Si l’on tient compte des taux de participation au référendum sur la nouvelle constitution enregistrés dans les bureaux de vote à l’étranger au cours du premier jour de vote, vendredi 22 juillet 2022, on peut affirmer sans risquer de se tromper que cette consultation n’intéresse en définitive que son initiateur, le président de la république Kaïs Saïed, et ses partisans. (Illustration : la conférence de presse de l’Isie n’a pas attiré beaucoup de journalistes).
Par Imed Bahri
Mais d’abord, examinons les chiffres en question présentés au cours d’une conférence de presse organisée samedi 23 juillet, à Tunis, par le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), Farouk Bouasker.
Selon Bouasker, le pourcentage de participation au référendum du premier jour dans la circonscription de France 1 était, jusqu’à 19 heures du soir, de 1,9% des électeurs inscrits, contre 1,8% dans celle de France 2.
Les taux de participation étaient encore plus faibles dans la circonscription de l’Italie (1,2%), mais un peu plus élevés dans celles de l’Allemagne (4,5%), des Amériques et reste de l’Europe (3,1%), du Monde arabe et du reste du monde (2,9%).
Non-événement
Même si les taux de participation vont être plus importants le troisième et dernier jour du vote des Tunisiens résidant à l’étranger, comme a tenu à le préciser Bouasker pour justifier les faibles taux enregistrés le premier jour, et même si on multiplie ceux-ci par trois ou quatre, cela ne démentira pas l’impression générale qui se dégage de ce «non-événement» qu’est le référendum sur une nouvelle constitution dont seuls Kais Saied et ses partisans voient l’utilité et l’urgence.
En extrapolant à partir des premières données chiffrées, on peut tabler, dans le meilleur des scénarios, sur un taux de participation de 25% à 30%, et avec un taux d’abstention qui serait très élevé, on aurait de bonnes raisons de s’interroger sur la légitimité même du résultat final de la consultation, d’autant qu’elle porte sur une nouvelle constitution censée s’appliquer à douze millions de citoyens, dont une écrasante majorité ne se serait pas exprimée à son sujet.
En admettant que les opérations de vote se dérouleront sans anicroches, que la commission électorale, dont tous les membres doivent leur nomination au président Saied et à lui seul, s’acquittera de sa mission selon les règles élémentaires de la transparence, de l’éthique et du respect des normes, et que les résultats annoncés seront conformes à la réalité du vote populaire exprimé, ce dont beaucoup d’opposants ont de bonnes raisons de douter, quelle valeur légale et politique attribuer aux résultats d’un référendum au départ très contesté et au final marqué par un fort taux d’abstentionnisme ?
Passage en force
Au-delà des résultats proprement dits, tout le problème résidera dans l’interprétation qui en sera faite par le président de la république, le seul à décider de l’issue à donner au vote et qui, de toute façon, ne semble pas envisager un autre scénario que celui de l’adoption sans coup férir de son projet de constitution ?
Par ailleurs, on pourra être très (ou peu) nombreux à aller voter, mais quel crédit accorder aux résultats finaux lorsqu’une bonne partie de la classe politique a appelé au boycottage et annoncé, par avance, qu’elle ne reconnaissait pas la légalité et la légitimité de l’opération dans son ensemble, parce que ledit référendum a quasiment été imposé par le chef de l’Etat en dehors de tout débat pluriel et contradictoire ?
L’absence d’observateurs dans les bureaux de vote, que l’on peut d’ores et déjà prévoir, en raison des circonstances objectives ayant entouré toute l’opération, n’arrangera guère les choses et on peut même s’attendre à des réactions négatives de la part des organisations internationales, mettant en doute, en s’appuyant sur les rapports des Ong locales, la crédibilité d’une opération politique qui, dès le départ, tenait plus du passage en force que du débat démocratique.
Tout cela, on l’imagine, risque d’aggraver les divisions des Tunisiens et de noircir l’image qu’ils dégagent dans l’opinion publique internationale, celle d’une nation instable politiquement, bloquée économiquement et socialement aux prises avec un désespoir profond que traduit la hausse des flux de migrants illégaux se jetant à la mer pour aller rejoindre l’Europe.
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