Politics as usual! Depuis le 25 juillet 2021, depuis que le président Kais Saied (KS) a monopolisé tous les pouvoirs, le dinar s’est déprécié face au dollar américain, de presque 21%, en 12 mois. Sur l’autel du pouvoir, le dinar est malmené, flagellé, sacrifié… Décryptage!
Par Moktar Lamari *
La nouvelle constitution proposée par KS ne change rien pour le dinar, elle entérine les choix monétaristes, voulant imposer à la Tunisie un dinar faible, flexible à volonté et en glissement continu.
Le projet de la nouvelle constitution confirme l’indifférence des élites politiques au sommet de l’Etat face à la déchéance du dinar. KS fait comme ses prédécesseurs, ceux qui ont gouverné depuis 2011, ceux qui ont mené le dinar à sa perte.
Entre 2012 et 2020, le dinar a perdu 50% de sa valeur face au dollar. Créé le 18 octobre 1958, comme monnaie nationale, en remplacement du franc français, le dinar, n’a plus la cote chez tous ces décideurs et politiciens de l’après 2011, toutes tendances et idéologies confondues.
On le laisse s’effondrer, pour faire plaisir aux lobbyistes et bailleurs de fonds… Objectif : se maintenir au pouvoir!
Le dinar va mal et très mal! Et si rien ne change dans les fondamentaux économiques et monétaires de la gouvernance et si les attitudes des politiciens continuent comme elles sont aujourd’hui, d’ici 2025 (voire dans 3 ans), le dinar ne vaudra plus que 20 cents américains (1$=5 dinars), comme le prévoient plusieurs agences américaines. C’est terrible, comme trajectoire, comme anticipation.
Politique d’un dinar faible
A l’évidence, KS s’inscrit dans la même mouvance qui prône un dinar faible. Une mouvance qui instrumentalise le dinar et l’utilise comme variable d’ajustement entre trois enjeux macro-économiques cruciaux : une stagflation qui perdure, un déficit public hors de contrôle et une dette toxique et insoutenable.
Dans son projet de nouvelle constitution, KS définit la Tunisie au regard de l’islam, la langue arabe, du drapeau, du régime républicain et même de l’hymne national, «Houmat Al-Hima»! Mais la nouvelle constitution ne pipe pas un seul mot au sujet du dinar, comme monnaie nationale, comme devise, comme monnaie d’échange, comme unité de compte et comme réserve de valeur pour l’économie et pour les richesses des citoyens tunisiens. Il faut le faire…
Pourtant, le dinar rythme la vie de tous les jours des Tunisien(ne)s et il conditionne leur pouvoir d’achat et leur capacité à consommer et à survivre…
Dit autrement, et selon le projet de constitution proposé au référendum du 25 juillet, dans une dizaine de jour, par KS, la Tunisie ne peut pas changer ou altérer l’hymne national, mais elle peut changer à gré de monnaie ou la valeur de celle-ci. Le projet de la nouvelle constitution occulte la devise nationale dans les choix constitutionnels et stratégiques du pays. KS et les co-rédacteurs de ce projet de constitution savent ce qu’ils font, et ils doivent l’assumer pour l’histoire et devant les citoyens.
C’est gravissime, la constitution de KS entérine implicitement une politique monétaire qui prône un dinar à la merci du cartel des banques, un dinar manipulé derrière des portes closes par la Banque centrale (BCT).
Cette constitution dépouille le dinar de toute symbolique patriotique et mobilisatrice pour la création de la richesse, par le travail, par l’investissement et par l’épargne.
La nouvelle constitution regarde ailleurs, évacuant l’économique de ses articles et ne voulant rien faire pour inverser la tendance baissière du dinar et la paupérisation que génèrent ces interminables vagues de dévaluation de la monnaie nationale.
Descente aux enfers du dinar
Le dinar valait exactement 3,2 dollars américains en 1959, et désormais, il faut 3,2 dinars pour obtenir un dollar. Ironie de l’histoire…
Une débâcle et une tendance baissière qui ruinent l’investissement, qui tirent vers le bas la création de l’emploi et qui vampirisent le pouvoir d’achat. Avec toujours une inflation indomptable et une dette toxique, devenue insoutenable.
Les textes constitutionnels proposés et les discours populistes tenus par le président KS ne parlent pas de dinar, et ne font rien pour contrer ces politiques monétaristes imposées à la Tunisie.
C’est inquiétant: la nouvelle constitution évite de préciser que le dinar est la devise nationale… et pour ce faire, il doit être une monnaie forte, crédible et à la hauteur de la démocratie ambitionnée par le pays, par les ménages et les nouvelles générations.
Au regard de l’économie et du dinar en particulier, la nouvelle constitution du président KS s’inscrit en continuité de celle de 2014, élaborée par une assemblée dominée par l’islam politique. Il n’y a aucune différence, c’est du pareil au même!
