En ces temps de pénurie, mener une campagne contre les spéculateurs, les dénoncer, les traquer et démanteler leurs réseaux est une action courageuse des plus salutaires aussi bien pour le peuple que pour les producteurs que pour l’Etat. Mais, diaboliser les hommes d’affaires qui agissent dans le secteur formel et qui s’acquittent de leurs obligations vis-à-vis de la société, et les traiter avec les mêmes méthodes que celles employées contre les mafieux n’est pas de nature à les inciter à continuer à remplir leur rôle économique et social avec le même élan et à investir sous d’autres cieux plus cléments.
Par Mounir Chebil *
Quand le secteur public est en ruine engendrant la faillite de tout le pays, on se permet de s’en prendre aux hommes d’affaires. Il a été dit en haut lieu qu’ils étaient des voleurs, des exploiteurs, des spéculateurs et des affameurs du peuple qui poussent l’arrogance de rouler en voitures de luxe.
Or, depuis onze ans, si ce n’était le secteur privé, le pays aurait été une nouvelle Somalie. Malgré le grabuge de la dernière décennie chaotique, le secteur privé a continué à investir, à créer de l’emploi, à drainer des devises dilapidées dans des pacotilles turques et chinoises, et à générer des richesses et des impôts pour l’Etat d’une manière directe ou indirecte.
Même le plus simple éboueur est conscient de la grave crise économique dans laquelle le pays est embourbé. Mais pour le président de la république Kaïs Saïed, cette crise est le dernier des soucis. Il n’a pas daigné se réunir avec le patronat et les acteurs des secteurs productifs pour discuter des solutions possibles en vue de la juguler. Il l’a martelé sur un ton martial qu’il ne s’assoirait jamais avec ceux qui ont les mains sales. Certes, les hommes d’affaires ne sont pas des saints, mais ils ne sont pas non plus des diables. Or, s’il fallait attendre que les anges descendent du ciel pour qu’ils aient le privilège de discuter avec M. Saïed, il serait plus conseillé d’attendre Godot.
La dangereuse diabolisation des hommes d’affaires
Au moment des grandes crises et des remous sociaux, les dirigeants impotents ne trouvent pas mieux que de faire diversion en cherchant des boucs émissaires à jeter en pâture pour étouffer ou calmer la grogne populaire, en période de famine les riches seraient les boucs émissaires de prédilection.
Certes, en ces temps de pénurie, mener une campagne contre les spéculateurs, les dénoncer, les traquer et démanteler leurs réseaux est une action courageuse des plus salutaires aussi bien pour le peuple que pour les producteurs que pour l’Etat. Mais, diaboliser les hommes d’affaires qui agissent dans le secteur formel et qui s’acquittent de leurs obligations vis-à-vis de la société, et les traiter avec les mêmes méthodes que celles employées contre les mafieux n’est pas de nature à les inciter à continuer à remplir leur rôle économique et social avec le même élan et à résister à la tentation d’investir sous d’autres cieux plus cléments de crainte d’être traînés sur le bûcher un jour.
Dans la foulée de la supposée guerre contre les spéculateurs décrétée par M. Saïed, des ordres étaient donnés aux sécuritaires pour encercler et investir des lieux de production de produits alimentaires et particulièrement ceux traitant des produits subventionnés, afin de contrôler s’il n’y avait pas d’éventuels dépassements et d’abus. Dans ce cadre, des descentes comparables à celles effectuées dans des dépôts de fabrication de la drogue, ont eu lieu, le 10 mars 2022, dans des minoteries à Sousse et je suppose dans d’autres villes aussi.
Du coup, les Khmers rouges du «fassed-book» proches de M. Saïed se sont déchaînés dans une propagande calomnieuse, digne de la chasse aux sorcières de l’époque du maccarthysme. Ils ont jeté leur dévolu sur le propriétaire du groupe la Rose blanche qui est le premier producteur de semoule et de pâtes. Or, cette personne n’a besoin ni de se défendre ni qu’on le défende. D’ailleurs, il a ignoré ses détracteurs.
Ces Khmers rouges du «fassed book» ont été trahis par leur zèle. A vouloir enfoncer cet homme d’affaires, ils se sont couvert de ridicul. Ils ont soutenu que cet homme d’affaires moulait les diverses sortes de pâtes subventionnées (spaghetti, couscous…) et les transformait en aliments pour les animaux d’élevage pour être vendus au prix du marché et se remplir les bas de laine indûment.
