«L’Arnaque» : les idiots sont les crédules

Dans la finance moderne la meilleure définition de la fraude soit d’inspirer une confiance que l’on sait d’emblée injustifiée dans la situation financière d’un acteur économique, ce qui est en général souvent difficile à mettre en évidence dans le champ judiciaire.

Par Dr Mounir Hanablia *

Qu’est ce que la fraude dans le champ financier ? L’auteur, qui est magistrat, s’interroge. Les définitions juridiques en sont simples, du faux en écriture à l’abus de biens sociaux en passant par le délit d’initié, dont l’intention est l’appropriation de revenus d’une manière indue sans contrepartie.

Dans la finance moderne le problème devient plus complexe lorsque l’intervention de différents acteurs en général dans un contexte de spéculation, opérant chacun dans son champ d’une manière souvent légale, aboutit grâce à des techniques financières sophistiquées à l’évaporation de fonds importants et à la ruine massive de segments entiers de la population.

Une économie de la spéculation

Cela s’était passé ainsi en 1996 avec la crise des Save and Loan américains. Cela s’est reproduit en 2008 après l’invention de ce qu’on appelé les produits dérivés, ces instruments financiers (CDO, CDS) dont la valeur dépend de celles des créances titrisées qu’ils contiennent, dont le risque à les acquérir est apparu nettement plus important que la confiance qu’ils inspirent. Il s’est avéré à un certain niveau de la chaîne des acteurs financiers que les créances, celles des Save and Loan, les caisses de retraite américaines, ne seraient pas honorées, et les banques qui avaient investi massivement pour en acquérir ont déposé leur bilan, et sans l’intervention massive du gouvernement américain, auraient pour la plupart cessé leurs activités.

Le problème est donc structurel, c’est l’apparition dans le marché boursier d’une économie de la spéculation intéressant des sommes énormes (30.000 milliards de dollars en 2011) à côté de laquelle l’économie réelle ne représente qu’une part infime.

Avec le développement parallèle de l’informatique et des techniques de communication (Program Trading), les moyens d’investir en bourse sont devenus infinis, ainsi que les sommes (virtuelles) pour le faire.

Abuser de la confiance des investisseurs

Il apparaît qu’entre la spéculation, qui est le risque financier pris sur l’évolution attendue d’une valeur, et la fraude, qui est la volonté de s’enrichir à moindre risque en inspirant une confiance qui n’est pas justifiable, la différence ne soit qu’une affaire de nuances.

Le cas Enron demeure évidemment une caricature dans la fraude boursière des techniques employées par une grande compagnie pour abuser de la confiance des investisseurs et des acteurs du marché dans sa situation financière réelle, avec la complicité des politiques, des organismes de notation, de surveillance, des évaluateurs, et naturellement des cabinets d’expertise comptable.

Il semble donc que dans la finance moderne la meilleure définition de la fraude soit d’inspirer une confiance que l’on sait d’emblée injustifiée dans la situation financière d’un acteur économique, ce qui est en général souvent difficile à mettre en évidence dans le champ judiciaire.

Les limites entre la légalité et l’escroquerie

Pourtant, en mettant de côté le cas du hors bilan, lorsqu’on accepte dans une institution économique comme légal le fait de considérer en tant qu’actifs dans le bilan financier des créances dont il n’existe aucune garantie à les voir honorer, et dont le risque d’insolvabilité est assumé par les actionnaires, grâce à ce que l’on nomme le provisionnement des créances, on ne peut que se poser des questions sur le caractère ténu des limites entre la légalité et l’escroquerie, particulièrement lorsque dans une assemblée générale le conseil d’administration veut convaincre de la solidité d’une situation financière que, objectivement, l’accroissement et l’importance des créances impayées ne justifie pas.

* Médecin de libre pratique.

«L’arnaque: La finance au-dessus des lois et des règles», de Jean de Maillard, éd. Gallimard, 402 pages, septembre 2011.

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