De facto, le président Kaïs Saïed, entérine les choix publics dessinés par les islamistes, qui ont taillé sur mesure l’indépendance de la Banque centrale (Loi 2016). Des choix qui enfoncent le dinar dans une trajectoire tirée par deux principes fondamentaux:
1- On ne touche pas au cartel des banques et on ne questionne pas leur mainmise sur l’économie, où des pans entiers de l’économie sont détenus par une dizaine de familles qui possèdent ces banques et dominent l’essentiel des secteurs rentables au pays. Un cartel de rentiers et pour qui le dinar n’est qu’une pièce, parmi d’autres, dans leur jeu de cartes.
2- On opte pour une politique monétaire qui utilise le dinar comme variable d’ajustement pour contrer les déficits budgétaires, et pour contrebalancer une politique fiscale génératrice d´une inflation galopante non maîtrisable, fondée sur les déficits budgétaires financés par une dette toxique insoutenable. Faute de réformes économiques et de discipline budgétaire, on dévalue le dinar…
Où est passé le patriotisme économique ?
Kaïs Saïed ferme les yeux sur le sort du dinar et de ses implications latentes et invisibles à l’œil nu. Il ne met pas le dinar sur les rails de la bonne gouvernance et ne se prononce pas au sujet de l’impératif de le protéger contre les dangers de la spéculation et de la dévaluation volontaire, par des opérateurs économiques nationaux ou internationaux.
Cet oubli laisse le champs libre à toutes sortes d’interprétations et ouvre les portes à des risques de revirement qui peuvent, le cas échéant, par exemple, changer la monnaie nationale, faire allégeance à une zone monétaire donnée, ou remplacer carrément la monnaie par une autre monnaie (crypto, digitale, etc.).
Dans la plupart des constitutions, les États définissent leur monnaie et la considèrent comme un vecteur de souveraineté nationale.
Le droit international, public et privé, reconnaît parfaitement la souveraineté monétaire des États et leur compétence exclusive pour définir leur monnaie, définition qui s’impose à toute personne qui choisit d’utiliser ladite monnaie, en vertu du principe dit de la «lex monetae» ou loi monétaire.
Des pays comparables ont précisé dans leur constitution le choix de leur monnaie nationale. Ils ont de facto balisé les compétences monétaires de l’Etat. Cela permet de rassurer les opérateurs économiques, même si on peut comprendre les raisons de la non-convertibilité et les prudences liées.
Certes, la BCT est indépendante de l’Etat tunisien, mais cette institution est devenue tributaire des bailleurs de fonds internationaux, du cartel des banques locales, pour qui les affaires tournent mieux en Tunisie, avec un dinar toujours plus faible, un dinar en chute libre et qui maxime les bénéfices des secteurs exportateurs en réduisant de facto la valeur réelle des coûts de production.
En sacrifiant le dinar, KS trahit ses électeurs et n’honore pas ses promesses électorales, dans tous les domaines ayant trait à l’économie. Les parades, les discours et les visites improvisées en pleine nuit dans les dépôts de spéculateurs ne changent rien à la donne, surtout quand tout le monde sait que le dinar est sans défense et qu’il s’étiole de manière continue… toutes les semaines et tous les mois.
Ce faisant, KS est imputable pour l’histoire, le dinar est en danger, et il fait comme si rien n’était.
On induit en erreur les citoyens en leur promettant des augmentations salariales, ou en leur procurant des subventions, sachant d’avance que le dinar qu’on leur offre s’étiole de jour en jour, pénalisant leur pouvoir d’achat, notamment des plus démunis qui vivent sur l’aide sociale, qui ont des indemnités de retraite fixes ou qui font partie de la classe moyenne.
C’est donner par une main, et prendre de l’autre… C’est l’illusion monétaire en grandeur nature! Et c’est indigne de l’Etat, onze ans après la Révolte du Jasmin.
Le Maroc a fait le choix d’un dirham fort, et il en tire aujourd’hui tous les bienfaits. D’abord en stabilisant le pouvoir d’achat de ses citoyens et ensuite en crédibilisant une politique monétaire articulée, capable d’attirer les investisseurs internationaux et de transiger correctement avec tous les partenaires de l’économie mondiale.
L’économie ne pardonne pas! Elle n’a pas la mémoire courte.
En Tunisie, l’indifférence au pouvoir d’achat et le laisser-faire dans la dépréciation de la valeur de la monnaie nationale ont fini par jeter aux abois bien de personnalités puissantes et dominantes. On peut citer Ahmed Ben Salah, Hedi Nouira, Mohamed Mzali, Habib Bouguiba, Zine El Abidine Ben Ali, Rached Ghannouchi… et la liste n’est pas définitive!
Négliger le dinar c’est dangereux! Ce n’est pas une mince affaire, c’est un enjeu qui interpelle le portefeuille de tous les citoyens. Sa dévaluation constitue une autre façon de réduire les salaires réels de tous travailleurs et ménages liés.
* Universitaire au Canada.
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