Peut-on croire Ghannouchi quand il affirme vouloir quitter la tête d’Ennahdha ?

Contrairement à ce qu’il affirme parfois pour endormir partisans et adversaires, Rached Ghannouchi ne cédera jamais la présidence d’Ennahdha, tant que le mouvement islamiste tunisien existera, et tant qu’il aura lui-même encore un souffle de vie. (Illustration : Ghannouchi quittera sans doute un jour Ennahdha… pour le cimetière).

Par Imed Bahri

Rached Ghannouchi s’est dit déterminé à renoncer à la présidence du mouvement islamiste tunisien lors du prochain congrès, affirmant qu’il ne présentera pas sa candidature pour un nouveau mandat.

Dans une interview accordée au site Internet d’Al-Jazeera hier, jeudi 6 octobre 2022, Ghannouchi a précisé que le prochain congrès du mouvement évaluera le travail de la direction depuis le dernier congrès en 2016, après quoi il élaborera les politiques futures du parti, la troisième et dernière phase du congrès devant être clôturée par l’élection de la direction chargée de conduire ces politiques. Et d’ajouter : «En ce qui concerne la question du changement de direction ou du changement du numéro un du parti, c’est un enjeu important d’autant que, selon le règlement intérieur actuel, le président en poste a terminé ses mandats, et qu’il est favorable au changement et qu’un frère ou sœur puisse le remplacer».

Un demi-siècle de leadership

Concernant la possibilité de réviser le règlement intérieur pour lui permettre d’être reconduit à la présidence du mouvement pour un autre mandat, Ghannouchi a déclaré : «Le congrès est en droit de réviser le règlement du parti, mais je suis déterminé à libérer la place pour un frère ou une sœur.»

Cependant, le problème aujourd’hui n’est pas de savoir si Ghannouchi, qui dirige le mouvement islamiste tunisien depuis un demi-siècle sans discontinuer, est disposé à céder la place ou pas. Ce qui est en enjeu c’est la survie même du mouvement, qui est traversé par de profondes divisions et dont la plupart des dirigeants, Ghannouchi en tête, font face à des poursuites judiciaires en vertu de la loi antiterroriste.

Autre enjeu que M. Ghannouchi passe sous silence : il a refusé, jusque-là, de fixer une date pour le prochain congrès, qui aurait dû avoir lieu depuis 2020, mais qui a été reporté sans raison claire, sauf l’entêtement du président à faire le vide autour de lui et à faire taire toute dissension à l’intérieur du parti, en suscitant lui-même les divisions et en misant à chaque fois sur quelques larbins de service contre les dissidents qui revendiquant son départ.  

Ennahdha mourra avec lui

Par ailleurs, et en mettant sur la balance son départ au terme du prochain congrès, sans pour autant en fixer la date, Ghannouchi semble vouloir passer un marché, à l’intérieur, avec les autres dirigeants qui piaffent d’impatience de le remplacer, et, à l’extérieur, avec les dirigeants actuels du pays pour qu’ils arrêtent les poursuites judiciaires dont il fait l’objet, sachant qu’il est aujourd’hui interdit de voyage et que ses comptes bancaires et sa présumée fortune personnelle font l’objet d’enquêtes financières.

Aussi, et en tenant compte de la personnalité et du parcours de cet octogénaire, véritable animal politique, qui sait plier sans jamais rompre, battre en retraite lorsque les vents contraires sont trop forts, avant de réoccuper de nouveau le terrain dès qu’on lui en offre la possibilité, on serait tenté d’affirmer que, contrairement à ce qu’il affirme parfois pour endormir partisans et adversaires, Ghannouchi ne quittera jamais la tête d’Ennahdha, tant que le parti existera, et tant qu’il aura lui-même encore un souffle de vie. Bref, Ennahdha mourra avec lui…

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