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Pourquoi l’accord d’association Tunisie – Union européenne doit-il être révisé ?

Le gouvernement Najla Bouden doit mettre sur son agenda la révision impérative de l’accord d’association entre la Tunisie et l’Union européenne (UE), signé en 1996, qui n’a réellement servi jusque-là que les intérêts des partenaires européens, l’économie tunisienne ayant beaucoup perdu à ouvrir ses frontières sans droits de douane aux produits industriels européens. Et dire qu’on veut nous imposer aussi la libération de l’agriculture et des services…

Par Fathi Azaiez *

On parle souvent de l’accord d’association signé en 1996 entre la Tunisie et l’Europe, dont le préambule dit que les deux parties s’engagent à instaurer une zone de libre-échange en vue de stimuler les activités économiques dans leurs territoires et d’améliorer ainsi le niveau de vie et les conditions d’emploi de leurs populations respectives, tout en contribuant à l’intégration économique euro-méditerranéenne. 

L’accord fait référence à une intégration selon le modèle d’une économie de marché. Or, une vraie compétition dans un marché unifié dans le cadre de ce modèle économique implique le libre échange des produits et des services accompagné de la libre circulation des capitaux et… des individus dans l’espace ainsi constitué. Ces trois paramètres garantissent l’équilibre d’un marché unifié dans l’intérêt équitable des opérateurs des deux rives de la Méditerranée.

Les conditions d’une véritable compétition ne sont pas réunies

Paradoxalement, dans l’accord signé entre Tunis et Bruxelles, le partenaire européen ne fait référence, pour son intérêt exclusif, qu’à un seul de ces trois paramètres, celui de la libre circulation des produits et des services, l’accord étant muet sur les deux autres qui permettent un échange équitable et une vraie compétition. Il s’agit donc, en réalité, d’une parodie d’accord puisqu’il est dans l’intérêt d’une seule des deux parties : l’Europe.

Normalement, pour être valable, avoir un sens et se donner toutes les chances d’être respecté durablement, un accord doit être égalitaire en donnant les mêmes chances à tous ses signataires. Cela est valable pour tout accord et à fortiori quand il s’agit d’un accord de dimension internationale. 

Cela pour dire que l’accord de 1996 entre Tunis et Bruxelles doit être impérativement révisé afin qu’on y inscrive aussi la liberté de circulation des citoyens des deux parties et autoriser le libre transfert des capitaux dans les deux sens. Car l’accord existant est sélectif et non équitable. Il permet aux citoyens européens de se rendre librement dans notre pays et même d’y travailler, en étant munis en débarquant dans un port ou un aéroport tunisien d’une simple carte d’identité. Il permet aussi aux entrepreneurs européens d’investir en Tunisie, avec de nombreuses facilités, réglementaires, fiscales et autres, en exploitant une main d’œuvre à très bas coût pour accroître la compétitivité de leurs produits et services.

L’omposture de l’immigration choisie

Le comble de cette relation inégalitaire et injuste à l’égard de la Tunisie, c’est la trouvaille de l’immigration choisie permettant aux pays européens de capter notre principal capital, à savoir les plus brillants de nos jeunes médecins, ingénieurs et universitaires, dont la formation a énormément coûté à la collectivité nationale, moyennant un visa, une carte de séjour et, parfois, comme pour beaucoup de nos médecins opérant actuellement en France, un salaire très inférieur à celui des médecins européens.

L’accord d’association entre la Tunis et Bruxelles, eu égard aussi ses conséquences économiques désastreuses sur la Tunisie (destruction de plusieurs secteurs industriels, déficit commercial galopant…) n’a donc eu jusque-là qu’un seul effet concret : marginaliser et appauvrir la Tunisie, même si la crise actuelle de l’économie tunisienne s’explique aussi par d’autres causes, dont la plus importante est la mauvaise gouvernance. Cet accord, à moins d’être révisé sur la base d’une étude, objective et non méthodiquement orientée, sur ses effets réels sur les économies des deux parties, n’aura aucun avenir. Et pour cause…

Nos opérateurs économiques et nos ressources humaines qualifiées assistent, désarmés, à la destruction de notre tissu économique par l’invasion massive des produits importés, qui plus est, exemptés du paiement des droits de douane.

Les Tunisiens qui, sous la dictature de Ben Ali, ne pouvaient pas faire entendre leurs voix et encore moins contester les engagements que l’ancien dictateur prenait en leur nom, notamment cet accord avec l’UE, lequel n’avait d’ailleurs fait l’objet d’aucun véritable débat sur le plan national, sont aujourd’hui libres et ne sont plus dupes des pertes qu’on leur a fait subir au nom du libre-échange.

Pour une liberté de circulation des hommes et des capitaux

Aussi, le gouvernement actuel doit-il mettre sur son agenda la révision impérative de l’accord d’association avec l’UE pour y inscrire la liberté de circulation des capitaux afin de donner aux plus ingénieux de nos hommes d’affaires la possibilité d’investir et de s’implanter en Europe, en bénéficiant des mêmes facilités et privilèges dont jouissent leurs homologues européens en Tunisie.

L’accord révisé doit aussi prévoir l’autorisation de la libre circulation des individus pour permettre aux Tunisiens qui perdent leur travail du fait de la fermeture de leurs entreprises en Tunisie de se déplacer librement, notamment en Europe, pour y chercher du travail. Ce n’est pas aussi aberrant qu’on le pense, car c’est ainsi que doit normalement fonctionner un marché ouvert et libre. Evoquer le rapport des forces à ce sujet ou la situation difficile actuelle de la Tunisie, très dépendante des aides européennes, c’est faire preuve de mauvaise foi. Notre pays doit aussi se défaire de sa frilosité légendaire et bien évaluer les gains et les pertes de toute décision au lieu de s’enferrer dans dans son conservatisme habituel.

En attendant la révision de cet accord, une décision doit être prise immédiatement par l’UE, par respect pour les aînés et pour les sacrifices qu’ils ont consentis: exempter les plus de 60 ans des procédures humiliantes de demande du visa pour leur permettre de rendre visite à leurs enfants, petits-enfants et membres de leurs familles, dont beaucoup ont acquis, entretemps, la nationalité européenne. Un marché libre dénué de toute humanité est davantage une jungle qu’un espace de prospérité partagée, selon la logorrhée démagogique de Bruxelles.

* Expert en droit social.

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