‘‘Nos ancêtres les germains’’ : archéologie, propagande de guerre et revendications indépendantistes

Si les thèses racialistes de l’archéologie nazie ont (momentanément) disparu à la fin de la Seconde guerre mondiale, l’archéologie n’est pour autant pas devenue une discipline neutre. Pour preuve, le recours aujourd’hui des archéologues israéliens aux techniques utilisées jadis par les Nazis… pour démontrer le soubassement judaïque d’e l’Histoire de Palestine et le caractère étranger des populations de langue arabe dans leurs propres pays.

Par Dr Mounir Hanablia *

Lorsque les Nazis ont en 1941 conquis la France ils ont confié à deux institutions, la Ligue de la culture allemande présidée par Rosenberg, et l’Institut des sciences supervisé par les SS et Himmler, le soin de mener des fouilles archéologiques en territoire français à la recherche de débris de poteries porteurs de motifs géométriques ou de figures animales, de champs d’urnes, et de l’usage du poutrage dans la construction des remparts  semblables à ceux découverts en Allemagne et en Europe du Nord. L’objectif était de prouver que les régions du Nord et de l’Est de la France dans les temps préhistoriques avaient été habitées par l’Homme Indo-germanique, autrement dit l’Aryen, dont le descendant le plus direct est constitué par les populations de l’Allemagne et des Pays Nordiques, ainsi que les Celtes à l’origine des Gaulois. Et à ce titre il serait donc légitime de réclamer le rattachement de ces régions au Reich.

Les recherches entreprises s’appuyaient sur les théories de Gustav Kossina publiées bien avant l’arrivée des Nazis au pouvoir ainsi que sur celles racialistes de Gunther attribuant les manifestations de la culture non pas à des influences exercées par différents peuples les uns sur les autres mais à des sociétés hiérarchisées de guerriers blonds imposant leurs dominations sur des peuples inférieurs mais finissant par s’y fondre en perdant la pureté de leur sang du fait des multiples croisements imposés par leur cohabitation avec des peuples ignorants.

Mouvements autonomistes français enrôlés par les Nazis

Les Nazis ont trouvé pour la réalisation de leur programme des partisans zélés parmi les mouvements autonomistes et régionalistes, particulièrement ceux de Bourgogne et de Bretagne, qui se voyaient comme faisant partie de peuples distincts auxquels les Français avaient imposé leur domination.

La Bretagne de culture Celtique était considérée comme susceptible de déstabiliser l’Angleterre par le biais des populations de langue celte de Grande-Bretagne et d’Irlande.

Quant au leader bourguignon Jean-Jacques Thomasset, il était allé à Berlin au début des années 40 demander dans une conférence en présence de dignitaires nazis que les Allemands aident à la sécession de la Bourgogne et son intégration dans le Reich. Mais comme l’Allemagne avait déjà établi des accords de paix avec le régime de Vichy du Maréchal Pétain, légalisant son occupation du territoire français, ces thèses furent considérées comme contraires aux intérêts allemands du moment et tous les documents relatifs à la conférence de Jean Jacques Thomasset disparurent et furent gardés secrets au ministère des Affaires étrangères.

Quant au régime de Vichy, lui aussi se lança à l’instar des Allemands dans des travaux archéologiques, mais avec l’objectif de renforcer l’identité française dont les origines remontent selon les Français aux Gaulois et à l’intégration dans l’Empire Romain.

L’archéologie entre science et propagande

Au temps de la Collaboration avec les Allemands, le gouvernement de Vichy voulait ainsi prouver que la préservation de l’identité française était possible. Mais dans ce domaine, les Allemands qui pratiquaient les fouilles intensives, l’usage large de la photographie en noir et blanc et en couleur, l’analyse en profondeur des couches stratifiées, le recueil large des objets de surface, et la publication de revues de vulgarisation captant l’intérêt du public, étaient nettement en avance, et ce sont leurs techniques qui ont fini par prévaloir dans tout le champ de la recherche archéologique d’après-guerre. Plus que cela, ce sont les résultats de leurs travaux qui ont été repris par leurs collègues européens une fois la domination nazie écrasée.

