La Tunisie dans la tourmente, malmenée par ses dirigeants politiques

Ni Kaïs Saïed, qui tire des plans sur la comète, ni Abir Moussi, qui guerroie contre des moulins à vent, ni les forces dites démocrates et progressistes, qui n’ont rien d’autre à offrir que leurs interminables lamentations et divisions, ni encore les gauchistes de toujours, n’ont compris que les Tunisiens ont besoin aujourd’hui de solutions à leurs problèmes quotidiens de santé, d’éducation, de transport, d’eau, d’électricité et de pouvoir d’achat. Et que c’est sur ce registre qu’ils ont le plus de chance d’intéresser les deux-tiers des citoyens qui boudent les urnes.

Par Mounir Chebil *

Le 8 mai 2022, les partisans de Kaïs Saïed ont tenu un meeting devant le théâtre municipal de Tunis. C’était un millier d’enragés qui demandaient qu’on dresse les guillotines à tous les coins de rues, pour instaurer la république vertueuse de leur messie. Dans ce meeting, on aurait cru entendre le discours de Robespierre du 5 février 1794 où il clamait : «Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur; la vertu, sans laquelle la terreur est funeste; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible; elle est donc une émanation de la vertu» Danton, grande figure de la révolution française fut conduit à l’échafaud pour avoir pris position pour l’indulgence.

Les enragés de la révolution

En octobre 1793, Saint-Just, l’un des membres les plus déterminés du Comité de Salut Public, déclarait : «Vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes : vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle…» Dans notre contexte national, cela peut se traduire par la politique de Kaïs Saïed que l’on peut traduire ainsi : «Pas de dialogue, pas de concertation et pas de compromis avec ceux qui n’adhèrent pas, d’une manière inconditionnelle, au culte du chef suprême», et par le climat de chasse aux sorcières et d’inquisition qui s’est déjà installé dans le pays.

De là à penser que les enragés parmi les partisans de M. Saïed contitueront bientôt les brigades de la vertu révolutionnaire qui quadrilleront les villes à l’instar des gardiens de la révolution iraniens, il y a un pas que certains sont tentés de franchir, tant la menace semble réelle. Déjà, ils s’organisent en «tansiquiat», coordinations, sortes de communes (françaises) ou de soviets (russes), pour s’arroger le droit de spolier les biens des ennemis du peuple au prétexte de lutte contre la corruption. Après le chaos, l’apocalypse s’annonce. Un avant goût du racket annoncé nous est donné par le décret présidentiel n° 13 du 20 mars 2022 portant sur la conciliation pénale : vous payez pour ne pas être embastillé !

Les islamistes en embuscade

Le 15 mai 2022, les Frères musulmans du parti Ennahdha et leurs laquais pseudo-démocrates et pseudo- progressistes du mouvement «Citoyens contre le putsch» animé par la marionnette Jawhar Ben Mbarek, et du Front de salut national (FSN) du has been Néjib Chebbi, ainsi que d’autres fantomatiques partis, ont organisé un rassemblement devant le théâtre municipal de Tunis pour dénoncer le coup d’Etat mené par le président Saïed et appeler au retour à ce qu’ils appellent la légalité démocratique. Pauvre théâtre municipal, érigé pour abriter des manifestations culturelles et qui se voit profané par des meutes politichiennes.

Ces islamistes, aidés de leurs laquais habituels, veulent reconquérir le pouvoir et terminer leur œuvre qu’ils n’ont pu accomplir totalement durant la décennie écoulée, qui consiste à détruire l’Etat national et à réduire les Tunisiens à la mendicité. Dix ans de terreur, de désolation et de chaos ne leur a pas suffi.

