

Du côté des banques, Hichem Rebai, directeur général BH Bank et vice-président de l’APTBEF, explique qu’il est très compliqué de naviguer à travers l’ensemble des textes constituant la réglementation des changes et qu’elle doit absolument être «revisitée». Cette réglementation crée une certaine méfiance des opérateurs économiques et un déficit d’accompagnement des banques envers leurs clients: le marché tunisien est petit et les entreprises sont en recherche permanente de marchés à l’international. De plus, La conformité est une donne qui vient compliquer la réglementation des changes et constitue le risque le plus dangereux qu’une banque peut courir. Il cite les propositions suivantes :

– créer des canaux de communication afin de démystifier la réglementation des changes : un portail, une automatisation des process;

– allier liberté et redevabilité, en cherchant les performances économiques. Exemple : autoriser à hauteur d’un certain plafond, création de sociétés en Afrique avec de petits capitaux, ce qui peut exporter des compétences tunisiennes et créer des devises.

Walid Belhaj Amor : «La base de la législation est la non-confiance»

Prenant la parole à son tour, Walid Belhaj Amor, directeur général de Comete Engineering et vice-président de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), explique que l’entreprise a besoin de clarté et de célérité. Or l’administration est prioritairement préoccupée par le contrôle et non par la libération des énergies pour booster l’investissement et la croissance. La base de la législation est la non-confiance ! Les lois tunisiennes sont de loin plus restrictives que les standards internationaux, à l’exemple du contrôle de l’origine du paiement qui englobe même les organismes internationaux les plus reconnus et qui est systématique alors qu’il devrait se faire par sondages, ou encore l’ouverture d’un compte d’une société non résidente pour lequel on demande des informations exhaustives sur tous les actionnaires dépassant 10% du capital alors que dans le monde cette règle s’applique aux actionnaires détenant plus de 25% des parts.

Les devises sont disponibles sur le marché parallèle dans tout le pays, et la réglementation actuelle freine les investisseurs formels sans pour autant juguler la contrebande et le marché parallèle. M. Belhaj Amor considère que cette réglementation est inapplicable, et cite l’exemple de l’allocation pour les étudiants vivant à l’étranger, limitée à 3000 DT par mois, ce qui est irréaliste et inappliqué.

Pour finir, il propose de profiter de l’absence du parlement pour promulguer par décret-loi et rapidement un nouveau code des changes, moderne, et où toutes les opérations seraient digitalisées.

Hatem Zaara : «Le cadre réglementaire actuel ne permet pas aux entreprises de s’internationaliser»

De son côté, Hatem Zaara, expert financier, vice-président du Forex Club Tunisie, présente les résultats d’un sondage mené par le Forex auprès de 785 entreprises :

– 48% s’étonnent de la stabilité actuelle du dinar;

– 67% s’attendent à une baisse du dinar à partir de mars-avril 2022;

– 58% estiment que la réglementation de change actuelle est un frein au développement de leur business;

– 33% considèrent que la vraie valeur du dinar est déterminée par le marché parallèle de change;

– 41% ne connaissent que les produits basiques de couverture offerts par le marché de change;

– 74% anticipent une hausse de plus de 100 Pdb du TMM.

La refonte de la réglementation des changes doit permettre prioritairement aux entreprises et aux banques de s’internationaliser, car leur travail s’est encore plus compliqué avec la dégradation de la note souveraine du pays. Les banques doivent pouvoir accompagner leurs clients par leur présence à l’international. L’autre priorité à prendre en compte est le développement de la diaspora. Le nouveau cadre doit être propice à l’investissement de la 3e et la 4e génération de la diaspora, et gommer les différences de traitement entre les étrangers et les TRE, notamment en ce qui concerne le rapatriement des capitaux, sous peine de les voir investir dans d’autres pays et couper les liens avec leur pays d’origine. Aujourd’hui, le cadre ne permet pas aux entreprises de s’internationaliser et nous devons nous remettre en question.

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