L’identité britannique a été le fruit d’un cheminement historique dont une part demeure nimbée d’ombre. On ne saura toujours pas pourquoi, ce qu’on nomme aujourd’hui Angleterre, occupée par les Romains pendant quatre siècles, parle aujourd’hui une langue germanique, issue de l’invasion saxonne. On le saura d’autant moins, que l’Est du pays avait plus tard été colonisé durablement par les Vikings Danois, que la Christianisation du pays avait été le vecteur de la pérennisation de la langue latine à partir du Ve siècle dans les lieux du culte, que de 1066 à 1485 les Normands parlant français ont dominé le pays et que jusqu’en 1214 tout l’ouest de l’actuelle France avait fait partie de leur domaine.
Par Dr Mounir Hanablia
C’est uniquement après la perte des territoires de France que les Rois (Edward 1er) ont commencé par se définir comme Anglais, ou d’Angleterre. Et ce n’est peut être pas un hasard si la Magna Carta, cette garantie limitant les prérogatives du pouvoir royal obtenue par les barons du royaume et l’Eglise (catholique), a été accordée en 1215, peu avant la mort de Jean Sans Terre, alors que le Roi de France Louis VII s’apprêtait à se faire couronner à Londres pour prendre sa succession. Mais il fallait encore que les Rois d’Angleterre se débarrassent définitivement de leur rêve de conquête de la couronne française; ce serait la Guerre de cent ans, pour le financement de laquelle ils s’appuieraient sur le Parlement.
L’Angleterre devient anglaise
C’est uniquement avec la fin de «la guerre des deux roses» et l’avènement de la dynastie Tudor que les Rois d’Angleterre commenceraient à se comporter en Rois Anglais, soucieux des intérêts de la seule Angleterre. Avec la décision d’instaurer l’usage de la langue anglaise (de Londres) partout dans l’administration, à partir de 1548, l’élaboration de la grammaire, et l’enseignement de la langue dans les écoles à partir de 1580, la présence obligatoire à la messe le dimanche, les sujets du Royaume parleraient désormais une langue commune, issue des envahisseurs saxons, et la langue celte serait condamnée à disparaître.
La diffusion de la langue anglaise connaîtrait un nouvel essor avec le schisme religieux, la création de l’église anglicane, l’usage de l’anglais dans la liturgie au détriment du latin, et la traduction de la Bible. Et la domination de l’ensemble des îles britanniques consoliderait la mainmise anglaise.
Déjà annexé depuis Henri II, le Pays de Galles le serait quatre siècles plus tard «de jure» sous Henri VIII Tudor.
L’Irlande catholique et dans une large mesure gaélique serait conquise en 1536 et transformée en colonie après le soulèvement de 1645, avec l’installation de colons écossais protestants en Ulster. Cela n’empêcherait pas les Irlandais de participer activement aux guerres civiles anglaises, ce dont ils payeraient le prix.
L’Ecosse, un Royaume dans tout le sens du terme depuis le Xe siècle, situé au nord, disposant d’un Roi et d’un Parlement, faisant usage dans sa partie sud protestante (presbytérienne) d’un dialecte anglais proche de celui du Northumberland, ferait peser une menace militaire constante de par son alliance avec la France, sur le Royaume Anglais. La question écossaise évoluerait avec l’avènement au trône d’Angleterre de James I Stuart, le Roi d’Ecosse. Les Stuart porteraient ainsi jusqu’à la fin la double couronne anglo-écossaise sur leurs têtes, ce qui n’empêcherait pas Charles I, de perdre la sienne sur le billot, avant Louis XVI. Et c’est le parlement Anglais qui pendant plus d’un siècle, empêcherait l’union des deux couronnes.
Le rôle crucial du parlement
Il faut dire que l’importance du parlement ne cesserait de croître. Henri VII Tudor en ferait un outil de sa politique, en particulier pour voter les impôts. Mais c’est sous Charles I Stuart que, obéissant à ses membres puritains, il lèverait une armée contre le Roi en 1640, le ferait exécuter, proclamerait la république, et s’auto dissoudrait. Et finalement, après l’exécution du Roi, son fils Charles II, déjà reconnu roi d’Ecosse, serait proclamé Roi d’Angleterre.
Le parlement jouerait un rôle crucial dans l’avènement au trône d’Angleterre en 1689, de William I d’Orange, le Stadhouder de Hollande, et surtout dans celle de Georges I de Hanovre, un Allemand qui ne parlait pas un mot d’anglais. Ces deux rois auraient d’autres soucis que de s’occuper des affaires anglaises et ne résideraient pas sur l’île, pour le plus grand bonheur de la chambre des Lords et de celle des Communes.
L’union de 1704 entre les deux couronnes anglaise et écossaise serait ratifiée par les parlements de Westminster. On dit que le parlement d’Edinburgh fut convaincu de le faire grâce à l’or anglais, alors que l’opinion publique y était hostile. Cela n’empêcherait pas les highlanders de s’enrôler dans l’armée du prétendant Charles Stuart dit Bonie Prince Charlie, et d’être victimes en 1746 d’un véritable génocide commis par l’armée du Duc Cumberland. En 1815, ce sont ces mêmes highlanders qui dans l’armée britannique de Wellington, un Irlandais, mettraient un terme final aux ambitions de Napoléon Bonaparte, un Corse, à Waterloo.
Quoiqu’il en soit, l’union des deux couronnes anglaise et écossaise, et la mise au pas de l’Irlande grâce à un projet colonial, supprimerait tout danger de guerre interne et d’intervention française.
Marine et commerce à la conquête du monde
Disposant d’une marine hors pair, des connaissances nécessaires pour son développement, et d’un capitalisme commercial (importé de Hollande), l’Etat et le parlement, devenus britanniques, ne cesseraient pour autant pas d’être subordonnés aux intérêts des classes possédantes anglaises, en se lançant à la conquête du monde.
Quand il est question de démocratie parlementaire, il faut donc avoir conscience qu’il ne s’agit nullement d’un déterminisme historique, par lequel toute nation doive cheminer. Le parlement pour avoir un sens suppose une menace d’invasion, la nécessité de financer des ambitions royales territoriales, un particularisme issu d’un schisme religieux et d’une langue que nul autre ne parle, une oligarchie, une île, une marine, un capitalisme agressif de conquête et une révolution industrielle et scientifique. Il faudrait quand même s’en souvenir quand nos propres puritains prétendent en tirer leur légitimité.
* Médecin de libre pratique.
* « The Isles », de Norman Davies, éd<. Mc Millan Libri, octobre 2000.
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