Les manifestants considèrent les mesures exceptionnelles prises par M. Saïed, le 25 juillet et le 22 septembre 2021, par lesquelles il s’est octroyé les pleins pouvoirs, comme illégitimes, car violant la constitution de 2014. Ils réclament le retour à cette bien douteuse «légalité», contre laquelle une écrasante majorité de citoyens s’étaient élevés il y a exactement onze mois. Ils aspirent la réouverture du parlement fermé par décision présidentielle. Cela leur permettrait juridiquement d’annuler tous les décrets du président, y compris celui par lequel il a gelé la constitution, réorganisé le Conseil supérieur de la magistrature ainsi que l’Instance pour les élections… Mais surtout ils ambitionnent de faire destituer le président de la république, ce qui ouvrirait la porte du palais de Carthage à leur gourou, Rached Ghannouchi, rétabli dans sa fonction de président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Il faut dire qu’en manœuvrant en catimini pour nous imposer son système politique, M. Saïed leur a donné l’opportunité de renaître de leurs cendres.

La nouveauté dans cette manifestation Frères musulmans, c’est qu’il y a des pancartes écrites en anglais portées par des sous-fifres qui ne savent même pas lire en arabe. Cela me rappelle le pull d’un fidèle ignare à la prière du vendredi, sur lequel est imprimé en gros caractères, «I am a sex machine». En fait, ces pancartes sont un appel au secours destiné aux pays occidentaux qui ont aidé à réimplanter les islamistes en Tunisie après 2011, pour mieux les manipuler.

Les combats inutiles des destouriens

En ce même jour du dimanche 15 mai, Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), a manifesté avec ses partisans devant le repaire de l’organisation de Youssef Qaradawi, l’idéologue du terrorisme islamiste choyé par le Qatar et patron de Ghannouchi. Or, la Tunisie peut être mise à feu et à sang, mais M. Saïed ne fermera pas cette tanière sordide.

Cela me renvoie aux premières apparitions publiques de Mme Moussi, entre 2017 et 2018, devant le siège de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) présidée par Sihem Bensedrine. La dirigeante destourienne n’a pas compris que sa campagne contre le parti Ennahdha, ses acolytes et ses satellites, est arrivée à saturation. Cet axe de lutte séduit principalement les catégories sociales instruites et plus ou moins aisées déjà conscientes du danger représenté par les islamistes ou prédisposées à cautionner le discours anti-intégriste. Mais pas les couches populaires que cible Kaïs Saïed par son «islamisme light».

Mme Moussi, qui est la personnalité politique la plus populaire après Saïed, continue d’ignorer la classe laborieuse et les catégories sociales démunies. A part des slogans anti-islamistes pompeux mais éculés, elle n’a pas vraiment présenté de programme de redressement national. En tout cas, s’il existe, elle n’en parle pas.

Elle peut donc caqueter du matin au soir devant l’antre de Qaradawi à Tunis, cela n’augmentera pas sa base électorale. La masse des Tunisiens qui ne vote pas et qu’il s’agit de cibler a besoin de quelqu’un qui a un programme pour sa santé, son éducation, son pouvoir d’achat. Manifester contre les «khouanjia» et Qaradawi ne nourrit pas le peuple et devient, avec le temps, une rengaine qui ennuie tout le monde et n’énerve même pas les islamistes, qui se sont habitués à cette musique de fond.

La gauche passe à la trappe

La gauche radicale, jadis représentée par le défunt Front populaire, a, pour sa part, longtemps utilisé l’assassinat de Chokri Belaïd comme fonds de commerce politique. Mais ce fonds n’a pas résisté longtemps. C’est sur le terrain économique, social et culturel que l’on peut battre les intégristes. Et il va falloir que tout le monde le comprenne enfin et revoit sa stratégie en conséquence.

Par ailleurs, il faut se mettre à l’évidence, que le système politique préconisé par Kaïs Saïed va réduire à néant le rôle des partis sur la scène politique et dans toutes les instances électives. Et c’est contre le système de la démocratie participative de ce dernier et l’anarchie qu’il va engendrer, que la mobilisation doit être organisée.

* Haut fonctionnaire à la retraite.

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