Tunisie – Augmentation du taux directeur de la BCT : un remède pire que le mal ?

La dernière augmentation du taux directeur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), après plusieurs autres augmentations depuis 2016 qui ont toutes échoué à juguler l’inflation puisqu’elle n’a cessé d’augmenter et a même atteint +7,5% au mois d’avril 2022 en variations annuelles, interpelle et même déroute tout économiste digne de ce nom.

Par Dr. Sadok Zerelli *

Le fait que les médias écrits et audiovisuels ont accordé beaucoup plus d’articles et de commentaires à ce charlatan de Belgacem qui violait les femmes sous prétexte de les guérir, qu’à une décision de la BCT qui aggrave l’endettement des ménages et des entreprises et ne fera qu’enfoncer davantage l’économie du pays dans la «stagflation» (stagnation économique + forte inflation) est affligeant en soi et ne présage rien de bon pour l’avenir de ce pays, vu la médiocrité des débats publics.

Certes, on ne peut reprocher l’indifférence du Tunisien moyen qui pense avant tout à arrondir ses fins de mois, ni au président de la république qui «vient d’une autre planète», selon ses propres mots et qui, juriste de formation, ne pense qu’à «sa» constitution et à «son» referendum, comme si le peuple qui aurait faim pourrait manger la constitution, ni même à la cheffe du gouvernement qui, géologue de formation, ne peut pas maîtriser les relations complexes qui lient le taux directeur d’une banque centrale au taux d’inflation d’un pays, relations que certains de nos imminents «professeurs d’économie» ne maîtrisent pas, à en juger par l’absence de réaction de leur part pour approuver ou désapprouver une telle décision.

L’analyse qui suit se veut une analyse technique avec une dimension pédagogique pour expliquer au grand public les raisons plus ou moins fondées d’une telle décision, loin de toute considération de politique politicienne, car régime démocratique ou dictatorial , nouvelle république ou pas, dialogue national ou pas , succès ou échec du référendum…, les mécanismes économiques sont impitoyables et nous subirons tous demain les conséquences des décisions prises par nos responsables d’aujourd’hui.

Le point de départ de cette analyse est la définition du concept même d’inflation et comment la mesurer.

Il s’agit de l’évolution d’une période à une autre du prix TTC d’une même quantité de biens et services au niveau des prix de détail (il existe un autre indice d’inflation au niveau des prix de gros). Celle-ci peut être mesurée par deux indices, l’un rendant mieux compte de la réalité de l’inflation globale que l’autre:

(i) l’Indice des prix à la consommation (IPC): il s’agit de l’ indice que le grand public connaît et qui reflète l’accroissement des prix des seuls biens et services de consommation courante que l’INS publie mensuellement sur la base du «panier de la ménagère» regroupant un certain nombre de biens et services consommés par un ménage tunisien moyen, pondérés par des poids qui reflètent l’importance relative de ces biens et services dans la consommation globale. Cet indice, qui reflète le mieux l’évolution du pouvoir d’achat des ménages et sert entre autres pour les négociations salariales, ne rend pas en compte de toute l’inflation enregistrée dans une économie puisqu’il ne prend pas en compte l’évolution des prix des biens et services utilisés par les producteurs (engrais, aliments pour bétail, courant électrique de haute ou moyenne tension, etc.)

(ii) l’Indice du déflateur du PIB (IDF): il est calculé par les économistes en divisant le PIB à prix courants par le PIB à prix constants d’un même année. Il constitue de loin le meilleur indice de mesure de l’inflation globale dans une économie puisqu’il prend en compte l’évolution de tous les biens et services consommés ou produits ou échangés dans une économie. Il est toujours supérieur de plusieurs points à l’indice de l’inflation mesurée par l’IPC parce qu’il prend en compte davantage de produits et de services.

D’autre part, tout maîtrisard en sciences économiques sait qu’il existe trois sources ou types d’inflation, dont les effets se conjuguent et s’additionnent pour aboutir à l’inflation globale.

