Tunisie : qui cherche à mettre le feu aux poudres ?

Au centre-ville de Tunis, à moins de cent mètres des bâtiments du ministère de l’Intérieur, symbole de la toute puissance de l’Etat, un incendie, hier soir, samedi 14 mai 2022, a détruit les bureaux de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), qui aurait pu se propager à ceux de la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS), situés à quelques mètres… Officiellement, l’incendie est causé par un coupe-circuit, mais il survient à la suite de plusieurs autres, aux quatre coins du pays, que l’on soupçonne d’avoir été provoqués dans un but politique. Certains parlent déjà d’affront à l’Etat Kaïs Saïed…

Par Raouf Chatty *

L’accident s’était produit un samedi soir, jour de congé pour les établissements publics. La vétusté des locaux pourrait expliquer le coupe-circuit ayant peut-être déclenché le feu, mais on ne peut raisonnablement écarter l’hypothèse d’un acte prémédité. L’objectif serait de rajouter aux difficultés énormes dans lesquelles se débat le pays, créer davantage de tensions pour semer la pagaille, accroître l’instabilité et faire tomber le pouvoir en place.

Les incendies qui se multiplient dans le pays sont aujourd’hui considérés comme le symbole de la faillite de ceux qui ont gouverné le pays durant les dix dernières années, le parti islamiste Ennahdha en tête, et qui ont dilapidé les ressources du pays et l’ont mis au bord du gouffre financier où il se trouve aujourd’hui.

La fragilité du pouvoir en place

Paradoxalement, s’il s’avère que ces incendies sont d’origine criminelle et que leurs auteurs ont des visées politiques, ils pourraient également être le symbole du cynisme de ces derniers, qui, par leur acte, voudraient apporter la preuve qu’ils sont prêts à tout pour reprendre le pouvoir et torpiller toute tentative de réforme d’où qu’elle vient.

Face à ce qui pourrait être un crime, le ministre de l’Intérieur aurait dû être présent lui aussi, hier soir, sur les lieux, situés à quelques pas de ses bureaux, aux côtés de son collègue des Affaires sociales, pour montrer que l’Etat ne compte pas se laisser faire. Car, dans le cas d’un incendie criminel, l’affaire dépasserait largement la compétence du ministre des Affaires sociales, dont dépend l’institution publique sinistrée. La présence de ce dernier hier soir sur les lieux était plus que fade. Parler de manquements d’agents de sécurité et de défaillances techniques est un message plat, difficile à avaler pour quiconque doté de bon sens.

Par ailleurs, on ne peut pas écarter la possibilité que les pyromanes présumés voudraient non seulement détruire les archives et les dossiers extrêmement importants qui mettent en jeu les intérêts des affiliés à la Cnam, un important service public qui concerne des millions de citoyens, mais aussi mettre en évidence la fragilité du pouvoir en place, incapable de garantir la sécurité de ses bâtiments, qui plus est au cœur de la capitale et à un jet de pierre de l’antre de la police, porter ainsi atteinte à la tranquillité et à la stabilité du pays et apporter la preuve qu’ils sont toujours capables de sévir, partout et à tout moment, impunément.

Un travail de sape

L’incendie des locaux de la Cnam constituerait ainsi une étape plus cynique que les précédentes dans cette série d’incendies d’origines non élucidées déclarées depuis un mois dans plusieurs régions de la république, de Bizerte au nord à Gabès au sud.

L’affaire n’est pas anodine et ne doit pas être traitée avec une volonté politique de dédramatiser les faits, comme le fait actuellement le gouvernement, croyant pouvoir cacher le soleil avec un tamis, comme le dit le proverbe tunisien. Car, si on ne parvient pas à mettre la main sur les présumés pyromanes, à connaître leurs motivations et à identifier leurs commanditaires, le risque est grand de voir d’autres les rejoindre bientôt dans ce travail de sape, notamment en mettant le feu dans les champs de céréales, alors que l’été approche et avec lui la saison des moissons.

Les petites enquêtes à la va vite visant à calmer les esprits plutôt qu’à révéler la vérité, comme on en fait souvent dans notre pays, ne feraient que noyer le poisson et encourager les criminels à récidiver. La seule solution : l’Etat doit sévir avec toute la célérité et la fermeté requises.

* Ancien ambassadeur.

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