Tunisie : à propos de la communication «suicidaire» de Kaïs Saïed

Le président de la république Kaïs Saïed est-il toujours conscient de l’énormité de certaines de ses déclarations au moment où il les fait, surtout quand elles sont expéditives, laconiques et ambiguës?

Par Ridha Kefi

Cette question s’impose d’autant plus que ce genre de déclarations se multiplient, laissent perplexes et suscitent des interrogations sur leurs significations et leur motivations. La dernière, il l’a faite hier, lundi 10 octobre 2022, au Palais de Carthage, en recevant Mahmoud Elyes Hamza, ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche.

Le président de la république a dû sans doute évoquer avec «son» ministre le problème des pénuries de certains produits alimentaires et la hausse continue de leurs prix, mais aucun mot n’a été pipé à ce propos dans le communiqué de presse publié par la présidence de la république à l’issue de l’audience, comme si parler de pénuries et de hausses des prix était une insulte à la sagesse divine de sa sainteté.

Oh que non ! Dans la propagande présidentielle, on le sait, il n’y a pas de pénuries ni hausse de prix dues à des problèmes structurels de manque de planification, de production insuffisante, de non-maîtrise des circuits de collecte et de distribution. Il y a seulement spéculations et complots contre l’Etat.

Une déclaration qui laisse perplexe

Mais si, contrairement à ses habitudes, M. Saïed nous a épargné cette fois ses menaces et ses imprécations contre les spéculateurs et les comploteurs, il nous a gratifiés d’une déclaration qui laisse pantois, dont on s’échine depuis hier à vouloir comprendre le sens caché et les secrètes motivations. En vain…

Selon le communiqué présidentiel, M. Saïed «a souligné que la législation de l’État ne repose pas sur des accords conclus antérieurement avec certaines parties, mais plutôt sur des lois, décrets, ordonnances et décisions».

Qu’est-ce que le président de la république a-t-il voulu dire au juste ? Et pourquoi a-t-il senti le besoin de mettre ainsi les points sur les i et de manière si brutale ? Mystère et boule de gomme ! Quelle problématique concrète nous a valu une telle mise au point ou clarification ? A qui s’adressait-il en disant ce qu’il a dit ? A-t-il levé quelque équivoque en le disant ou a-t-il ajouté, plutôt, de la confusion à l’ambiguïté ?

Et puis cette manière de communiquer avec des communiqués laconiques et/ou des vidéos, où il pontifie en dehors de tout contexte, pose problème en ce qu’elle suscite plus d’interrogations qu’elle n’éclaire l’opinion sur quelque question que ce soit. Et les malentendus que ce genre de communication suscite n’aident pas à comprendre ce qu’on appelle communément la politique de l’Etat, puisque souvent les déclarations présidentielles sont aussitôt contredites par celles de ses ministres, qui s’empressent de rattraper le coup et de colmater les brèches laissées par son excellence.

En affirmant hier ce qu’il a affirmé, en dehors de tout contexte clair, le président a laissé perplexe plus d’un analyste. Et on imagine que ses propos ont suscité quelque inquiétude chez les partenaires étrangers  de la Tunisie qui se sont demandé ce qu’il voulait dire au juste en laissant entendre que l’Etat, tel qu’il le conçoit, ne tient pas compte ou néglige les «accords conclus antérieurement avec certaines parties». Quelles parties ?

Se tirer une balle dans le pied

Est-ce à dire que l’Etat que dirige de M. Saïed fait peu de cas des accords qu’il signe avec les parties étrangères et qu’il est capable de les renier à tout moment en publiant un décret-loi qui libère l’Etat de tous ses engagements antérieurs ?

Si c’est le cas, et on espère vraiment avoir mal compris les propos de son excellence ou les avoir sortis de leur contexte, qui n’a d’ailleurs pas été spécifié, quel crédit les partenaires étrangers vont-ils donner désormais à la signature d’un pays qui peut à tout moment renier ses engagement par simple décret ?

Faire une telle déclaration au moment où les négociateurs tunisiens sont à Washington pour discuter des conditions d’un nouveau prêt du Fonds monétaire international (FMI), vital pour sortir le pays de son asphyxiante crise financière, c’est compliquer dangereusement la tâche de ces «pauvres» négociateurs, affaiblir leurs argumentations et, au final, se tirer une balle dans le pied.

Espérons toutefois que les clarifications nécessaires seront apportées à temps et que les propos présidentiels – mal exprimés ou mal interprétés – ne feront pas capoter l’opération de sauvetage d’un Etat au bord de la faillite financière !

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