Le premier type ou source d’inflation, est «l’inflation importée» : elle se produit lorsque nos importations coûtent de plus en plus cher, soit parce que les pays partenaires de notre commerce extérieur connaissent eux mêmes des taux d’inflation élevés (comme c’est le cas depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie), soit en raison de la dépréciation du dinar, soit à cause de la combinaison des deux facteurs. Cette source d’inflation est de loin la plus importante pour la Tunisie en raison du grand degré d’ouverture de l’économie tunisienne où le commerce extérieur représente près de 80% du PIB, de la dépréciation continue du dinar particulièrement vis-à-vis du dollar, principale monnaie de paiement des importations et de la dette extérieure, et de nos déficits structurels et énormes de production d’ énergie et de céréales. Il est clair que la décision de la BCT d’augmenter encore son taux directeur n’aura aucun effet sur cette source principale d’inflation.

Le deuxième type d’inflation est «l’inflation par l’offre»: elle se produit lorsque les producteurs répercutent sur leurs prix de vente l’accroissement des coûts des matières premières et des salaires qu’ils subissent, y compris le coût de financement de leurs activités. La décision de la BCT d’augmenter son taux directeur qui se traduira par une augmentation automatique du TMM et donc des taux d’intérêts débiteurs appliqués par les banques aux entreprises et aux ménages, non seulement ne permettra pas de lutter contre cette source d’inflation mais viendra même la renforcer.

Le troisième type d’inflation est «l’inflation par la demande»: c’est l’inflation générée sur un marché lorsque la demande dépasse l’offre et que celle-ci est inélastique pour des raisons de limitation des capacités de production intérieures ou d’importation. En augmentant son taux directeur en vue de rendre les crédits à la consommation plus chers, c’est ce type d’inflation que la BCT semble cibler. Il est permis douter de l’efficacité d’une telle mesure pour au moins deux raisons, l’une d’ordre sociologique et l’autre d’ordre théorique.

i. Pour réussir, une telle politique suppose que la demande des biens et services de consommation est élastique aux prix, c’est-à-dire qu’elle diminue lorsque les prix augmentent, ce qui ne se vérifie pas toujours en Tunisie, pour des raisons sociologiques et même religieuses (Ramadan, Aid, Mouled, etc. durant lesquels la consommation s’accroît malgré l’accroissement vertigineux des prix).

ii. L’équation quantitative de la monnaie de Milton Friedman (appelle aussi équation de Cambridge) qui constitue le socle théorique de cette décision et qui relie la masse monétaire en circulation au niveau général des prix ne fonctionne que si la vitesse de circulation de la monnaie est constante à court terme (nombre de fois durant une période donnée où un même dinar est utilisé comme moyen de paiement d’une transaction).

Or, avec une économie informelle ou sous-terraine que certaines sources estiment à 54% du PIB le développement de la contrebande et des circuits de paiement parallèles au système bancaire, il est permis de douter de la validité de cette hypothèse en Tunisie, de sorte que l’effet de la baisse de la masse monétaire engendrée par la politique monétaire restrictive de la BCT et l’accroissement de son taux directeur se trouve annulé par un accroissement de la vitesse de circulation de la monnaie.

En tout cas, c’est la seule explication plausible, du moins sur le plan théorique, de l’échec des multiples décisions d’augmentation du taux de taux de base et de la politique monétariste appliquée par la BCT. Par contre, ce qui est certain, c’est que cet accroissement du taux directeur de la BCT qui est «aveugle» et impactera aussi bien le coût des crédits accordés aussi bien aux ménages qu’aux entreprises, aura un «effet d’éviction» des investissements dévastateur et qui viendra aggraver la récession économique et le chômage sans pour autant réussir à juguler l’inflation. D’où le titre de cet article : un remède pire que le mal.

