Le poème du dimanche : «Chants de la nuit extrême» de Al-Maârri

Considéré comme «le poète des philosophes ou le philosophe des poètes», Abu-l-âla Al-Maâri, est l’un des grands esprits de la culture arabo-musulmane et universelle.

Né à Maârra (près d’Alep), en Syrie, en 973, il perd la vue, enfant. Se considérant comme «otage de deux  prisons : la cécité et le corps», il vit en ascète résolu, végétarien, s’empêchant d’engendrer une descendance.

Grand érudit, il donne une œuvre profondément pessimiste et sombre, traversée par le doute métaphysique, mettant en question le dogme religieux. Se limitant, pense-t-on, au déisme.

Ce qui lui a drainé les foudres des fondamentalistes et leurs attaques, dans un grand malentendu, des plus fâcheux. Son œuvre fut ainsi interdite par des conservateurs extrémistes qui œuvrent à l’exclure des programmes d’enseignement.

La statue d’Al-Maârri fut décapitée, en 2013, par des islamistes radicaux. Pourtant son Epître du pardon/Risalat al-Ghofrane (trad. par Vincent Mansour Monteil, Gallimard, 1984) peut être considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de l’esprit humain. L’œuvre de Dante n’est pas loin. Al Maâri décède en 1057.

Parmi ses œuvres, qui compteraient une soixantaine, quelques rares ouvrages et recueils nous sont parvenus : Saqt al-Zand (Eclats de silex); Luzumiyât (Impératifs)… (En français): Rets d’éternité (trad. Par Adonis et Wade Minkowski, Fayard, 1988); Chants de la nuit extrême (trad. et calligraphie de Sami Ali, Ed. Verticales, 1998.)

Tahar Bekri

78

Nous craignons l’enfer, mais l’ici-bas

dont nous sommes épris

Ne ressemble t-il pas à une fournaise

brûlant de toutes ses flammes ?

Soir et matin, pour le purifier, je me lave le visage

Le cœur plein d’appréhension

Comme si cherchant à en clarifier la noirceur,

La blancheur des cheveux m’appelait un jour à la piété

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Mes besoins sont des perles d’un collier

et la vie avec moi

Un fil trop court qui en empêche l’assemblage

Multiple, sans raison, ce que l’homme désire

Mais combien brève sa vie !

A ceux qui savent l’écouter, le temps s’adresse

Ne craignant ni bégaiement, ni arrêt intempestif

Et tel que je le vois, le mal est inhérent aux hommes

Que rien n’empêche de commettre,

ni le chaud ni le froid

Et le comble du vice c’est que la souris sourde

Envie pour son ouïe celle qui ne voit pas !

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Tel l’encens, l’arôme des fleurs se répand partout

Et les nuages, les plantes, l’eau et les roches

Louangent leur Seigneur

Seuls nous sommes un poids pour la terre

Qui manque de céder sous nos pieds

Ne sois pas hautain ! La hauteur ne sied qu’à Dieu

Surpassant toute parole

Ne vois-tu pas que la mort

Nous abuse en se jouant de nous ?

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La langue de l’homme, on l’appelle

parfois pique, parfois épée

Et que de mots tranchèrent une tête !

Venus là, les gens s’abreuvent à la vie

Laissant l’eau altérée et trouble

Le temps, telle la robe qu’on lave,

purifie le noir des cheveux

Mais pas le caractère mauvais

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Dis à la colombe ; Par ton chant tu éveilles

La nostalgie de qui se souvient, attisé

Ton Seigneur t’a vêtue de plumage pour parer au froid

Ornant d’un collier ton cou

Ne crains-tu pas le faucon haut perché

Menaçant de priver de toi tes petits ?

Ne vois-tu pas qu’un tireur infaillible

A déjà armé d’une flèche l’arc du temps ?

Mieux vaut ton nid qu’une maison d’égaré

Couverte de dorures et d’enjolivements

Trad. de l’arabe par Sami Ali (Chants de la nuit extrême, Ed. Verticales, 1998.)

* Le traducteur a organisé l’ouvrage en donnant aux poèmes des numéros (1-110).

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