Seul un accident de l’Histoire a empêché Charles III, l’actuel Roi d’Angleterre, d’être aussi celui de France. Il n’était pas inéluctable qu’il y eût en Europe ces deux pays ainsi indépendants dont les mêmes Seigneurs parlaient la même langue, le français, et possédaient de part et d’autre du bras de mer les séparant. Ce l’était d’autant moins que le Duc de Normandie Guillaume le conquérant avait envahi l’Angleterre en 1066, dont il était devenu le Roi.
Par Dr Mounir Hanablia *
Le premier problème est né de ce qu’en France ses possessions et celles de ses successeurs ne fissent pas partie de sa couronne anglaise ainsi conquise mais de celle du Roi de France.
Le second, de ce que par le jeu des alliances matrimoniales et des héritages, Edward III le Roi d’Angleterre se soit trouvé détenir de plein droit près de la moitié du territoire Français actuel, tout en étant par sa mère Isabelle le petit-fils du Roi de France Philippe le Bel. Il avait prétendu à ce titre que la couronne en France lui revenait de droit, tant bien même celle-ci eût été saisie par le cousin de sa mère. Et il avait trouvé des alliés en Bretagne, en Bourgogne (Belgique et Pays Bas, Franche Comté), et en Navarre (Pays Basque) pour appuyer ses revendications.
La chevalerie française engluée dans la boue
Les archers anglais avaient décimé les lourds chevaliers français à Crécy en 1346; ils avaient récidivé à Poitiers en 1356, et la chevalerie française engluée dans la boue et impuissante avait été massacrée à la hache et à la masse d’armes par les Anglais à Azincourt en 1415, en dépit de toutes les règles régissant la guerre féodale.
Par le traité de Troyes le Roi de France Charles VI avait alors écarté de la couronne son propre fils qualifié de Dauphin en reconnaissant comme successeur légitime le Roi d’Angleterre Henry V et lui avait accordé la main de sa fille Catherine ainsi que la souveraineté sur tous les territoires de France.
Du Royaume de France souverain il ne resterait que le territoire réduit aux mains du Dauphin qualifié de Royaume de Bourges que celui-ci s’apprêterait à abandonner après une ultime défaite, il suffirait aux Anglais de traverser la Loire pour occuper le reste du Royaume. On a prétendu qu’une bergère dénommée Jeanne d’Arc les en aurait empêchés à la tête de l’armée du Roi de Bourges et qu’elle aurait pour cela payé le prix fort en étant brûlée vive sur le bûcher après avoir été jugée par des juristes et des théologiens français acquis à la cause de l’Anglais.
Mais qu’importe ! l’échec devant Orléans avait été pour les sujets du nouveau Roi Henry VI d’Angleterre le début du grand reflux qui les conduirait pendant plus de vingt ans de défaite en défaite jusqu’à celle de Castillon et à la perte de toutes les possessions françaises, excepté Calais.
Les historiens français, toujours en quête de merveilleux, ont attribué ce renversement de situation à la naissance du sentiment national français. C’est oublier que Philippe le Bon, Duc de Bourgogne, le plus puissant noble de France, tout autant que cousin du Roi de Bourges, visait à créer un royaume indépendant au Nord et à l’Est de la France, et que les Gascons au Sud Ouest, jusqu’à la fin les fidèles sujets du Roi d’Angleterre, avaient eu plus intérêt à commercer avec Londres que Paris.
Si les armées françaises avaient causé autant de dégâts dans le pays que ses ennemis pour ne pas s’aliéner les loyautés, le fisc royal n’avait pas lésiné sur les impositions en pressurant les populations. La peste et la variole avaient taillé des coupes sombres sur les rescapés de la famine.
Est-ce l’usage de l’artillerie sur le champ de bataille qui a renversé le cours de la guerre? C’est possible en admettant que les adversaires n’eussent pas disposé des mêmes moyens.
Cette entité politique unique qualifiée de France
En fait, il semble que le reflux anglais eût été dû moins à la lassitude de devoir traverser à chaque fois la Manche pour guerroyer, qu’au conflit qui ravagerait l’Angleterre même de 1451 à 1483, entre les familles cousines de Lancaster et de York, dont l’enjeu serait la Couronne, et qui serait connu sous le nom de Guerre des Deux Roses.
Déjà en 1399 le Comte de Derby, fils du duc de Lancaster, s’était élancé du territoire français pour renverser son cousin Richard II, fils d’Edward de Woodstock, et ceindre la couronne sous le nom de Henry IV. Et si encore on peut admettre qu’il y eût une logique historique et géographique, une logique insulaire, au pays appelé Angleterre, on ne comprendra pas, en dehors des jeux de bascule de quelques familles comme les Valois, les Evreux, les Bourbons, les Armagnacs, les Bourgogne, tour à tour alliés et adversaires du Roi d’Angleterre, comment des territoires si disparates que rien n’unissait ont finalement pu se fondre de l’Escaut aux Pyrénées et de l’océan aux Alpes dans cette entité politique unique qualifiée de France et gouvernée de Paris. La conclusion de la guerre de Cent Ans ne l’explique certainement pas.
* Médecin de libre pratique.
‘ La guerre de cent ans’’, de Jean Favier, éd. Fayard, Paris, 1980, 672 pages.
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