Le feuilleton de la guerre contre la spéculation et son corollaire, la hausse des prix, est le plus baveux, le plus redondant et le plus ennuyeux du mandat du président Kaïs Saïed, qui ne parvient pas à venir à bout de ce fléau. Et ce n’est pas là l’unique échec de son mandat…
Par Imed Bahri
Le président de la république a, d’ailleurs, rencontré mardi 30 août 2022, au Palais de Carthage, la ministre du Commerce et du Développement des exportations Fadhila Rabhi, pour lui parler, pour la énième fois, de l’augmentation excessive des prix de plusieurs produits qui serait, selon lui, due à la spéculation.
Evoquant les pénuries de certains produits, dont les prix flambent, le président en a encore une fois attribué l’origine à des opérations orchestrées par des parties (non identifiées ou sans visage) dans le but de déstabiliser la situation dans le pays et appelé à une application ferme de la loi contre les auteurs de ces pratiques qui «s’apparentent à des crimes».
Les vraies causes des hausses des prix
Le problème, qu’on a soulevé à plusieurs reprises sur ces mêmes colonnes, c’est que la hausse des prix a de nombreuses causes, dont la spéculation – si elle existe – n’est pas la principale ni la plus importante. Il existe, en effet, d’autres causes, plus directes et contre lesquelles les services de l’Etat semblent impuissants, notamment la hausses des prix sur le marché mondial, l’inflation galopante, la dégradation de la valeur de la monnaie nationale, en plus des problèmes chroniques que traînent certaines filières agricoles comme l’aviculture, l’élevage bovin ou la filière laitière. Mais de ces problèmes, M. Saïed ne veut pas entendre parler, alors qu’il en est, lui-même, le principal responsable, puisqu’il détient tous les leviers du pouvoir législatif (il gouverne par décrets), exécutif et même judiciaire, et qu’il est censé prendre des mesures pour y faire face.
Grand populiste devant l’Eternel, il préfère agiter la menace d’un complot universel contre sa personne et contre le peuple tunisien qu’il croit incarner… pour justifier tout ce qui ne marche pas dans le pays.
Mais si elle continue de lui valoir une certaine popularité auprès des catégories sociales défavorisées et dénuées de conscience politique, cette dérive complotiste, qu’il a érigée en méthode de gouvernement, ne saurait cacher plus longtemps les ratés de sa gouvernance individuelle, solitaire et fermée à tout dialogue avec les forces vives du pays. Car le bilan de ses (presque) trois ans de pouvoir est là, et il est très maigre.
Saïed continue à attribuer ses échecs aux autres
Tous les clignotants socio-économiques étant au rouge, M. Saïed ne pourra continuer indéfiniment à attribuer ses échecs aux autres, et il devra, un jour ou l’autre, les assumer, ne fut-ce qu’en partie, au regard de ceux qui attendent désespérément les résultats de «sa» guerre contre la corruption, la spéculation et autres fléaux qu’il a du mal à identifier concrètement et à combattre efficacement.
On prendra seulement pour exemple de cette impuissance du pouvoir exécutif incarné par M. Saïed le décret destiné à combattre la spéculation, qu’il a promulgué il y a quelques mois à grand renfort de propagande, et qui est resté depuis lettre morte.
Le problème – et que M. Saïed refuse d’admettre – c’est qu’il ne s’agit pas d’accumuler des lois pour que les problèmes disparaissent comme par enchantement. Celles qui existent déjà, si elles étaient efficacement appliquées, suffiraient largement à assainir les rouages de l’économie et à les débarrasser des parasites qui la phagocytent et empêchent sa relance.
La mascarade de la lutte contre la corruption, la spéculation et les monopoles n’amuse plus personne. Elle commence même à lasser, même parmi les plus fervents partisans de M. Saïed, qui sont confrontés aux mêmes problèmes du quotidien (pénuries, cherté de la vie…) et qui constatent , comme le reste des Tunisiens, l’impuissance du président de la république, ou des services de l’Etat dont il a la responsabilité, à identifier clairement l’origine des fléaux dont souffre l’économie nationale et à mettre hors d’état de nuire les «criminels» que dénonce le président Saïed et sur lesquels il prétend posséder des dossiers accablants.
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