L’homme d’Etat dont la Tunisie a besoin

La Tunisie n’a pas besoin aujourd’hui de pauvres technocrates paumés qui rasent les murs et parent au plus urgent, mais d’hommes politiques capables de parler un langage de vérité aux citoyens, de leur tendre un miroir pour qu’ils se regardent en face, de les mettre devant leurs responsabilités historiques vis-à-vis de leurs enfants et petits-enfants, de leur demander non pas des sacrifices (car ils ne savent pas en faire, les pauvres chéris!), mais de retrousser les manches et de se mettre au travail. Il n’y a malheureusement pas d’autre solution, car il n’y a pas de miracle pour les cancres et les médiocres !

Par Ridha Kefi

Pour un pays comme la Tunisie (surtout depuis 2011), qui vit au jour le jour et dont le gouvernement se contente de parer au plus urgent et de colmater les brèches, sans vision ni plan ni stratégie, la pandémie de Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne n’ont pas été des cadeaux.

Pour le comprendre et, surtout, le déplorer, on n’a pas attendu que le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) Marouane Abassi, nous apprenne, ce que nous savions déjà, à savoir que le besoin supplémentaire induit par la crise russo-ukrainienne sur le budget de l’Etat tunisien s’élève désormais à 5 milliards de dinars.

Le salut par… l’endettement !

S’exprimant, vendredi 20 mai 2022, lors de la 7e édition du Forum sur la fiscalité, organisé à Sfax par l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), M. Abassi a souligné que «le recours aux ressources du Fonds monétaire international est essentiel», car le FMI permet le financement à des coûts raisonnables et fournit un effet de levier pour le financement d’autres donateurs et du marché financier international, a-t-il ajouté.

«Depuis la transmission d’une demande formelle au FMI pour l’accès à ses ressources sous la forme d’une facilité élargie de crédit, les autorités tunisiennes ont fait de grands efforts pour mettre en place un programme de réforme approprié avec cette institution internationale», a aussi indiqué M. Abassi, en rappelant que «les autorités ont réussi à mobiliser 700 millions de dollars auprès de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), ce qui a partiellement desserré la pression sur le budget de l’État et a assuré un pont de financement jusqu’à la conclusion de l’accord avec le FMI.»

Des finances publiques gérées comme une épicerie

Cependant, ces propos soporifiques, destinés à calmer momentanément les esprits brouillés par la flambée des prix des matières premières et des services (énergie, céréales, transport, biens d’équipement, etc.), ne sauraient voiler à nos yeux la réalité de la situation compliquée (et le mot est faible) où se trouvent les finances publiques dans notre pays, aujourd’hui gérées comme une épicerie, comme l’avait fait remarquer un jour Fadhel Abdelkefi, président du parti Afek Tounes, financier lui-même et ancien ministre des Finances par intérim, qui sait, bien sûr, de quoi il parle.

Le problème, c’est que que la comptabilité d’une épicerie est souvent mieux gérée que le budget de l’Etat tunisien pour l’exercice en cours, dont on ne sait pas encore, alors que l’année est à moitiée consommée, comment il va être financé pour les mois à venir. Et là on parle de besoins pressants, à commencer par les salaires d’une fonction publique pléthorique et inefficace et les dépenses de fonctionnement des différents services publics (transport, santé, éducation…)

Un grand malade appelé «Tunisie»

Pour ne rien arranger, et au-delà des propos diplomatiques des responsables du FMI, qui sont visiblement embarrassés face à un grand malade appelé «Tunisie», qu’on ne peut laisser sans soins urgents, mais qui refuse de prendre ses médicaments (il les trouve trop amers), notre pays peut toujours demander un prêt de 4 milliards de dollars de l’instance financière internationale, en espérant trouver le 1 milliard restant dont sa situation exige chez d’autres bailleurs de fonds, il ne peut, en vérité et dans les meilleurs des cas, se voir accorder plus de 1,5 ou 2 milliards de dollars. Et l’embarras du FMI réside dans le fait que la Tunisie, depuis qu’elle a eu de nouveau recours à ses services, en 2013, s’engage toujours à mettre en œuvre des réformes économiques, à maîtriser ses dépenses publiques et à mieux utiliser ses ressources financières qui se raréfient, mais s’entête à faire exactement le contraire. Les gouvernements qui se succèdent restant impuissants face aux pressions des partis politiques cherchant à partager le gâteau avec leurs membres, des organisations nationales à l’esprit corporatiste borné et d’une population devenue aussi dépensière que revendicative et, la démocratie aidant, carrément ingérable.

Technocrates paumés et dangereux utopistes

Abassi peut toujours nous chanter des rengaines, en nous promettant de nous en sortir en nous endettant davantage (la belle affaire !), ce dont le pays a besoin aujourd’hui ce n’est pas de pauvres technocrates paumés qui parent au plus urgent, mais d’hommes politiques capables de parler un langage de vérité aux citoyens, de leur tendre un miroir pour qu’ils se regardent en face, de les mettre devant leurs responsabilités historiques vis-à-vis de leurs enfants et petits-enfants, de leur demander non pas des sacrifices (car ils ne savent pas en faire, les pauvres chéris!), mais de retrousser les manches et de se mettre au travail.

La Tunisie d’aujourd’hui n’a pas besoin non plus de dangereux rêveurs, utopistes ou opportunistes, comme le président de la république, Kaïs Saïed, qui promet aux Tunisiens la prospérité… en les dotant d’une nouvelle constitution qui conforte sa propre soif de pouvoir, comme si l’accumulation des lois suffit pour changer un pays ou un peuple.

La Tunisie a besoin aujourd’hui d’un homme de la trempe d’un Winston Churchill qui, le 13 mai 1940, dans son premier discours devant la Chambre des communes, après sa nomination au poste de Premier ministre du Royaume-Uni durant la Seconde Guerre mondiale, a lancé aux Britanniques sa célèbre phrase : «I have nothing to offer but blood, toil, tears and sweat» («Je n’ai à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur»). Le résultat, on le connaît : la Grande-Bretagne a gagné la guerre et enchaîné les décennies de propérité.

Mais à défaut de Winston Churchill, la Tunisie a besoin aujourd’hui d’un homme de la trempe de Habib Bouguiba qui n’avait de cesse d’appeler les Tunisiens à retousser les manches, à travailler et à tirer le meilleur d’eux-mêmes, en citant, dans la plupart de ses discours, le même hadith attribué au prophète Mohamed, disant « إِنَّ ٱللَّهَ لَا يُغَيِّرُ مَا بِقَوْمٍ حَتَّىٰ يُغَيِّرُوا۟ مَا بِأَنفُسِهِمْ Allah ne change pas la situation d’un peuple tant qu’ils ne changent pas d’eux-mêmes»).

M. Saïed peut toujours poser devant l’Histoire, droit comme un doigt, la main sur le cœur et un trémolo dans la voix, en se prenant pour le calife Omar, il ne sera jamais un vrai chef d’Etat tant qu’il continue de caresser ses administrés dans le sens du poil, d’éviter de leur dire la vérité et de leur raconter des fables qui n’endorment que les niais et les crédules parmi eux, qui adorent être bercés de douces illusions.

Articles du même auteur dans Kapitalis :

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.