Or, la question qui se pose, pourquoi recourir à ces détours rocambolesques de transformer les céréales en pâtes puis de transformer celles-ci en aliments pour animaux d’élevage, alors que cet homme d’affaires dispose de céréales subventionnées et qu’il pouvait les transformer directement au moindre coût.
La vérité, c’est que les services de contrôle ont trouvé, dans la zone industrielle de Sfax, un petit entrepôt qui broyait diverses sortes de pâtes subventionnées et en produisait des aliments pour les animaux d’élevage qu’il vendait au prix du marché. Alors, pour donner plus d’éclat et plus de résonance à la campagne tapageuse anti spéculation de M. Sayed, des pages de «Fassed book» qui lui sont favorables ont attribué ce petit trafic à un grand bonnet de l’industrie agroalimentaire comme pour diaboliser, à travers lui, ces hommes d’affaires «affameurs du peuple» et honnis par M. Saïed.
Par ailleurs, ces pages facebook reprochaient à cet homme d’affaires d’avoir repris une minoterie en faillite installée à Sfax, oubliant que cette reprise a été faite selon des procédures juridictionnelles propres aux entreprises en difficulté et où le failli avait tous les droits pour se défendre. Par ailleurs, cette opération a permis de sauver l’entreprise et les emplois.
Le jeu stérile du gendarme et du voleur
Mais, les culs terreux, les bras cassés, les adeptes de l’assistanat ont une haine viscérale envers ceux qui travaillent et réussissent. Car, l’homme d’affaires dont il est question et qui a commencé modestement est un exemple de réussite. Il est vrai que nous sommes à une époque ou la médiocrité est reine. Si Bill Gates, qui a commencé ses recherches dans un modeste garage, était Tunisien, il aurait été crucifié pour la richesse qu’il a accumulée, puisqu’aujourd’hui, en Tunisie, on en veut aux gens aisés rien que pour leur luxueuses voitures.
Dans cette vague de lutte contre la spéculation, une zone d’ombre demeure. Les marchandises trouvées dans les dépôts des présumés spéculateurs ont transité par le réseau routier du pays et qui est en principe sous le contrôle de la police et de la garde nationale. Donc, au passage des camions bondés de marchandises à stocker pour la spéculation, les agents de sécurité étaient-ils pendant tout leur temps concentrés à contrôler les papiers des petites voitures familiales alors que ces camions filaient en toute impunité? Au ministre de l’intérieur Taoufik Charfeddine de commencer par balayer devant sa porte.
Par ailleurs, les quantités de produits alimentaires saisies lors des diverses descentes dans les entrepôts des spéculateurs ne représentent que des quantités très infimes par rapport aux besoins quotidiens du pays. Donc, la solution n’est pas dans ce jeu stérile du gendarme et du voleur largement médiatisé pour impressionner une population en désarroi. Il faudrait mieux réfléchir à stimuler la production et à créer l’abondance qui éradiquera la spéculation.
Nous aurions souhaité, en ces graves moments de pénuries de produits alimentaires, voir M. Saïed réunir les compétences pour insuffler une politique agricole qui embrasserait tous les domaines du secteur : production, circuits de distribution, stockage, industrie de transformation, en vue d’assurer l’autosuffisance alimentaire et augmenter nos capacités d’exportation.
Après le racket subi par les hommes d’affaires tunisiens par la famille Trabelsi, le clan de l’épouse de Ben Ali, puis par les Frères musulmans d’Ennahdha après le grabuge du 14 janvier 2011, notre Roi soleil cherche à les humilier et à les mettre à ses pieds, son but étant d’assujettir tout un peuple. Ils auraient à subir le diktat des comités ou conseils de base à instaurer dans le cadre de la démocratie participative, le modèle sociétal de M. Saïed, et qui auraient le droit de tout décider dans le cadre de leurs collectivités locales ou régionales respectives. Rien ne laisse croire que ce droit ne s’étendra pas aux expropriations d’usines appartenant aux «affameurs du peuple» et des grands domaines agricoles qui seraient distribués aux petits paysans. Déjà, les yeux sont rivés sur les domaines agricoles de l’Etat. «Ecchab yourid, wa lahou ma yourid» (le peuple veut et il aura ce qu’il demande), ne cesse de répéter M. Saïed, une promesse qui sonne également comme une menace lourde de conséquence.
Au moment où la Russie et la Chine encouragent et soutiennent leurs entrepreneurs privés, en Tunisie on rêve de soviets d’avant la révolution russe de 1917 et de la révolution culturelle de Mao.
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