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Tunisie : Mohamed Abbou et Nadia Akacha, des lendemains qui déchantent

Les récentes prises de position de Mohamed Abbou et de Nadia Akacha sont inquiétantes, non pas de par les accusations qu’elles portent, qui ne sont que les reflets de prises de positions politiques ne correspondant pas forcément à la réalité des faits ou à leur véracité, mais parce qu’elles témoignent du degré d’isolement du président Kaïs Saïed sur la scène politique nationale, même s’il continue de jouir d’un large soutien populaire que d’aucuns s’obstinent désormais à lui nier. Alors qu’une conspiration œuvre au grand jour pour l’abattre, des personnalités qui ont étroitement collaboré avec lui ne croient visiblement plus en son maintien au pouvoir.

Par Dr Mounir Hanablia *

Cela n’est pas nouveau pour Mohamed Abbou qui depuis le mois de février dernier semble considérer que les outrances verbales constituent le meilleur moyen de retrouver son crédit politique, pour peu qu’il en eût jamais bénéficié, après avoir été ignominieusement chassé du parlement avec le gouvernement de Elyès Fakhfakh.

Son récent appel à un coup d’Etat militaire, pour outrancier qu’il soit, ne doit pas être pris au pied de la lettre. En effet, les deux cas dont l’Histoire prend acte, où des appels à l’armée à désobéir à ses chefs ont été lancés, les putsch d’Alger en 1961 et celui de Madrid en 1981, ont été les faits des chefs de l’Etat, le président De Gaulle et le roi Juan Carlos.

Abbou à la périphérie de la mêlée politique

L’appel de Mohamed Abbou, qui n’a aucune qualité à rappeler les devoirs de l’institution sécuritaire à désobéir le cas échéant aux ordres illégaux, porte aussi une menace implicite, celle pour ses membres de voir demander des comptes. Il est aussi irresponsable en ce sens qu’il fournit un alibi politique à l’institution militaire pour prendre le pouvoir, et il est douteux que si cela se fait, elle se montre prête à rétablir une vie démocratique et à le restituer à une autorité civile discréditée.

Cet appel signifie simplement que son auteur, se sentant renvoyé à la périphérie de la mêlée politique actuelle, considère le passage par la case prison comme l’étape nécessaire et transitoire à la réalisation de ses ambitions futures. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Beaucoup d’hommes politiques ont préféré aller en prison à un moment ou à un autre de leur vie. Ainsi en avait-il été de Prakash Singh Badal, l’un des chefs du parti Akali Dal, lors de la crise du Punjab en 1984, et qui était devenu chief minister de la province quelques années après. Mais il est douteux que M. Abbou arrive à recouvrer le lustre qui fut le sien, à ce qu’on dit pour avoir fréquenté indûment les geôles de Ben Ali, et le plus probable est qu’il continue de jouir de sa liberté actuelle sans arriver à être «dans le coup».

Or l’un des drames de ce pays, c’est justement d’avoir confié son destin après le 14 Janvier 2011 à ceux qui pour une raison ou une autre avaient subi les foudres d’un dictateur stupide et borné qui, en les emprisonnant, leur avait conféré plus de mérites que ceux que leurs aptitudes réelles eussent pu révéler.

Akacha craint de devoir rendre des comptes

Quant à Mme Akacha, on a accusé Youssef Chahed de l’avoir manipulée, pour régler ses comptes politiques, en l’amenant à se démarquer du président de la république, dont elle a été une proche conseillère, avant de démissionner après un conflit avec le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine.

L’ancien chef du gouvernement a évidemment démenti être impliqué en quoi que ce soit dans cette affaire. Néanmoins, les écrits de Mme Akacha, dont elle assume la teneur, aussi discourtois soient-ils, doivent être replacés dans leur contexte, celui de la crainte de se voir demander des comptes dans un futur proche.

Mais après sa décision de nommer lui-même les membres de la haute instance électorale, faisant suite à la mise au pas du parlement et du Conseil supérieur de la magistrature, le chef de l’Etat se voit ainsi accusé par ses opposants de ne plus laisser aucun doute relativement à ses intentions dictatoriales.

On est ainsi en train de donner l’image d’un président isolé qui ne sait pas quoi faire, un étranger aux affaires qui est l’otage d’un entourage malfaisant, et dont la seule politique soit de se maintenir au pouvoir, en choyant l’institution sécuritaire.

Tout cela rappelle étrangement les rumeurs qui avaient précédé la destitution du président Bourguiba, en 1987, relativement à sa santé mentale.

Le président Saïed de plus en plus isolé

Il faut donc être prudent et s’en tenir aux faits. Le peuple ne s’est pas soulevé contre la concentration des pouvoirs entre les seules mains de l’actuel président, et c’est tant mieux si toutes les tentatives pour le faire descendre dans la rue ont échoué. Un référendum est prévu sur la révision de la Constitution dont on annonce déjà qu’elle sera conforme aux intentions présidentielles subintrantes à une certaine «volonté populaire», identique à celle qui s’exprimait en Libye du temps de Kadhafi. Et les élections sont attendues mais d’ores et déjà elles ne feraient que consacrer la mainmise présidentielle sur les affaires du pays grâce à une instance électorale aux ordres.

On oublie cependant, si on ne feint pas de le faire, que ce n’est pas le ministère de l’Intérieur qui se soit vu confier l’organisation des élections, ce à quoi on eût normalement dû s’attendre dans une «démocratie populaire», et l’histoire de l’Europe de l’Est après la guerre ne le prouve que trop bien.

Le but de toute cette campagne pourrait bien évidemment être d’empêcher le déroulement de ces échéances qui consacreraient de nouvelles réalités institutionnelles et politiques, en diffusant la peur, celle du risque politique majeur que représenterait l’institution des comités populaires, et du caractère critique d’une situation essentiellement économique dont le traitement ne supporterait plus de délai supplémentaire sous peine de voir le pays en subir des conséquences irréversibles.

Si la situation économique n’est plus un mystère pour personne, en revanche il serait douteux que les institutions sécuritaires officielles acceptent la concurrence dans le maintien de l’ordre des organes représentatifs de la légitimité populaire, autrement dit du pouvoir de la rue.

De surcroît, il s’agit d’un président élu nominalement au suffrage universel qui tel quel a droit au bénéfice du doute relativement aux intentions qu’on lui prête, et à l’étranger on le jugera quoi qu’il arrive moins sur le respect ou la réforme d’une Constitution dont les auteurs eux-mêmes ne se sont pas montrés très respectueux, que sur la capacité du pays de s’acquitter de ses dettes.

Tout compte fait un pays peut se passer du parlementarisme, au moins un certain temps, mais quand l’Etat qui assure sa stabilité et sa sécurité est menacé dans sa substance par des entreprises irresponsables conduisant à la sédition, il est du devoir de tout citoyen d’en défendre l’unité en soutenant le symbole de sa pérennisation, le président de la république. 

* Médecin de libre pratique.

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