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Tunisie-Ukraine : Ma chérie Amira, dans la souricière de Dnipro

Quel n’a été mon désarroi hier, jeudi 24 février 2022, lorsque j’ai appris que Vladimir Poutine a mis à exécution sa folie et qu’il a lancé une attaque-éclair contre l’Ukraine ! C’était très tôt le matin, comme tous les jours depuis deux semaines, que j’ai pris contact avec Amira, ma fille, sur Messenger. Notre échange a été court, car nous avions convenu, depuis un certain temps, de nous limiter à l’essentiel, à savoir qu’elle se porte bien, qu’elle a assez d’argent, assez de conserves, assez d’eau et qu’elle reste chez elle…

Par Hédia Almia-Abassi *

Essayez d’imaginer la frustration et la détresse d’une mère qui, ce matin-là avant de rejoindre son poste de travail, sait que sa fille –son unique enfant !– est piégée à Dnipro, à plus de 4.000 kilomètres de Zarzouna, Bizerte.

Essayez d’imaginer l’angoisse d’une mère, institutrice, qui va devoir attendre jusqu’au soir pour entendre de nouveau la voix de sa fille chérie…

J’ai entendu les bombardements…

Qu’on ne vienne surtout pas me dire que ‘le fou de Moscou’ n’a pas préparé son blitzkrieg depuis au moins un mois –et peut-être bien plus que cela ! Qu’on ne vienne pas me raconter que le monde entier a été surpris par le réveil soudain de l’Ours russe !

Je ne veux rien entendre de ces théories que l’Ouest –Europe, Etats-Unis et Otan– a trop humilié la Russie de Poutine et trop sous-estimé sa capacité de renaître des cendres de l’Union soviétique.

Que les analystes et les experts, en Tunisie et ailleurs sur tous les plateaux télé du monde, gardent pour eux leurs conneries sur la complicité de la Chine dans cette invasion de l’Ukraine, sur la future alliance entre Moscou et Pékin, sur une nouvelle distribution des influences à travers la planète, sur l’envolée du prix du baril de brent, sur le blé qui va manquer !…

Je me contrefiche de tout cela. Je ne retiens qu’une seule chose : lors de ma dernière conversation avec Amira, j’ai cru entendre, en arrière-fond, des bombardements. C’est tout ce qui m’importe dans cette affaire… Au diable le prix du litre d’essence à la pompe –j’irai à pied à mon travail, et mon mari aussi ! Au diable la pénurie de farine –nous ne mangerons plus de pain, s’il le faut !

Je veux que ma fille rentre saine et sauve de Dnipro. Peu importe les dizaines de milliers de dinars que nous avons déboursés pour son installation… et les autres milliers dinars que nous lui avons envoyés chaque mois, depuis son départ en août dernier. Nous aurons le temps pour rembourser tout cela. Il me reste quelques bijoux et un lopin de terre de 400 m2 que nous pourrions vendre. Plus rien ne compte à mes yeux… à part le retour au pays d’Amira.

Je ne veux plus entendre le ministère des Affaires étrangères (MAE) conseiller aux 1.500 Tunisiens se trouvant en Ukraine d’être prudents, de rester chez eux, de prendre contact avec nos ambassades à Varsovie (à 1.200 km de l’Ukraine) et à Moscou (à plus de 4.600 km de l’Ukraine) ou de joindre deux associations de ressortissants tunisiens en Ukraine.

Ils sont en train de «tout faire»

Allez expliquer à ma petite fille chérie, qui fêtera son vingtième anniversaire début mai prochain et qui n’a pour seul papier d’identité qu’un simple récépissé, car elle a dû remettre son passeport en attendant l’obtention d’une carte de séjour ! Allez expliquer à ma petite Amira que le président de la république «se préoccupe» de son sort et qu’une cellule de crise au sein du MAE est en train de «tout faire» pour assurer le rapatriement de nos concitoyens piégés en Ukraine !

L’incompétence et le manque de vision prospective de notre diplomatie, depuis un bon bout de temps, ne sont plus à démontrer. Une fois de plus, dans cette grave crise –il s’agit bel et bien d’une guerre !–, notre diplomatie n’a rien vu venir, n’a rien prévu et elle se contentera d’improviser des petits bricolages qui ne servirons qu’à gagner du temps, sans plus. Tout cet amateurisme, en attendant que les autres fassent quelque choses : il faut espérer que les gesticulations de Joe Biden, Emmanuel Macron, Olaf Scholz, l’Union européenne, l’Alliance atlantique et l’Onu puissent convaincre Vladimir Poutine à faire machine arrière et à me permettre de retrouver mon Amira.

Notre fille, son père et moi garderons pour nous ce rêve de voir notre Amira poursuivre des études de médecine. Pourtant, d’autres ont pu le faire avant elle, en Ukraine. Nous aurions essayé, pour notre part, de faire de telle sorte que sa moyenne de 13,75/20 au baccalauréat ne la prive de cette chance de devenir médecin.

A présent, nous n’avons plus qu’un seul objectif : trouver l’issue de secours pour notre fille et tourner cette page.

Quant aux premiers responsables du pays, qui sont censés nous défendre aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, nous leur demanderons de revoir leur copie. Ils ont beau être «brillant constitutionnaliste» ou «diplomate de carrière chevronné», ils devront prouver leurs expertises et leurs talents en allant à Dnipro chercher mon Amira.

Ni plus, ni moins.

* Citoyenne tunisienne qui demande tout simplement de retrouver sa fille.

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