Compte tenu de cette analyse, la question qui se pose d’elle-même est la suivante : pourquoi la BCT continue à augmenter son taux directeur, depuis le promulgation de la loi de 2016 lui accordant une totale autonomie de gestion et de décision, malgré l’échec de cette politique pour les raisons sociologiques et théoriques expliquées plus ?

La réponse à cette question n’est pas évidente parce que la décision de la BCT est très opaque, n’a fait l’objet que d’un communiqué de quelques lignes qui n’est accompagné par aucune explication ou justification et n’a pas été précédée par une étude d’impact des décisions précédentes.

Cependant, le suivi dans les médias des rares déclarations et interviews que le gouverneur de la BCT a bien voulu accorder fait apparaître trois explications ou arguments qui justifient à ses yeux une telle décision : un argument d’orthodoxie financière, un argument de prophétie en matière d’inflation future et un argument qui relève de l’indépendance de décision de la BCT.

Le premier argument que le gouverneur avance pour justifier chaque décision d’augmentation du taux directeur depuis 2016 est que «le taux d’intérêt réel doit être positif».

Cet argument, qui repose sur les enseignements néoclassiques d’équilibre général , n’est recevable que dans les limites où les hypothèses qui se trouvent à la base de cette théorie se vérifient dans le contexte tunisien, en particulier l’existence d’une concurrence pure et parfaite sur tous les marchés de biens et de services, l’atomicité des producteurs, l’absence de monopoles ou d’oligopoles ou de monopsones, la rationalité du comportement des consommateurs, etc.

Or nous connaissons tous l’opacité des circuits de distribution en Tunisie et les situations de rentes monopolistiques dont bénéficient une trentaine de grandes familles qui contrôlent des secteurs entiers de l’économie nationale, l’importance de l’économie informelle, etc.

D’ailleurs, certains pays comme le Maroc où le taux directeur (1,5%) est quatre fois inferieur à celui de la Tunisie (7% après la dernière augmentation) et trois fois moins élevé que celui de l’inflation (5,5%) se sont affranchis depuis longtemps de ce dogme néoclassique, puisque le taux d’intérêt réel y est largement négatif (-4,5%) et son économie ne s’en porte que mieux, au vu du grand nombre d’investisseurs qui y accourent du monde entier pour y investir.

Même l’Angleterre, pays berceau de la théorie néo-classique, et les Etats-Unis, pays berceau de la théorie quantitative de la monnaie, où les taux directeurs sont dans une fourchette de 0% à 1,5% alors que les taux d’inflation ont même atteint 9% au mois d’avril dernier en Grande-Bretagne, ont des taux d’intérêts réels largement négatifs, ce qui ne les empêche pas de réaliser une croissance économique soutenue et d’atteindre pratiquement le plein emploi (le taux de chômage actuel aux Etats-Unis est de l’ordre de 3,5%). La Tunisie peut-elle faire preuve d’une plus grande orthodoxie financière que les pays qui l’ont préconisée mais qui l’ont abandonnée depuis? C’est une bonne question à poser à M. Abassi.

S’il y a un taux d’intérêt réel qui doit être bien positif, ce n’est certainement pas le taux directeur de la BCT, mais bien le taux de rémunération de l’épargne qui, malgré l’augmentation de 1% le portant à 6% demeure négatif (-1,5%) et n’encourage pas l’épargne nationale qui n’a jamais été aussi faible (13% du revenu national contre 24% en 2010). La BCT aurait été mieux avisée d’instaurer un taux réel de rémunération de l’épargne positif qui aurait trois effets bénéfiques pour l’économie nationale : une réduction volontaire de la consommation et donc des pressions inflationnistes par la demande, un accroissement de la capacité de financement des investissements et une réduction du recours de l’Etat aux emprunts extérieurs pour financer son déficit budgétaire, alors qu’avec sa politique de taux directeur réel positif, elle produit exactement les effets inverses : réduction des investissements par effet d’éviction, une alimentation de l’inflation par report des coûts de financement supplémentaires que les entreprises supportent et accroissement du coût d’émission des bons du trésor (BAC) pour le financement du déficit budgétaire de l’Etat. De sorte qu’il n’est pas faux d’affirmer que les seuls gagnants de la politique monétaire menée par la BCT sont les banques qui n’ont jamais gagné autant de bénéfices de leur histoire et les perdants sont tous les opérateurs économiques, Etat inclus.