Cependant avec la dénazification, les nouvelles autorités allemandes ont constaté que plus de 90% des archéologues allemands avaient directement collaboré avec les Nazis, et cela posait évidemment un problème pour la discipline et pour l’Etat. Après la guerre, les archéologues étaient néanmoins devenus beaucoup plus prudents en s’abstenant désormais de toute interprétation et en se cantonnant dans l’inventaire et la description des découvertes. Mais en 1949 lors d’un congrès tenu à Ratisbonne, ils ont agi comme le font toutes les corporations professionnelles impliquées dans un scandale de grande ampleur, et je pense particulièrement aux cardiologues tunisiens lors de l’affaire des stents, dont la prise de position apparente, celle de la solidarité, fut en réalité une publicité malvenue, et donc une dénonciation subtile.

Les archéologues allemands ont choisi un bouc émissaire en faisant porter la responsabilité de la collaboration avec les Nazis à un seul membre de la profession, Hans Reinerth. Si celui-ci a effectivement bien été l’une des figures de proue de l’archéologie nazie au sein de la Société de la culture allemande, il n’avait néanmoins jamais fait partie de la SS, et en 1944 il avait été démis de ses fonctions pour avoir maintenu une collaboration active avec un collègue juif. Au contraire, Herbert Jankuhn lui s’était engagé dans la Division SS Viking composée de volontaires issus des pays nordiques qui avait combattu en Ukraine et entre autres avait été responsable du massacre de Babi Yar; il avait été chargé du recensement de toutes les œuvres d’art et de leur transport en Allemagne. Néanmoins lorsqu’il a comparu  devant la commission de dénazification après la guerre, ses collègues témoignèrent en sa faveur, et il put reprendre ses activités normales.

Quant aux quelques archéologues français, dont beaucoup collaborèrent dans les fouilles effectuées  avec les archéologues nazis, ils prétextèrent d’une manière, il est vrai peu convaincante, de la nécessité de surveiller leurs collègues afin de les empêcher d’utiliser leurs découvertes contre l’intérêt de la France.

Les figures de proue des mouvements nationalistes bourguignon, breton, et alsacien furent jugés. Tomasset fut accusé de collaboration avec l’ennemi et purgea une peine de prison. Les autorités françaises au moment du procès n’étaient en effet pas informées de la teneur de son discours de Berlin de 1942, qui aurait pu lui valoir la peine de mort pour haute trahison.

Les archéologues israéliens sur les pas des Nazis

Les collaborateurs régionalistes des Nazis ont réveillé les vieux démons de la désintégration des constructions étatiques nationales en Europe, plus fragiles qu’il n’y paraît, établies sur des accords datant souvent du moyen-âge. Ce n’est pas un hasard si  la Yougoslavie allait faire les frais dans les années 90 de la politique allemande, même si l’Espagne soutenue par le reste de l’Europe sortirait indemne de la crise catalane. Mais si les thèses racialistes de l’archéologie ont (momentanément) disparu, l’archéologie n’est pour autant pas devenue une discipline neutre.

En Israël depuis plusieurs années des fouilles archéologiques extensives sont toujours menées afin de démontrer un supposé caractère juif du pays, antérieur, excluant toute autre culture. Ceci suppose évidemment que les objets issus de cultures rivales soient ignorés, ou cachés, quand ils ne sont pas détruits, et que les critères d’inclusion dans la culture juive soient extensifs. A titre d’exemple, l’absence d’os de porcs dans les strates profondes des sites archéologiques est utilisée comme preuve du respect des commandements hébraïques relatifs à l’alimentation depuis les temps les plus anciens, autrement dit de la pratique religieuse juive. Les soubassements de vastes demeures sont arbitrairement attribués aux Rois David ou Salomon parce que quelques-unes de leurs parties réunissent des objets ou des autels évocateurs du culte judaïque. Et les historiens et les archéologues dont les thèses sur le conflit israélo-palestinien dérangent sont victimes de machinations dont le but est de les discréditer.

A l’inverse d’importants efforts ont été faits afin de démontrer le caractère étranger des populations de langue arabe dans leurs propres pays relativement aux cultures anciennes qui les avaient précédées. Ceci démontre que les techniques utilisées par les Nazis leur ont survécu et ont toujours cours dans le champ de la recherche archéologique mondiale, qui, moins que jamais, ne peut se targuer d’échapper aux enjeux idéologiques et politiques. 

* Médecin de libre pratique.

‘‘Nos ancêtres les Germains : Les archéologues au service du nazisme’’, essai de Laurent Olivier, préface de Jérôme Prieur, éd. Tallandier, Paris, 5 mars 2015, 352 pages.

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