Populisme et complotisme : les armes de Kaïs Saïed se retourneront contre lui

Le président de la république Kaïs Saïed s’est tendu lui-même un piège qui ne va pas tarder à se refermer sur lui, et ce piège c’est le mélange explosif de populisme et de complotisme qui caractérise sa communication politique et inspire toutes ses déclarations et, plus grave encore, entache ses décisions. Le problème c’est que les mensonges ou les demi-vérités ne résistent pas longtemps à l’épreuve de la réalité, et finissent par rattraper celui qui en use et abuse.

Par Ridha Kefi

Pour le président Kaïs Saïed, s’il y a des pénuries de plusieurs produits de première nécessité dans les marchés en Tunisie, ce n’est pas parce que l’Etat souffre de déficits tous azimuts (commercial, alimentaire, financier, budgétaire, extérieur, etc.)… Que le gouvernement n’a pas été suffisamment proactif pour planifier les besoins de la nation et œuvrer à leur satisfaction dans les délais requis… Que les entreprises publiques ayant le monopole de l’importation des produits de première nécessité (énergie, céréale, sucre, café, thé, huile végétale, etc.) sont fortement déficitaires, endettées auprès des fournisseurs étrangers et des banques nationales, et donc très dépendantes des rallonges financières puisées dans les caisses de l’Etat pour pouvoir passer leurs commandes et payer leurs achats… Ni même parce que les cours mondiaux des produits cités ci-haut ont fortement augmenté sur les marchés mondiaux, à cause de la pandémie de Covid-19 et de la guerre russo-ukrainienne… Et que la monnaie nationale, le dinar, a perdu près de la moitié de sa valeur au cours des dix dernières années et que, par conséquent, les coûts du service de la dette et des importations ont fortement augmenté…

La politique de l’autruche

Non, le président de la république n’a pas de solutions pour les problèmes structurels qui sont à l’origine de cette situation catastrophique. Et comme il a du mal à écouter les autres, à commencer par ses plus proches collaborateurs, conseillers ou membres du gouvernement, il refuse de comprendre ces problèmes, d’en saisir les tenants et les aboutissants et de leur chercher des solutions, forcément douloureuses et impopulaires.

Alors, et suivant la politique de l’autruche qu’il semble affectionner, il préfère ignorer tous ces problèmes, faire comme s’ils n’existent pas et invente d’autres causes, certes irréelles sinon surréalistes, mais moins sophistiquées, accessibles à ses capacités d’analyse économique qui sont proches de zéro et, surtout, plus à même de lui valoir la compréhension et l’indulgence du petit peuple.

S’il y a donc des pénuries tous azimuts, des hausses de prix touchant tous les secteurs de la consommation (énergie, alimentation, transport, etc.) et, par conséquent, une détérioration croissante du pouvoir d’achat, c’est parce qu’il y a une poignée de spéculateurs qui stockent illégalement les produits et provoquent des hausses artificielles des prix, et ce dans le but de provoquer des pénuries, de remonter les gens contre l’Etat et contre celui qui l’incarne, le président de la république Kaïs Saïed en l’occurrence, lequel, à la faveur des dispositions spéciales proclamées le 25 juillet 2021, accapare tous les pouvoirs (constitutionnel, législatif et exécutif) et contrôle (ne fut-ce qu’en partie) la justice et les médias, sans pour autant être responsable de rien devant aucune instance constitutionnelle, ni pendant ni après la fin de son mandat. Et ce en vertu du système politique qu’il a lui-même imposé, en dehors de tout débat et par décision régalienne, en promulguant, le 25 juillet 2022, une constitution hyper-présidentialiste.

Le fil du mensonge est trop court

Le problème, malgré ou en raison de la popularité dont bénéficie encore M. Saïed et qui l’incite à persévérer dans cette voie sans issue, pour la Tunisie mais aussi, à terme, pour lui-même, c’est que le populisme a toujours été un mauvais conseiller, et il finit toujours par se retourner contre celui qui en abuse. Et pour cause : «On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps», comme disait Abraham Lincoln. Et, en politique, «le fil du mensonge est trop court», comme dit le proverbe arabe. 

Tour cela pour dire que M. Saïed est en train de s’engouffrer dans une impasse.

D’abord, en se privant lui-même des arguments rationnels que l’économie bien comprise peut lui offrir pour justifier la situation catastrophique du pays et son maigre bilan personnel en trois ans de présidence.

Ensuite, en n’apportant pas les preuves tangibles des accusations qu’il ne cesse de lancer à gauche et à droite pour faire porter la responsabilité de ses propres manquements aux autres.

Enfin, en montrant une impuissance criarde à agir sur la réalité, à améliorer la situation générale dans le pays et à initier ne fut-ce qu’un début de réalisation des promesses qu’il a faites aux petites gens d’en finir avec la corruption, la spéculation et la détérioration des services de l’Etat. Et de les enrichir en leur distribuant l’argent pris aux corrompus et aux spéculateurs. Or, il n’y a pas pire que le sentiment d’avoir été floué pour provoquer la colère des peuples.

Inutile de préciser qu’à terme, cette impuissance présidentielle fera tourner le balancier de l’opinion publique du mauvais côté… pour lui.  

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