Le deuxième argument que le gouverneur avance à chaque fois pour justifier une décision d’augmentation du taux directeur de la BCT est textuellement : «sans cette augmentation, le taux d’inflation en Tunisie serait à deux chiffres» !. Il s’agit là d’un argument qui ne repose sur aucune étude ou modèle de prévision et destiné à faire peur aux responsables politiques et faire avaler la pilule aux ménages et aux entreprises qui vont supporter les conséquences de ces décisions.

Face à un avenir incertain, personne ne peut être prophète dans son pays et prédire de quoi serait fait l’avenir. Qui pouvait prédire il y a trois ou quatre ans la survenue de la pandémie du Covid-19 qui a bouleversé les économies du monde entier et qui pouvait prédire il y a seulement six mois l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui va les bouleverser davantage et probablement pour une plus grande période?

Malheureusement, il est à craindre que l’inflation en Tunisie sera effectivement à deux chiffres dans les quelques mois sinon les années à venir, ne serait-ce qu’à cause de l’impact de la guerre en Ukraine sur les cours mondiaux des matières premières en particulier l’énergie et les céréales, et ceci que la BCT augmente ou diminue son taux directeur. La seule différence est que si la BCT continue à augmenter son taux directeur comme elle vient de le faire, cela favorisera la « stagflation », c’est-à-dire la récession économique et le chômage accompagnés par l’inflation, la pire situation dans laquelle une économie peut se retrouver et pour laquelle les économistes n’ont aucun remède, alors que si elle baisse son taux directeur d’une façon considérable et de plusieurs points comme elle devrait le faire, cela favorisera la croissance économique et la création d’emplois permettra à la population de mieux supporter les effets de l’inflation, comme c’est le cas dans les pays européens et les Etats-Unis.

Le troisième argument avancé par le gouverneur est l’indépendance de décision de la BCT. Selon lui, la loi de 2016 qui a accordé une autonomie totale de gestion et décision à la BCT lui a fixé aussi comme mission n°1 la lutte contre l’inflation. Il s’agit là manifestement d’une mauvaise formulation des termes de cette loi par des parlementaires inexpérimentés et ignorants des mécanismes de financement d’une économie.

En effet, dans tous les pays du monde, la mission n°1 d’un institut d’émission est de financer l’économie nationale en mettant à la disposition des opérateurs économiques (consommateurs, producteurs, investisseurs, exportateurs et importateurs , y compris l’Etat) suffisamment de liquidités sous forme fiduciaire (billets de banque) ou scripturale (écritures sur les comptes bancaires) pour leur permettre de créer de la richesse et résorber le chômage. Pour cela, la Banque centrale intervient tous les jours sur le marché monétaire pour refinancer les banques en leur rachetant leurs titres de créance publics ou privés qu’elles détiennent, ce qui se traduit par une injection monétaire et un accroissement de la masse monétaire, ou pour éponger l’excès de liquidités dans l’économie en leur vendant des titres souvent publics (bons du trésor) si elle juge qu’il y a trop de liquidités en circulation.

La mission n°2 d’une banque centrale est de contrôler l’activité de banques et veiller à ce qu’elles respectent strictement un certain nombre de ratios de réserve obligatoire ou prudentiels, pour que le système bancaire ne tombe pas en faillite, et d’encadrement et orientation des crédits bancaires vers les secteurs et les projets qui en ont le plus besoin et qui assurent la plus grande croissance économique.

