Accueil » Russie-Ukraine : une tragédie d’histoire et de géopolitique !

Russie-Ukraine : une tragédie d’histoire et de géopolitique !

Volodymyr Zelensky / Vladimir Poutine.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une tragédie inscrite dans l’histoire mouvementée et souvent violente des deux peuples que liens tiennent autant de la géographie et de l’histoire que des passions qu’animent les ressentiments hérités du passé, les angoisses du présent et les aspirations de l’avenir.

Par Mahjoub Lotfi Belhedi *

Nul ne peut contester que la Russie possède l’une des histoires humaines les plus tourmentées et les plus impactantes dans l’histoire des relations internationales. Nul ne peut ignorer aussi les liens historiques étroits au point d’imbrication intime entre la Russie et l’Ukraine en termes linguistique (la langue ukrainienne est appelée «petit russe»), ethnique (des slaves de l’est) et géopolitiques (l’Ukraine était une république soviétique du 30 décembre 1922 au 24 août 1991), etc.

Quant l’histoire prend sa revanche …

En arrière-plan lointain, l’Etat de Kiev (le premier Etat des slaves de l’Est fondé en 880) était le berceau de la Russie actuelle, et comme tout berceau, il reste gravé de façon indélébile dans l’imaginaire collectif de l’un comme de l’autre peuple. Pradoxalement, cette perception inter-générationnelle de Kiev a ravivé les revendications séparatistes d’une bonne partie de la population de l’est de l’Ukraine et a servi d’alibi géo-culturel à l’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie de Poutine.

Avec une longue histoire médiévale commune, les différents tsars russes ont su entretenir l’image d’un «croisement génétique» entre les deux pays.

Plus tard, la révolution bolchévique de 1917 n’a fait qu’accroître cette vision bi-identitaire via un profond remodelage des relations internationales contemporaines selon la chronologie événementielle suivante: 

– au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le monde se laisse immerger au fond d’un océan á double courants (bipolaire) composé des USA et de l’URSS (où l’Ukraine joue le double rôle de grenier à blé et de décharge nucléaire);

– une première guerre froide entre les deux super-puissances issues de la seconde guerre mondiale s’installa progressivement à partir du 12 mars 1947;

– un processus de morcellement de l’URSS en plusieurs républiques autonomes se déclencha en 1990/1991 et dont l’Etat le plus convoité en termes d’intérêts géopolitiques, de poids démographique et nucléaire était incontestablement l’Ukraine ;

– un empire oligarchique en version russe verra par la suite le jour sous la conduite de Poutine…

– au début de ce siècle, un ordre mondial multipolaire se dessine à l’horizon où la Russie de Poutine, se sentant littéralement marginalisée (et c’est le cas de le dire), réclame incessamment une place centrale…

Retour en force du concept de «Heartland»

Pour mieux saisir la position britannique à l’égard des Russes, il faut se référer au concept d’Heartland (le cœur du monde) mis au point par son géographe Halford Jhon Mackinder et qui trouvera toute son expression empirique dans le conflit russo-ukrainien .

Dans son article intitulé «The Geographical Pivot of History» paru en 1904, Mackinder proposa une division de l’espace terrestre en trois parties :

1- la World-Island (Île Monde) est le continent eurasiatique, qui est le plus riche et le plus peuplé;

2- il y a ensuite les offshore islands, désignant les archipels britanniques et nippons, qui se trouvent à proximité de l’Île Monde et sont ou ont vocation à acquérir une grande puissance politique;

3- enfin, les outlying islands (îles périphériques) sont les territoires éloignés, tels que l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud et l’Australie.

Le Heartland, quant à lui, se trouve au centre de l’Île Monde (la World-Island). Principalement occupé par l’Empire russe à l’époque, il s’agit pour Mackinder du territoire le plus fertile et le plus important, stratégiquement, du monde. Alors qui contrôle l’Heartland domine, de facto, le monde.

Dans les faits, et suite à la chute du mur de Berlin en 1989, un méga chantier de remodelage de la carte géo-stratégique en Europe de l’Est se déclencha sous l’impulsion conjointe des USA et de l’Otan ayant pour assise doctrinale le concept d’Heartland de Mackinder et pour cibles :

– la désagrégation de l’ex-Union soviétique en plusieurs Etats autonomes; 

– la mise en œuvre de «la politique de la porte ouverte» de l’Otan par voie d’adhésion de plusieurs pays du bloc de l’est avec toutes les conséquences militaires qui en découlent;

– la réalisation éventuelle de la promesse donnée à la Géorgie et l’Ukraine de devenir un jour membres de l’Alliance atlantique lors du sommet de l’Otan à Bucarest en 2008;

– et enfin, la signature d’un accord de partenariat stratégique entre les Etats-Unis et l’Ukraine, en novembre 2021, qui constitue, en soi, l’un des facteurs déclencheurs directs de l’invasion de Ukraine par l’armée russe.

Pour mettre fin à ce qu’il considère comme un processus de marginalisation géostratégique de la Russie, le président Poutine – dans la peau d’un tsar – confronte une équation existentielle terrifiante, à savoir une Russie sans Ukraineou carrément une Ukraine carrément russe. Il choisit la seconde option avec les conséquences terribles, pour les Ukrainiens autant que pour les Russes, qui vont en découler, étant entendu que, pour cet autocrate endurci, la perspective d’une «contagion démocratique» , incarnée par une Ukraine intégrée à l’Union européenne, est insupportable.

Et la tragédie d’histoire et de la géopolitique continue !

* Spécialiste en réflexion stratégique.

Articles du même auteur dans Kapitalis :

La Tunisie est-elle en situation de faillite ?

Tunisie : Vers un plébiscite napoléonien en version 2.0

Démocratie de l’absurde en Tunisie : de l’euphorie à la dysphorie 

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.