Tunisie-FMI : accord à minima, accord aux forceps

L’accord préliminaire Tunisie-FMI a été décroché in extremis, dans le temps additionnel, à la dernière minute des travaux des Rencontres annuelles du FMI et de la Banque mondiale tenus la semaine dernière à Washington DC. L’accord est à minima et douloureux, mais il sauve la face de la Tunisie et lui évite une faillite certaine… C’est déjà ça, et bravo à l’équipe présente à Washington qui a livré, malgré les critiques et les incertitudes. Mais le plus gros commence maintenant…

Par Moktar Lamari, à Washington *

C’est officiel, le FMI a publié un communiqué qui officialise l’accord du niveau staff level agreement, avec la Tunisie. Un accord qui miroite un montant de 1,9 milliard de dollars, sur 4 ans (460 millions de $ par an en moyenne).

L’accord de principe devrait être officialisé de manière définitive d’ici fin décembre, si tout va bien et que la Tunisie engage les réformes requises. D’ici là, la Tunisie va élire un nouveau parlement, une institution qui va entériner cet accord, à un moment ou à un autre. La Tunisie ne pourra rien encaisser sans avoir un budget public officiel, crédible et qui tienne la route pour 2023.

Les chiffres et les lettres

Le montant de 1,9 milliard de $ est le montant équivalent, à une centaine de dollars près, à ce que la Tunisie doit au FMI d’ici 4 ans, pour régler des dettes antérieures.

Ce n’est pas totalement faux, quand on dit que le FMI prête à la Tunisie pour se faire rembourser et ne pas perdre sa mise! Le FMI est un banquier, un prêteur de dernier recours, mais un prêteur intéressé par l’argent et qui doit trouver son compte.

Le FMI prête aux pays, à des taux d’intérêt composés variables, selon les taux des marchés. Peu de Tunisiens et encore moins de journalistes comprennent l’enjeu et formules liées.

Le taux d’intérêt (rate of charge) du FMI de cette semaine est presque 4,2%, par an, y compris 1% pour les agios, risques et frais de gestion.

En contrepartie, avec cet accord encore hypothétique, jusqu’au lendemain des élections législatives (fin décembre), le FMI peut donner son accord (ou pas) pour que d’autres bailleurs de fonds prêtent à la Tunisie. C’est presque une rente institutionnelle du système Bretton Wood, si vous voyez le trade-off lié et les nuances historiques liées.

C’est le système Bretton Wood qui s’impose, qui sanctionne et qui dicte ses diktats aux pays qui quémandent de l’argent, pour couvrir leur mal-gouvernance et gérer les urgences en faisant payer les générations futures.

Un accord de 4 ans, c’est pas gagnant

Un accord sur 4 ans, c’est pour distiller au compte-gouttes les financements selon la conformité aux engagements.

La Tunisie du post 2011 n’a jamais tenu ses promesses et engagements vis-à-vis du  FMI, et certaines sommes n’ont jamais été encaissées. Le FMI coupe le robinet à chaque fois que les gouvernements en face se débinent face à leurs responsabilités de réformes. Depuis 2015, au moins 1 milliard de $ n’a pas été encaissé, faute de justificatifs.

Le FMI sait qu’en Tunisie, il y a des décideurs au sommet de l’Etat qui sont peu crédibles et pour qui les engagements ne comptent pas beaucoup! L’histoire est là pour le démontrer.

Le 1,9 milliard de $ miroité cette fin semaine est une somme bien loin des doléances tunisiennes. C’est dire que le FMI prête à la Tunisie exactement ce qu’il faut pour être remboursé et récupérer ses fonds prêtés par le passé. C’est comme pour l’Argentine… il y a un an.

En Tunisie, il y a un adage populaire tunisien qui dit «Salfou, walaab maah», traduction : «Prêtes-lui de l’argent pour qu’il puisse jouer encore et qu’il te rembourse plus que ce qu’il perd… et ce qu’il te doit!»

Négociations incertaines jusqu’à la fin

Le gouverneur de la BCT, Marouane Abassi, et les deux ministres de la délégation (Sihem Nemsia, Finances, et Samir Saïed, Economie et Planification) ne sont sortis sur aucune de la centaine de tribunes officielles qui donnaient la parole aux ministres, gouverneurs des banques centrales et académiciens. Sur ce plan, l’équipe a fait perdre des points au branding tunisien. Probablement pour leur faible maîtrise de l’anglais et aptitude de communication en contexte de crise!

Les Tunisiens ont rasé les murs, on ne les a aperçus à aucun moment. Ils ont multiplié les rencontres discrètes, et c’est le résultat qui compte.

L’aboutissement de cet accord a été certainement facilité par des appuis français, et dans une moindre mesure par la délégation algérienne. La France et l’Algérie ont siégé dans les principales rencontres et préparatifs du IMFC (comité décisionnel du FMI). Leurs appuis ont été précieux et efficaces.

Dans les couloirs du FMI et de la BM, on entend parler le dialecte tunisien, et on s’arrête pour se saluer chaleureusement, pour se présenter et se donner du courage. Une trentaine d’experts, Tunisiens et Tunisiennes, traversent les couloirs, certains font partie de la délégation officielle, d’autres sont des universitaires et mêmes des consultants. Le plus célèbre d’entre c’est André F, un Djerbien d’origine et qui est courtier totalement solidaire de la Tunisie et de ses racines.

Aucun journaliste tunisien n’a été à Washington… les journalistes tunisiens n’ont même pas osé poser des questions à distance en ligne. Les journalistes marocains, libanais, égyptiens, qataris, saoudiens… sont présents en masse et font du direct avec leur chaîne satellitaire dans leurs pays respectifs. Les médias tunisiens n’ont probablement pas compris l’importance de la pression du média agenda setting sur les décideurs et les décisions clefs.

La communauté tunisienne à Washington a organisé une réception aux officiels tunisiens et autres Tunisiens invités par le FMI. Une soirée où on découvre le nombre impressionnant d’expertises tunisiennes opérant au sein des universités nord-américaines et du gouvernement fédéral américain. Autour d’un couscous et méchoui, les discussions ont été houleuses quand aux risques encourus par la Tunisie et la crise budgétaire que traverse le pays.

Mais deux choses sont à retenir.

Un, la Tunisie doit maintenant se prendre en charge pour se réformer et honorer ses engagements dans la compression des déficits budgétaires, et la réduction de la taille de l’Etat (sociétés d’Etat, subvention, bureaucratie…)

Deux, la réponse mesurée et nuancée livrée par le FMI à la Tunisie est assimilable à la réponse du berger à la bergère… la réponse du FMI à la Tunisie de Kaïs Saïed, en ces temps difficiles pour la Tunisie!

La dette tunisienne est déjà insoutenable, et le président Saïed ne peut faire comme ses prédécesseurs en se dopant par la dette et en hypothéquant l´avenir des générations futures. Pauvre Tunisie !

* Economiste universitaire au Canada.

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