La mission de lutte contre l’inflation ne vient qu’en troisième lieu et n’est d’ailleurs pas exclusive à la BCT, car elle concerne tous les départements ministériels, chacun dans son secteur, en particulier le ministère du Commerce qui a une responsabilité particulière en termes d’assainissement des circuits de distribution et de lutte contre la spéculation, premières sources et causes de l’inflation en Tunisie.

Une autre ambiguïté sinon mauvaise formulation de la loi de 2016 est le degré d’autonomie de décision qu’elle accorde à la BCT. Dans une déclaration le 18 mai à Radio Mosaïque, l’expert en économie, Aram Belhadj, affirme que le gouvernement n’a pas été consulté par la BCT avant de prendre une telle décision et que s’il l’avait été, il ne l’aurait pas approuvée. Si ces déclarations se vérifient, cela voudrait dire que la BCT est devenue un «Etat dans l’Etat» alors qu’elle est tenue de coordonner toutes ses décisions avec les autres départements ministériels concernés et soutenir par sa politique monétaire la politique générale et sectorielle de développement décidée par le gouvernement, seul responsable de la politique économique dans un pays.

Compte tenu des termes dans lesquels cette loi de 2016 a été rédigée, de la lecture qu’en font le gouverneur et le conseil d’administration qui l’entoure et de la politique monétaire qu’ils appliquent depuis sa promulgation, on peut affirmer sans risque de se tromper que le seul bilan tangible de cette politique est l’enrichissement vertigineux des banques aussi bien publiques que privées qui n’ont jamais autant de bénéfices dans leur histoire (plusieurs centaines de millions de dinars chacune) et distribué davantage de dividendes à leur actionnaires, alors que plusieurs sources estiment à 120 000 le nombre de PME qui ont dû faire faillite par manque de trésorerie et de soutien du système bancaire pour faire face à l’impact de la pandémie du Covid-19.

Quant au maintien relatif de la parité du dinar que la BCT s’en attribue le mérite (et encore, le dinar a fortement glissé par rapport au dollar ce dernier temps), elle n’y est pour rien puisque c’est une résultante directe de la baisse des importations en raison de la baisse de l’activité économique et de l’accroissement des flux invisibles, essentiellement les transferts effectués par nos immigrés à leurs familles restées en Tunisie.

La conclusion qui s’impose au bout de cette analyse objective, basée autant sur les enseignements de la théorie économique que sur le suivi continu de l’actualité en Tunisie, est que le la loi de 2016 devrait être abrogée au plus tôt sinon revue profondément dans ses termes et son esprit afin de mettre la BCT au service de l’économie nationale et non pas du grand capital et assurer une gestion plus efficiente des rares ressources financières dont dispose le pays, surtout dans un contexte international qui s’annonce de plus en plus sombre.

Afin d’atteindre cet objectif et ne pas tomber dans le tort de beaucoup d’experts à qui l’opinion publique reproche, à juste titre, de se contenter de critiquer (ce qui et trop facile lorsqu’on est pas aux postes de responsabilité) sans apporter de solutions concrètes, je proposerais les quatre mesures de politique monétaire suivantes:

a. Augmenter de plusieurs points le taux de rémunération de l’épargne pour rendre le taux réel positif par rapport au taux de l’inflation et remédier ainsi à un des plus grands maux dont souffre l’économie du pays : l’insuffisance de l’épargne nationale, qui engendre une insuffisance des investissements et de création d’emplois et un plus grand recours à l’endettement extérieur qui, avec la baisse de la notation souveraine de la Tunisie, devient de plus en plus cher voire impossible, surtout si le FMI refusera en fin de compte d’accorder un prêt à la Tunisie.

b. Abandonner le principe pseudo-scientifique de taux d’intérêt réel positif que même les pays anglo-saxons qui sont passés maîtres dans l’art de juguler l’inflation ont abandonné depuis longtemps et réduire de plusieurs points le taux directeur de la BCT afin d’encourager les investissements, la création d’emplois et la reprise économique, priorité des priorités.

c. Baser la politique de contrôle de la masse monétaire en circulation et de lutte contre les pressions inflationnistes sur le recours intensif à la technique d’open market qui se traduit par des interventions quotidiennes de la BCT sur le marché monétaire en vue de vendre ou acheter aux banques des titres de créance publics ou privés, selon qu’elle juge qu’il y a respectivement trop de liquidités dans l’économie ou inversement pas assez;

d. Utiliser le pouvoir discrétionnaire que la loi de 2016 accorde à la BCT pour appliquer une politique d’encadrement du crédit stricte et intelligente basée sur la technique de la péréquation des taux d’intérêts, c’est-à-dire appliquer des taux d’intérêt différenciés selon l’objet du crédit, le profil socio-économique du demandeur et même sa région. Par exemple, on peut facilement imaginer que l’agriculteur qui demande un crédit pour acheter des semences ou un tracteur paiera TMM – 3 points, alors que celui qui demande un crédit pour acheter une deuxième voiture ou construire une résidence secondaire paiera TMM + 8 points, dont 3 points sont destinés à compenser la manque à gagner des banques sur le crédit accordé à l’agriculteur. De même l’investisseur qui veut réaliser un projet dans l’une des régions pauvres du pays, telles que le nord-est ou le sud paiera par exemple TMM -2 points alors que celui qui veut réaliser un projet dans les régions déjà relativement développées et congestionnées comme Tunis ou Sousse paiera paiera TMM + 4 points, dont 2 points sont justement destinés à compenser le manque à gagner des banques sur les crédits accordés en faveur des projets réalisés dans les régions pauvres, etc. Ainsi, la BCT pourrait orienter le comportement des agents économiques vers les secteurs , les opérateurs économiques et les régions qui en ont le plus besoin et que le gouvernement juge comme prioritaires.

Une autre conclusion possible à cette analyse serait la lettre ouverte ci-dessous que j’adresse, non pas au président de la république, qui vit dans sa bulle et ne pense qu’à son projet politique, mais à la cheffe du gouvernement qui est la première responsable de la politique économique du pays:

Mme Bouden,

Vous ne pouvez être à la fois une imminente professeure de géologie et une experte en économie et personne, moi en premier lieu, ne peut vous reprocher de ne pas maîtriser les tenants et aboutissants d’une décision aussi technique que celle de l’impact d’une augmentation du taux directeur de la BCT sur l’inflation et la récession économique. Cependant, au lieu de vous entourer de trois ou quatre conseillers ou chargés de mission pour vous éclairer sur le bien-fondé d’une telle décision et d’autres problématiques économiques, créez à votre niveau un véritable think tank regroupant les meilleures compétences du pays (il y en a, croyez moi, et je ne parle pas de ma modeste personne) pour procéder à des réflexions et des analyses avec des approches scientifiques. Redonnez vie à l’Institut d’économie quantitative Ali Bachhamba, où il y avait dans le temps quelques économistes de talent qui construisaient des modèles économétriques et procédaient à des analyses économiques d’un niveau international. Recréez un véritable ministère de planification pour élaborer des stratégies et des plans de développement à moyen et très long terme pour les réaliser. Redonnez vie même ce vieux Conseil économique et social qui donnait certes des avis consultatifs mais qui éclairait bien les gouvernements du temps de Bourguiba et Ben Ali.

Il est honteux pour un pays qui regorge de cadres supérieurs, dont un grand nombre sont en chômage, de n’ avoir aucun document stratégique qui donne une vision à long terme et la voie à suivre pour relever les défis dans tous les secteurs: économie, santé, enseignement, protection de l’environnement, etc.

A force de naviguer à vue, le bateau «Tunisie» a pris de l’eau et il va couler plus vite que nous le pensons, ne laissant d’autres choix à nos enfants et petits enfants que d’émigrer, avec ou sans visas, ce qu’ils ne nous pardonneront jamais.

* Economiste consultant international.

Articles du même auteur dans Kapitalis :

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.